Dr Rabie Razgallah, Directeur Médical au sein d’une agence de recherche clinique, à La Presse: « La Tunisie a augmenté le niveau de la recherche à l’échelle internationale »


Un essai clinique sur la prévention contre le risque Covid-19 auprès des professionnels tunisiens de la santé a été lancé. Cet essai clinique est unique à l’échelle mondiale. Il porte sur l’association de deux médicaments, à savoir l’hydroxychloroquine et le zinc.  Aucune autre expérience similaire n’est conduite ailleurs. Ce projet tunisien a focalisé l’attention de certains experts mondiaux (Etats- Unis, France et Italie), grâce à l’association avec le zinc. Il est à noter que Donald Trump vient de déclarer qu’il en prend à titre préventif également. Une innovation que le docteur Rabie Razgallah n’a pas manqué de signaler vu son importance.


Pensez-vous que le Covid-19 est une pandémie qui a dynamisé le monde de la recherche?

La pandémie de Covid-19 (Corona Virus Disease 19) a  déclenché la fièvre de la recherche pharmaceutique à l’échelle mondiale et révolutionné le monde de la recherche avec une centaine de publications scientifiques ouvertes au public qui apparaissent chaque jour dans des revues prestigieuses à l’instar du « New England Journal of Medicine », et du « Lancet ». De nombreux essais cliniques mis en place ont concerné soit la prise en charge thérapeutique, soit la prévention de cette infection virale. D’autres essais cliniques se sont focalisés sur la prévention des professionnels de la santé qui sont en contact avec les malades atteints par le virus SARS Cov2, et qui risquent fortement d’être contaminés à leur tour, malgré les moyens de protection mis en place par les hôpitaux.

Dans la base mondiale des travaux de recherche ClinicalTrials.gov, les essais cliniques dédiés à ce virus dépassent les 1 800.

Chaque essai clinique expérimente une alternative thérapeutique différente, ou une population différente (nature des patients, pays de réalisation, etc.). L’orientation de la recherche en période du Covid-19 est partie vers un repositionnement de médicaments déjà utilisés pour d’autres maladies vu l’urgence à laquelle le corps médical a fait face ou vers une innovation thérapeutique de nouvelles molécules.

La presse scientifique parle plutôt d’un médicament spécifique, l’hydroxychloroquine, de quoi s’agit-il ?

L’effervescence scientifique mondiale a déclenché un grand débat sur une molécule, la chloroquine et son dérivé, l’hydroxychloroquine, qui ont fait l’objet de plusieurs travaux de recherche de par le monde. Les deux médicaments sont indiqués à la base dans certaines maladies infectieuses (le paludisme), ou dans le traitement de certaines maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux systémique, le syndrome de Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde. Le coût de ce traitement est très faible (aux alentours de quatre dinars par mois, et il a été largement utilisé depuis près de 70 ans dans ces indications.

Les lumières des projecteurs se sont dirigées vers l’hydroxychloroquine suite aux études récentes qui viennent  appuyer son action antivirale potentielle. La molécule est par ailleurs immuno-modulatrice. Elle permet la régulation de la réponse immunitaire et prévient l’orage cytokinique (réaction inflammatoire) dans la phase avancée de la maladie Covid-19. La presse publique et les réseaux sociaux ont contribué à amplifier ce virage dans le monde de la recherche et faciliter le partage de l’information à la population générale.

 L’hydroxychloroquine ne serait-elle pas controversée ?

