impact du coronavirus: Un coup dur pour les métiers de fêtes

L’annulation sinon le report des cérémonies de mariage prévues pour le printemps en raison du confinement général ont suspendu toutes les activités professionnelles liées à cet effet. Les salles des fêtes se sont trouvées interdites d’abriter tout événement susceptible de favoriser le rassemblement. Les centres de mise en beauté ainsi que les coiffeuses ont dû baisser leurs rideaux dans l’attente d’une reprise indéfinie dans le temps. Les troupes musicales, elles aussi, n’avaient plus d’autres choix que d’attendre le dénouement d’une pandémie jamais vue. De même pour les spécialistes de location des robes de mariées et de soirées ainsi que pour les organisateurs des fêtes… Autant de mariages annulés ou reportés, autant d’argent versé par les futurs mariés en guise d’acomptes qui est resté ni tout à fait gagné par les prestataires desdits services ni carrément perdu par les jeunes couples… Ce flou qui a marqué toute une panoplie d’activités complémentaires a été vécu, non sans difficulté, et par les uns et par les autres. Et en raison des estimations quoique incertaines portant sur une éventuelle 2e vague du Covid-19, la question est loin d’être tranchée du moins pour cet été!

Hajer travaille comme responsable dans une salle des fêtes située à Tunis. Il s’agit de l’une des plus anciennes et des plus abordables salles des fêtes dans la capitale. Et bien qu’elle ne prenne pas en charge tous les services relatifs aux cérémonies, à l’exception des jus servis aux convives, cet espace comptait abriter durant la période mars/avril plus d’une trentaine de mariages. «Certains couples avaient réservé la salle une année à l’avance. Mais la période du confinement et celle qui lui a succédé ont mis en stand-by toute activité. Nous avons été dans l’obligation de fermer la salle durant le trimestre mars/mai en dépit des engagements signés avec nos clients, confinement et consignes gouvernementales obligent», indique-t-elle. Et d’ajouter que la salle a rouvert ses portes au début de juin pour abriter les mariages et les fiançailles dont les dates sont fixées, au préalable, pour ce mois, mais aussi pour revoir les possibilités de fixer de nouvelles dates au profit des clients dont les cérémonies ont été suspendues à cause du confinement. «Pour le moment, souligne-t-elle, seuls trois ou quatre couples nous ont contactés dans l’optique de fixer une nouvelle date pour leurs mariages».

Les boutiques spécialisées dans la location des robes de mariées ainsi que des robes de soirées ont également baissé leurs rideaux alors que la saison des mariages 2020 pointait à peine du nez. Mounira Abidi détient l’une des boutiques précitées, située à Oued Ellil, un quartier populaire du Grand-Tunis. Cela fait trente ans qu’elle excelle dans ce domaine avant de voir, peu à peu, les cérémonies de mariage diminuer et le nombre des costumes commandés, habituellement, pour mettre en valeur la beauté de la mariée durant les sept jours précédant la nuit des noces, s’atténuer pour se restreindre à seulement deux, sinon, une tenue tout au plus. «Depuis la révolution, et à cause de la flagrante baisse du pouvoir d’achat et de la cherté de la vie, les mariées se contentent de peu. Certaines, et à défaut de moyens, ne commandent qu’une robe de mariage. Fini le temps des mariages dont les festivités s’étalaient sur sept jours et sept nuits ! Fini aussi le temps où la mariée dénichait les costumes qu’elle enfilerait, accompagnée qu’elle était par tout un groupe de marraines tout aussi exigeantes, qui cherchaient, elles aussi, à être belles pour célébrer le mariage de leur fille chérie !», avoue-t-elle, sur un ton nostalgique, tout en essayant, les yeux larmoyants, de réussir les retouches d’une robe commandée par une cliente rien que pour sauver un acompte…

Pas de nouvelle collection !

