Ahmed Souab, ancien juge au Tribunal administratif, à La Presse: « Il est impossible d’élire les membres de la Cour constitutionnelle avec l’actuelle composition parlementaire »

En proie depuis 2014 aux tiraillements politiques et à la divergence, la Cour constitutionnelle, indispensable à la construction démocratique, peine à s’installer dans un paysage politique et parlementaire livré aux conflits interminables et à l’absence de consensus. Pour Ahmed Souab, ancien juge au Tribunal administratif, l’actuelle composition parlementaire bloquera davantage la mise en place de cette Cour.

Si la deuxième législature a fixé l’installation de la Cour constitutionnelle comme première priorité, à l’issue d’une série de rencontres entre les président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et les présidents des blocs parlementaires pour trouver des consensus possibles sur les candidatures à la Cour constitutionnelle, une première liste de candidats a été soumise à l’instance électorale qui s’est penchée hier sur l’étude de leurs dossiers.

En effet, les blocs parlementaires ont présenté dimanche dernier la liste des candidats à cette Cour comme premier pas pour concrétiser la mise en place de cette pièce maîtresse de l’édifice démocratique. Ainsi, bien que le règlement interne du parlement et la Constitution autorisent de proposer plusieurs noms, le bloc parlementaire d’Ennahdha a choisi un seul profil comme candidat à la Cour constitutionnelle. Il est question de Mohamed Bouzghiba, académicien en théologie islamique, président de l’unité des théologiens de Tunisie à l’université de la Zitouna, et ancien directeur de l’Ecole doctorale de l’université de la Zitouna.

Pour sa part, le bloc démocratique, constitué des députés du Courant démocratique et de ceux du Mouvement du peuple, ont choisi trois noms pour les présenter comme candidats potentiels. Il est question du directeur général du Centre des études et des recherches économiques et sociales, Moncef Ouanes, de l’académicien et avocat à la Cour de cassation de Tunis, Noureddine Ghazouani, et l’universitaire Mohamed Ketata. Les avocats Nazih Souiï, Mohamed Adel Kaanich, Noureddine Ghazouani, également proposé par le Bloc démocratique, et Fadhel Hechmi ont été quant à eux suggérés par le parti Qalb Tounès.

Le bloc parlementaire d’Al Karama a opté, de son côté, pour l’ancien membre du Conseil islamique supérieur Jalel Eddine Allouche, tandis que le bloc de la Réforme nationale a opté également pour Noureddine Ghazouani, mais aussi pour l’expert-comptable Abdeljelil Bouraoui et le juge à la Cour de cassation de Tunis Kamel Hedhili.

L’avocat et professeur universitaire Noureddine Ghazouani a également fait le consensus du bloc parlementaire de Tahya Tounès, qui a proposé aussi l’avocat Ezzdine Arfaoui, du bloc Al Mostakbal qui a également opté pour l’avocat Mohamed Adel Kaanich et du bloc national. Ainsi, Noureddine Ghazouani a été suggéré par six blocs parlementaires et serait le plus à même d’être élu comme membre de cette Cour constitutionnelle.

Absence de références !   

Faisant la lecture des profils proposés, l’ancien juge au Tribunal administratif Ahmed Souab note l’absence de ce qu’il appelle des juristes de référence. « Avec tout le respect que je leur dois, il n’existe aucune autorité ni référence en matière juridique dans la liste des noms proposés, ceci s’explique par des raisons purement politiques et partisanes. D’ailleurs, des noms célèbres ont été écartés à cause de ces mêmes motifs », explique-t-il.

Et d’affirmer qu’au vu de l’actuelle composition parlementaire, il est impossible de trouver le consensus à même d’élire tous les membres de la Cour constitutionnelle. « Si au vu de l’actuelle composition parlementaire on arrive à élire deux membres de la Cour constitutionnelle, ce sera un exploit », a-t-il affirmé, pour faire part de grandes difficultés qui entraveront la mise en place de cette Cour.

Un processus entravé

Dans un contexte de blocage politique, l’établissement d’une Cour constitutionnelle en Tunisie semble aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Six ans après l’adoption de la Constitution qui prévoit l’établissement d’une Cour qui pourrait invalider les lois non conformes à celle-ci, ses juges restent toujours à désigner. Selon les analystes politiques et les observateurs, l’absence d’une réelle volonté politique de la part des différentes parties pour trouver un consensus autour des membres de cette Cour demeure le principal obstacle à sa mise en place. La Constitution tunisienne définit «la Cour constitutionnelle comme une instance juridictionnelle indépendante, composée de douze membres, choisis parmi les personnes compétentes, dont les trois quarts sont des spécialistes en droit et ayant une expérience d’au moins vingt ans». Le Président de la République, l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil supérieur de la magistrature désignent chacun quatre membres, dont les trois quarts sont des spécialistes en droit. Pour être élu, un candidat à la Cour constitutionnelle tunisienne désigné par l’Assemblée des représentants du peuple doit obtenir une majorité absolue de 145 votes. Les membres de la Cour constitutionnelle sont désignés pour un seul mandat de neuf ans et un tiers des membres de la Cour constitutionnelle est renouvelé tous les trois ans.

Mais l’actuelle composition politique du Parlement qui ressemble beaucoup plus à une mosaïque parlementaire, dont aucun parti ne détient une majorité confortable, mettra à mal de nouveau le processus d’élection des membres de la Cour constitutionnelle déjà entravé. En tout cas, même si elle sera installée, la future efficacité de la Cour constitutionnelle n’évoluera qu’au fil du temps et dépendra de sa capacité à se détacher du jeu et des tiraillements politiques et des rapports de force entre les représentants du peuple et, derrière eux, les partis.

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