Tout récemment, un article du prestigieux journal « Lancet » a été publié (le 22 mai 2020) à propos d’une très large étude observationnelle, incluant 96 000 patients. L’étude a réalisé une collecte des données auprès des dossiers des patients dans 672 centres hospitaliers dans le monde, et elle a essayé d’évaluer l’efficacité de l’hydroxychloroquine dans l’infection par SARS Cov-2, ainsi que sa tolérance. Ses conclusions, controversées par plusieurs experts mondiaux, ont étayé un effet néfaste sur le cœur. Au lendemain de sa publication, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’interdiction de l’utilisation de cette molécule dans le traitement du Covid-19,  c’est une décision prise également par le ministère de la Santé français. Toutefois, la démarche scientifique de l’étude prête à plusieurs critiques majeures quant à sa méthodologie statistique et l’intégrité de ses données. Plusieurs pays comme l’Algérie, le Maroc, le Brésil et l’Angleterre ont refusé d’adhérer à la décision de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et ont même communiqué le maintien de l’utilisation de l’hydroxychloroquine tout en critiquant l’article publié dans le Lancet et la décision de l’OMS, jugée trop hâtive. Cela dit, la chloroquine et son dérivé l’hydroxychloroquine sont déjà utilisés comme traitement de certaines maladies auto-immunes en toute sécurité depuis des dizaines d’années. Les patients déjà traités par ces médicaments doivent poursuivre leur traitement et se conformer aux consignes de leurs médecins traitants.

 La Tunisie fait-elle partie de cette dynamique scientifique ?

La Tunisie a arpenté cette course mondiale pour rechercher des solutions thérapeutiques adéquates contre le Sars Cov2 virus, comme en témoigne le site web de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) qui affiche actuellement neuf essais cliniques en cours d’autorisation ou autorisés et une dérogation spécifique de l’utilisation de l’hydroxychloroquine auprès des malades contaminés par le virus Sars Cov2, dans le cadre du protocole MEURI.

Menée par des scientifiques tunisiens, la recherche clinique sur les moyens de traitement et de prévention contre le virus corona a un rôle crucial qui positionne le pays au-devant de la scène internationale durant cette période. Les essais cliniques mis en place par la Tunisie considèrent l’évaluation d’un traitement à titre curatif ou préventif contre le virus Corona ou son extension. Certaines études ont également proposé d’évaluer une mesure thérapeutique préventive au profit des professionnels de la santé. A noter que 13% des soignants en Tunisie sont atteints par ce virus,  ce chiffre a atteint 20% en Italie, des chiffres qui dépassent la moyenne mondiale (située à 11%).

 Spécifiquement dans ce cadre, deux essais cliniques ont été déposés auprès de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) pour autorisation de réalisation et ayant pour objectif l’évaluation de la protection des professionnels de la santé par l’hydroxychloroquine. Les professionnels de la santé sont confrontés et exposés aux patients porteurs du virus Sars Cov2, parfois dans un contexte d’anxiété, de manque de matériels, ou après de longues heures de travail et encore de crainte d’être contaminés ou de contaminer autrui. 

Un de ces deux projets est lancé par l’hôpital militaire principal d’instruction de Tunis (Hmpit), sous la dénomination Covid-Milit. Pour la première fois dans l’histoire de la recherche militaire, l’hôpital joue le rôle du promoteur d’un essai clinique, avec la supervision du Professeur agrégé Faida Ajili, spécialiste en médecine interne et directrice de l’Unité de recherche « les maladies auto-immunes » (UR17DN02), la coordination de Dr Nejla Stambouli, chef du bureau de recherche médicale à l’Hmpit, en partenariat avec l’institution de recherche clinique dont je suis responsable.

 C’est quoi l’essai clinique Covid-Milit ?

L’essai clinique baptisé « Covid-Milit » est un projet académique, mis en place par l’institution militaire avec l’appui du Directeur général de la santé militaire le Pr Mustapha Ferjani. Il a été validé par le comité d’éthique de l’hôpital militaire de Tunis qui est présidé par le Pr Bassem Louzir, chef de service de médecine interne et président du comité médical à l’Hmpt. Un comité de pilotage composé de plusieurs experts scientifiques, pharmaciens et médecins ont participé à la rédaction du protocole de l’essai clinique.

Ce projet vient en période d’épidémie par le Sars-CoV2, il propose une attitude thérapeutique préventive qui permettra aux professionnels de la santé de réduire leur risque d’être contaminés par un patient infecté par le virus, dans les consultations et les séjours à l’hôpital.

Trente médecins investigateurs vont se relayer pour inclure les participants volontaires parmi les professionnels de la santé qui vont participer à l’expérience thérapeutique. Ces médecins investigateurs ont suivi une formation de haut niveau dans la gestion des bonnes pratiques cliniques (BPC), et le recueil des données des sujets sur des technologies avancées.

