Limogeage du P.D.G. de Tunisair : Le ministre a-t-il enfreint la Constitution et le Code des sociétés commerciales ?

La décision n’a pas manqué de déclencher une salve de critiques et de soulever le courroux de certaines parties qui ont tiré à boulets rouges sur le ministre d’Etat chargé du Transport et de la Logistique, Anouar Maârouf. A cet effet, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail, Noureddine Taboubi, a qualifié hier de « scandaleuse » la décision de démettre par une simple lettre confidentielle un P.D.G. désigné par le Chef du gouvernement. 

Le limogeage du premier responsable de Tunisair ne surprend personne. C’était plutôt dans l’air, notamment suite à la nomination de nouveaux P.D.G. à la tête des sociétés placées sous la tutelle du ministère du Transport et de la Logistique, à savoir la Société tunisienne d’acconage et de manutention (Stam), l’Office de la marine marchande et des ports (Ommp) et la la Société nationale des chemins de fer tunisiens (Sncft).

L’arrestation de sept anciens et actuels cadres relevant de la compagnie Tunisair pour suspicion de corruption, une décision prise, après que le pôle judiciaire économique et financier a pris en charge une affaire remontant à 2018, est venue sonner le glas pour l’ancien colonel-major de l’armée tunisienne qui fut nommé à la fin de 2016 à la tête du transporteur aérien national en butte à cette époque à des difficultés financières causées surtout par le recrutement abusif d’agents après la révolution et ayant abouti à un sureffectif ingérable. La pandémie du Covid-19 n’a fait qu’enfoncer le clou et rendre la situation encore plus difficile sur tous les plans avec un déficit abyssal estimé à un milliard de dinars en 2018 (contre 506MDT en 2010).

Taboubi qualifie la décision de « scandaleuse »

La décision n’a pas manqué de déclencher une salve de critiques et de soulever le courroux de certaines parties qui ont tiré à boulets rouges sur le ministre d’Etat chargé du Transport et de la Logistique, Anouar Maârouf. A cet effet, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Noureddine Taboubi, a qualifié hier, mardi 7 juillet, à l’occasion de l’ouverture de la conférence régulière de la Fédération générale de la presse de « scandaleuse » la décision de démettre par une simple lettre confidentielle un P.D.G. désigné par le Chef du gouvernement. En référence à cette même lettre, il s’est demandé « comment peut-on appeler à élire un nouvel administrateur qui a été déjà désigné par le ministre ? ».

Pour sa part, le porte-parole de l’Ugtt, Sami Tahri, n’a pas beaucoup attendu pour fustiger cette décision, la qualifiant sur les ondes d’une radio privée d’illégale. Il a évoqué, hier, à l’occasion de l’ouverture de la conférence régulière de la Fédération générale de la presse, « une situation de conflit entre l’actuel ministre Anouar Maârouf et le P.D.G. de Tunisair en raison des récentes nominations au sein de la compagnie ». Le message de Tahri à l’égard de l’actuel ministre d’État a été, à la fin, on ne peut plus clair : « La compagnie Tunisair n’est pas à vendre ».

Empiétement sur les prérogatives du Chef du gouvernement ?

Des juristes ont à leur tour pointé du doigt une décision qui, selon eux enfreint l’article 92 de la Constitution qui stipule que « le Chef du gouvernement est compétent en matière de nomination et révocation des emplois de la haute fonction publique. Ces emplois sont déterminés par la loi. Le Chef du gouvernement informe le président de la République des décisions prises dans le cadre de ses compétences citées. Le Chef du gouvernement gère l’administration et conclut les traités internationaux à caractère technique. Le gouvernement veille à l’exécution des lois… En cas d’empêchement provisoire du Chef du gouvernement, il délègue ses pouvoirs à l’un des ministres ». Selon certains constitutionnalistes, le ministre du Transport et de la Logistique a outrepassé ses prérogatives.

Dans une lettre confidentielle adressée à cet effet au P.D.G. de Tunisair, le ministre l’a informé de son limogeage et l’a invité à convoquer lui-même le Conseil d’administration qui sera chargé de mettre à exécution la décision et « élire !» l’actuel secrétaire général du ministère, Belgacem Tayaâ, en tant qu’administrateur délégué provisoire dans ce poste, comme le stipule le Code des sociétés commerciales et le remercie à la fin du travail accompli à la tête de la compagnie.

Sur la page officielle « Jurisite Tunisie» dédiée aux juristes, on peut lire que « le niveau de dilettantisme » du ministre d’Etat n’est plus à démontrer vu la lettre précitée adressée au P.D.G. en question. «  Il y a lieu de signaler que la nomination des présidents-directeurs généraux des sociétés anonymes — et c’est le cas de la société Tunisair, société cotée en Bourse — est régie par la loi et en particulier par le Code des sociétés commerciales. Un chapitre du code est consacré aux modalités de nomination du P.D.G. de ces sociétés dont l’article 208 qui stipule que : le conseil d’administration élit parmi ses membres un président qui a la qualité de président-directeur général. Il doit être une personne physique et actionnaire de la société, et ce, à peine de nullité de sa nomination », selon la même source.

« La décision de démettre le P.D.G. de la société est illégale sur le fond et sur la forme et on ne peut appeler les membres du conseil à désigner un nouveau P.D.G. d’autorité sachant qu’Air France est un actionnaire aux côtés de la Cnss et que des milliers de Tunisiens sont également des actionnaires représentés au conseil de la société dont les choix du ministre ne peuvent leur être imposés par une simple lettre ou autrement », argue la même source.

Qualifiant d’illégale la lettre qui lui a été transmise par le ministre d’Etat, Anouar Maârouf, sur les ondes d’une radio privée, le P.D.G. de Tunisair, Elyes Mnakbi, a déclaré qu’il refuse de se conformer à cette décision. Ce n’est pas au ministre de le limoger. Cela est du ressort du Chef du gouvernement, a-t-il expliqué. Ce qui est de nature à embrouiller encore plus la situation dans cette compagnie.

La fuite d’un document classé confidentiel informant le P.D.G. en place de la fin de sa mission a surpris plus d’un mais ne manque pas d’alerter l’opinion sur la situation délétère que connaît Tunisair, en particulier, et tout le pays en général.

Un commentaire

  1. Liberte

    08/07/2020 à 11:35

    Toutes les actions boursières vendues à très bas prix de Tunis air j’espère que chef du gouvernement qui y en a profité doit les rendre à l’état.

    Répondre

Laisser un commentaire