En dépit de cette activité qui a du mal à perdurer, surtout dans un quartier populaire où les habitants éprouvent autant de mal à subvenir à leurs besoins élémentaires qu’à s’engager dans un projet conjugal, Mounira s’accroche à son gagne-pain. C’est le rendement modeste —sinon moindre— que lui assure sa boutique qui lui permet, depuis des années, de nourrir sa famille, comptant trois fils dont deux au chômage.  Cette femme avait l’habitude de se réjouir de la fête nationale de l’habit traditionnel, laquelle représente pour elle le démarrage d’une saison qu’elle espère prometteuse. Cette année, les choses ont mal tourné à cause de la pandémie. «Les commandes relatives à la période située entre mars et juillet ont été quasiment toutes annulées ! Je suis en train de faire les retouches d’une robe qu’une cliente qui avait donné un acompte de 120d  voulait en tirer profit pour assister à une cérémonie», souligne-t-elle. Vivant dans un quartier où les revenus sont classés parmi les plus faibles, Mounira a la ferme conviction qu’il est de son devoir de baisser les prix pour dessiner des sourires sur les lèvres des futures mariées démunies. «Je loue parfois plusieurs tenues de soirées contre un forfait de 500d. Mais dans la majorité des cas, poursuit-elle, je me contente de peu, soit 250d pour la location d’une «keswa» et 100dt pour la location d’une tenue traditionnelle pour hommes». Contrairement aux années du bon vieux temps, Mounira ne se hasarde plus à accepter une marchandise, alors qu’elle n’a aucune garantie de pouvoir payer son fournisseur. La pandémie du Covid-19 a, de surcroît, enfoncé le clou ! «Cette année, je me suis trouvée dans l’obligation de refuser toute proposition de la part de mes fournisseurs. Ces derniers avaient l’habitude de m’approvisionner en robes et en costumes sans aucune garantie. Or, comme la situation s’avère critique, ils m’ont demandé de donner des chèques de garantie sinon de payer 50% du prix de la marchandise. A défaut d’argent, j’ai préféré préserver l’ancienne collection que de prendre le risque d’acheter de nouveaux costumes sans pour autant pouvoir les payer par la suite», explique-t-elle, frustrée. Connaissant parfaitement la situation des mariés dans les quartiers populaires, elle indique que les cérémonies de mariage se limitent désormais à une trentaine de convives tout au plus. D’autant plus que l’on a tendance à organiser plusieurs cérémonies en un seul jour, faute d’argent. Mounira s’inquiète pour son gagne-pain et pour la saison des mariages qui s’annonce non prometteuse.

Centres de mise en beauté : tout dépend des deux mois à venir !

Toujours dans ce quartier populaire se trouve, aussi, le centre d’esthétique, de mise en beauté et de location de robes spécial mariée, implanté par Zohra Ouerghi depuis trois ans. Zohra avait commencé par fixer ainsi que ses clientes les dates des cérémonies de mariage pour la saison. Or, et contre toute attente, des demandes de report lui ont été adressées par les six mariées qu’elle comptait embellir pour leurs nuits des noces. «Toutes les clientes qui comptaient se marier cet été ont reporté leurs mariages pour 2021. Elles ont insisté pour que je maintienne les acomptes pour une date jusque-là indéterminée. Seules les fiançailles d’une cliente prévues pour le 16 juin ont été maintenues», indique-t-elle. Zohra ne sait plus sur quel pied danser : comment pourrait-elle gérer son projet dont l’essor est essentiellement fondé sur la saison estivale ou la saison des noces ? Certes, les décisions gouvernementales spécial Covid-19 exemptent les PME de payer les crédits bancaires jusqu’au mois de septembre. Néanmoins, et à défaut d’une bonne reprise, il serait difficile pour elle de garantir la liquidité nécessaire à cet effet. «Notre clientèle est essentiellement issue des quartiers populaires. Aussi, proposons-nous, explique-t-elle, des forfaits imbattables de l’ordre de 1.600dt tout compris et des réductions promotionnelles dans l’espoir de pouvoir aussi bien satisfaire nos clientes que garantir la pérennité de notre source de revenus».