L’essai clinique « Covid-Milit » a été inscrit sur la base mondiale des travaux de recherche ClinicalTrials.gov, sous le numéro NCT04377646. Ce portail web très connu par les chercheurs à l’échelle mondiale fait l’objet de veille scientifique de la part des experts internationaux. Certains experts mondiaux alertés par l’essai clinique de l’hôpital militaire de Tunis sont en train de le suivre afin de pouvoir utiliser sa méthodologie et ses résultats dans la mise à jour des  niveaux de preuve de la prévention  contre le virus corona, par l’association hydroxychloroquine et Zinc. Le zinc étant par ailleurs un complément alimentaire capable de stimuler le système immunitaire, il est prescrit dans les infections virales.

 Est- ce vrai que cet  essai clinique est unique à l’échelle mondiale ? Y a-t-il une autre expérience similaire qui est conduite ailleurs ?

L’essai clinique mis en place par l’hôpital militaire de Tunis se caractérise par une méthodologie des plus robustes qui soient dans la recherche clinique. En effet, l’étude Covid-Milit est multicentrique randomisée en double aveugle testant l’efficacité des  deux médicaments l’hydroxychloroquine et le zinc dans la prévention du Covid 19 et  qui vont être prescrits chez les professionnels de la santé militaire durant 8 semaines. C’est le seul essai clinique qui soit dans cette démarche scientifique à l’échelle mondiale.

La notion de double aveugle est utilisée dans les essais cliniques très élaborés. Elle a pour objectif de comparer le principe actif d’un traitement à un placebo. Un placebo est une forme pharmaceutique qui a la même forme et couleur que le médicament réel, sans contenir le principe actif de ce dernier. Il s’agit en quelque sorte d’un médicament fictif qui a pour effet de mesurer l’effet psychogène dans l’efficacité d’un traitement. La comparaison d’un médicament réel à un placebo donne à la fin de l’essai clinique le niveau réel et exact de l’efficacité du traitement testé. Par ailleurs, la randomisation signifie l’assignation du participant à un traitement au hasard. Ceci a pour objectif de garantir le contrôle des variations statistiques qui pourraient se voir dans les groupes comparés.

Quand avez-vous commencé cet essai clinique ?

L’essai clinique tunisien Covid-Milit a démarré sa phase pilote pour tester la faisabilité sur le plan opérationnel ainsi que le déroulement de la phase de randomisation et de l’utilisation du placebo. Cette phase pilote coïncide avec la célébration de la Journée internationale des essais cliniques (20 mai 2020). La phase effective démarrera sous peu. Le Pr Mohamed Ali Youssfi, chef de service de la pharmacie de l’hôpital militaire de Tunis et membre du Comité de pilotage de l’essai clinique, gère à son niveau le processus complexe de la randomisation et du double aveugle, à travers des solutions informatiques dédiées et un masquage des traitements dans des flacons codés et anonymes.

 Quel est le protocole de l’essai clinique ?

L’essai a pour objectif de montrer l’effet de la combinaison d’hydroxychloroquine et zinc sur le risque de développer l’infection Covid-19 chez les personnels de la santé militaire consentants. Pour cela, l’expérience se propose de comparer trois groupes de participants exposés au virus Corona. L’assignation d’un participant à un groupe est faite au hasard par des outils technologiques appropriés.  Les trois groupes sont :

 1.    Des participants traités par la combinaison hydroxychloroquine et zinc

2.    Des participants traités par hydroxychloroquine et le placebo du zinc

3.    Et des participants traités par deux placebos (de l’hydroxychloroquine et du zinc) 

Il n’existe pas à l’heure actuelle des connaissances scientifiques établissant un lien direct entre l’hydroxychloroquine et le zinc. D’où l’intérêt de l’essai clinique tunisien, « Covid-Milit ». Un effet d’activation de la réponse immunitaire  couplé à un effet antiviral de l’hydroxychloroquine pourrait avoir un effet préventif très bénéfique pour le personnel de la santé en situation d’exposition au virus Corona en phase trois de l’épidémie. Le récepteur du virus Corona  sur les cellules hôtes humaines serait sensible au zinc, cela est un argument du rôle direct du zinc sur l’infection par le virus en potentialisant l’action de l’hydroxychloroquine.

