Par Walid SAHNOUN*

La révolution tunisienne est une réaction  contre le sous-emploi, les inégalités sociales et régionales, la corruption et la dictature. C’est pourquoi toutes les couches sociales l’ont applaudie, et à leur tête l’Union générale des travailleurs tunisiens, les organisations nationales et même les couches sociales favorisées, si bien que certains ont qualifié cette révolution souvent à tort de «  bourgeoise »

De la sorte, la Constitution tunisienne a adhéré aux grands principes des démocraties occidentales, fondées au plan économique sur le libéralisme, ce qui fit l’objet d’un large consensus de la classe politique, qui y trouvera une juste réponse à des décennies de pouvoir autoritaire, dans lequel elle puisera la cause de tous les maux rencontrés.

Si la classe politique dans son ensemble s’est retrouvée sur cette ligne pour l’essentiel, il est apparu, au fil des commémorations de la révolution de 2011, un désenchantement populaire de plus en plus perceptible qui, sans remettre en cause les fondamentaux du nouveau régime, allait s’exprimer dans les urnes avec des taux de participation de plus en plus faibles.

En réalité, comme dans tous les pays du monde, le petit peuple et jusqu’à une partie importante de la classe moyenne n’ont vu dans la révolution qu’une façon de mieux prendre en compte leurs aspirations à une amélioration de leur pouvoir d’achat, quand ce ne sera pas le moyen de leur permettre d’assurer leur simple subsistance.

Conscients de cette difficulté, les gouvernements successifs ont cherché, sans y parvenir, à concilier les grands principes démocratiques énoncés dans le préambule du texte fondamental adopté le 26 janvier 2014, avec le combat contre le chômage, un combat cardinal pour l’emploi, dont l’échec serait mortifère pour notre jeune démocratie et pourrait la conduire vers un avenir des plus hasardeux.

C’est dans cette optique que l’ARP a voté à la quasi-unanimité, le 17 juin 2020, une loi instaurant des mécanismes en vue de mettre en œuvre une économie solidaire et sociale, de manière à contribuer à la création d’emplois, en conciliant activité économique et équité sociale, en prenant en compte les principes de solidarité et d’utilité sociale, dans le cadre de partenariats public-privé.

C’est également dans le souci de réduire le chômage, en particulier chez les jeunes, que le Chef du gouvernement, auditionné  le 25 juin à l’ARP, dans le cadre de l’évaluation des cent premiers jours de son gouvernement, a annoncé un programme particulièrement ambitieux consistant à intégrer sur le marché de l’emploi, avec l’aide des institutions publiques, y compris militaires,  environ 250 000 jeunes chômeurs de 15 à 29 ans, vivant dans de mauvaises conditions sociales ;  les détails des mesures de mise en œuvre du projet, devant être donnés au début de l’année prochaine.         

Des mesures circonstancielles, parfaitement pertinentes pour faire rapidement face à une situation qui s’est encore dégradée avec les mesures prises à la suite de la pandémie de coronavirus, mais qui demeurent basées sur l’aide publique, avec une charge supplémentaire importante pour un budget déjà très sollicité par ailleurs.

Des mesures qui, par conséquent, devraient être très vite accompagnées d’autres initiatives pour donner sur le fond un accompagnement à une économie encore fragile, qui devra affronter la dépression mondiale qui se profile à l’horizon.   

La mise en place d’une décentralisation adaptée, ayant pour vocation de concilier démocratie et efficacité économique et qui permettrait aux acteurs économiques et sociaux d’être au plus près des décideurs  politiques pourrait être une clé pour lutter efficacement contre le chômage endémique qui gangrène la société tunisienne.

La décentralisation, qui figure dans la Constitution tunisienne et dont une loi d’application a été votée  à la veille des élections municipales, a été saluée par l’ensemble de la presse, en particulier le journal  Libération qui devait titrer : « La Tunisie fait un bond vers la décentralisation », même si, à l’exception des municipalités élues avec de véritables compétences locales, cette décentralisation n’a pas encore trouvé sa réalisation au niveau d’autres structures pourtant inscrites dans la Constitution.

On a parlé « du long et difficile chemin vers la décentralisation ». C’est un truisme que de dire que plus le pouvoir décisionnel s’exerce près du peuple,  plus la démocratie s’exprimera réellement, avec la prise en compte mieux calibrée des besoins et des aspirations des citoyens.

Mais deux difficultés apparaissent immédiatement.

La première : l’autorité centralisatrice a toujours beaucoup de mal à se déposséder de ses pouvoirs et plus encore à transférer les moyens budgétaires qui vont avec. Elle invoque souvent une nécessaire efficacité, par des mesures d’ordre général et le risque de parcellisation du pouvoir.

La seconde difficulté qui est invoquée est d’ordre financier. La mise en place de structures régionales et départementales, avec bâtiments et personnel coûtent horriblement cher. D’ailleurs dans des pays comme la France, on parle, par souci d’économie,  de réduire le « mille-feuille administratif » où l’on voit des compétences se chevaucher entre les différentes collectivités, ajoutant au coût l’inefficacité.

En Tunisie, le développement des municipalités, au-delà  des seules grandes villes, est un succès. Les citoyens font plus volontiers appel à leur maire qu’ils connaissent qu’à « Tunis » trop grand, trop impersonnel, avec une multitude de services et donc trop compliqué.

Une solution intermédiaire qui prendrait en compte ces inconvénients serait des structures administratives ad hoc rattachées aux municipalités les plus importantes, comprenant des élus municipaux, des représentants des organisations professionnelles, des personnalités compétentes ayant une parfaite connaissance de la situation économique et sociale locale. Une structure plus légère, plus souple, affectée à l’entreprise et à la recherche d’emplois.

En quelque sorte décentraliser l’aide administrative et financière, pour la création d’entreprises et pour celles qui rencontreraient des difficultés ;  faciliter concomitamment la création et la recherche d’emploi et, en cas d’échec, permettre à chacun d’accéder au minimum vital, les deux problématiques devant être traitées par la même structure pour que l’une réponde à l’autre.

Faire du « sur-mesure », du « cas par cas », avec un « guichet unique » de l’économique et du social, afin que tout acteur, social ou économique, ait un seul interlocuteur.

En conclusion, ne pas en rester à une révolution « classique » bien que prise dans son sens le plus noble, mais souvent réduite à des principes, fussent-ils démocratiques, sans projection sur le terrain du réel pour  concilier en quelque sorte liberté et prospérité.

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*Directeur des études à l’Institut africain de l’innovation (IAI)

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