Troupes musicales : 35% des engagements maintenus…

Nous quittons Oued Ellil pour rencontrer Nabil Ouerfelli, chef d’une troupe musicale de renom, créée en 2010. Comme la majorité des professionnels intervenant dans la célébration des fêtes de mariage, il croyait entamer la saison en égayant une douzaine de soirées des noces. Mais son calendrier professionnel a connu, à cause de la pandémie, un impitoyable coup de chiffon! «Sur les douze mariages prévus durant la période du confinement, quatre ont été convertis en de petites cérémonies de signature de contrats de mariage et quatre autres, reportés pour le mois d’août. Au final, le confinement a eu droit de l’annulation de quatre mariages, soit un tiers des engagements de la troupe pour ladite période», indique-t-il. Nabil a dû rétrocéder deux ou trois acomptes aux couples qui ont annulé leurs mariages ; des acomptes qui varient de 300 à 500D. «Seul un couple a fait preuve de compassion et n’a pas accepté de reprendre son argent», avoue-t-il. Nabil doit désormais trouver des compromis avec les clients qui se précipiteraient pour organiser, à la va-vite, leurs cérémonies de mariage ou de fiançaille en prenant soin de trouver des dates disponibles en juillet et en août, ce qui ne serait point une évidence, surtout que l’activité de la troupe doit aller de pair avec la disponibilité des salles des fêtes ! Certes, la troupe de Nabil s’active pour mener à bien son rythme professionnel comme il a été prévu pour ce mois. Cela dit, un tumulte relatif à la disponibilité des salles pour la période juillet/août nécessite d’être éclairci.

Fixer de nouvelles dates : une question de disponibilité et de complémentarité

Ahmed Arragui doit, lui aussi, trouver des solutions pour rajuster son agenda selon les disponibilités des salles des fêtes mais aussi selon les dates préfixées pour la période juillet/août. Ahmed détient une société spécialisée dans la location du matériel indispensable aux cérémonies ainsi que dans la conception de la décoration cérémoniale. Il s’agit d’un métier qu’il a hérité de son père et dont il est passionné. Cette année, il a dû, comme tous les intervenants dans l’organisation des mariages, surmonter une situation hors-pair : le confinement, l’interdiction de son activité trois mois durant et le chamboulement de tous ses engagements professionnels pour cet été ! «Le décalage des cérémonies de mariage et de fiançaille prévues pour mars et avril, dû à la pandémie, a été à l’origine de l’annulation de 40% de mes engagements. Pour le reste, je suis dans l’obligation de trouver un compromis avec les clients qui aspirent à fixer de nouvelles dates durant les mois de juillet et août, sachant que les week-ends sont plus ou moins complets et que les nouvelles dates dépendent aussi de la disponibilité des salles et des espaces des fêtes», souligne-t-il.  Tout comme Nabil, Ahmed a remboursé les couples qui ont préféré annuler leurs cérémonies de mariage. «Nous proposons des packs de plus de 1.000d par cérémonie. Les acomptes que nous recommandons tournent aux alentours de 200 à 500D. Personnellement, j’ai préféré rétrocéder les acomptes aux clients qui ont annulé leurs cérémonies aussi bien par solidarité sociale que par respect pour la déontologie de ma profession. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de gagner la confiance de ma clientèle», ajoute-t-il. Tout ce remue-ménage causé par le confinement général sera surmonté, sans doute, aussi bien par les futurs mariés que par tous les acteurs non seulement par souci de relancer la dynamique desdits métiers; des métiers qui dépendent plus de la saison estivale et des cérémonies heureuses pour arrondir les fins des douze mois de l’année, mais aussi par souci de redonner à la société la joie de vivre et de fêter, comme il se doit, les unions conjugales. Finalement, le spectre du Covid-19, et en dépit des efforts fournis pour le stopper, rode encore. Mais la lueur de l’espoir, elle, et l’envie de donner à la vie tout son éclat prendront sûrement le dessus !

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