A noter que les trois maladies  les plus touchées par le Sars CoV2 sont l’hypertension, l’obésité et le diabète. La carence en zinc est très courante chez ces malades. En plus, de nombreux médicaments utilisés pour traiter l’hypertension inhibent le métabolisme du zinc induisant  son déficit partiel.

Les personnes âgées ont aussi des niveaux disproportionnés de carence en zinc. Ils étaient beaucoup plus touchés par le Covid-19.

Sur un autre volet, l’évaluation de la contamination par ce virus  est coordonnée par l’équipe du Pr Mohamed Ben Moussa, chef de service de virologie à l’hôpital militaire de Tunis et membre du Comité de pilotage de l’essai clinique. Les sujets inclus dans l’étude bénéficieront d’une recherche de contamination par le Sars CoV2 par deux tests biologiques différents : le test RT-PCR habituel et un test sérologique rapide. Ces tests seront effectués au démarrage de l’étude et régulièrement de manière mensuelle, afin d’attester du statut des sujets inclus à la clôture du projet.

 Pour conclure, quelle échéance pour avoir les résultats et quelles sont les perspectives ?

Prévu pour une durée de réalisation de quatre à six mois, les résultats comparatifs des trois groupes de l’étude apporteront certainement des conclusions sur l’efficacité de chaque traitement. Bien évidemment, un plan de suivi médical strict des sujets de l’étude est imposé, notamment sur un plan cardiovasculaire. Des explorations cardiaques vont définir si le sujet peut être inclus dans l’étude ou non. Jusque-là, les patients traités par l’hydroxychloroquine pour des maladies auto immunes n’ont pas eu de complications cardiaques notables comme peuvent en témoigner les médecins prescripteurs, et les patients déjà sous traitement à base d’hydroxychloroquine pour des indications médicales habituelles doivent être rassurés  et suivre les conseils de leurs médecins traitants. Dans l’essai clinique préventif Covid-Milit, les sujets qui seront inclus subiront un suivi clinique très rapproché de manière hebdomadaire, même si la dose du traitement par hydroxychloroquine est très faible (400 mg par semaine).

Au-delà de la recherche, la Tunisie apportera certainement ses réflexions concernant l’intérêt de l’hydroxychloroquine, ainsi que son association au zinc, aussi bien dans la prévention que dans le traitement des patients contaminés par le virus corona. Les scientifiques du pays, réputés pour s’éloigner des polémiques non fondées, prendront leur temps pour apporter des conclusions mûrement réfléchies et scientifiquement prouvées quant à la réalité des complications cardiaques rapportées par la revue scientifique Lancet. Les scientifiques tunisiens ont  un rôle crucial à jouer durant cette pandémie. Ils doivent renforcer davantage la collaboration mutuelle et décider des directions que prendra la recherche médicale en Tunisie. 

En cette situation de crise sanitaire, tous les types de recherche (essais cliniques, registres, expérimentations sur les animaux, etc.) sont  intéressants à entreprendre.

Les recherches sur le profil génétique et les facteurs environnementaux spécifiques de notre milieu (épigénétique) sont par ailleurs à consolider pour comprendre la variation de propagation du virus en Tunisie. Sans oublier le mérite de notre institution militaire dans l’ouverture des perspectives vers d’autres travaux de recherche pour faire rayonner le pays.

Qui est Dr. Rabie Razgallah ?
Médecin, il a consacré sa carrière à la recherche clinique et l’informatique médicale et occupe le poste de directeur médical au sein d’un laboratoire pharmaceutique, avant de fonder une agence de recherche clinique spécialisée dans la gestion électronique des données en santé. Son expertise dans l’analyse statistique et le développement informatique lui a fait valoir une collaboration avec de nombreuses sociétés savantes dans la réalisation des registres de santé et des solutions numériques pour la santé. Il a corédigé 13 publications indexées et dirigé près d’une centaine de projets cliniques et de santé.

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