Pain rassis : Tout le monde fait ce qu’il veut !

Il n’est pas rare de voir des personnes ramener chez elles dix, neuf,huit baguettes de pain, un peu plus, un peu moins.
La baguette ne coûte pas cher, et puis, tant pis s’il en restera !

C’est un fait certain, le Tunisien achète une quantité de pain, dépassant de loin ses besoins réels. Il en consomme bien entendu une partie mais adopte très rarement des moyens  pour conserver ce qui en reste.

Signalons qu’à l’occasion du confinement  bien des familles prenaient la précaution de ne se débarrasser du pain restant de la veille qu’au moment où on met la main sur le nouvel arrivage.

Le reste va directement à la poubelle. Pratique courante, encouragée bien entendu par le prix dérisoire de cette denrée. Même les boulangeries produisent des quantités dépassant souvent leurs capacités de commercialisation.

Ces invendus font l’affaire des vendeurs de kaki qui les prennent en charge, les broient et les transforment en petites boules dont raffolent les gamins à la sortie de l’école. Et même les adultes.

Inutile de préciser que la majorité du pain récupéré dans les poubelles ne va pas, contrairement à ce qu’on dit pour servir d’aliment de bétail, mais est aussi transformé et écoulés sous diverses formes. C’est du bénéfice net.

«Près de sept millions de pains sont préparés quotidiennement en Tunisie, dont près de trois millions de baguettes et quatre millions de gros pains».

«Sur cette production on compte un million de pains, surtout en haute saison touristique, qui retournent quotidiennement aux boulangeries. Le coût du gaspillage du pain est évalué à plus de 100 millions de dinars au niveau des boulangeries, des unités d’huileries, des ménages et des restaurants universitaires».

Une qualité quelconque

Dans un pays où sont nés ou issus les meilleurs artisans fabricants de la fameuse « baguette » française, les artisans d’origine tunisienne se succèdent au  podium du Grand Prix de la meilleure baguette parisienne, rares sont les boulangeries de chez nous qui vous fournissent un pain réellement consommable. Une fois refroidi, ce pain, fait à la va-vite, se transforme en câble en caoutchouc ou en barre de plastique souple.

Quant à la composition de ce pain, Dieu seul le sait. Un nutritionniste, sourire aux lèvres, a tout résumé en quelques mots : «On y met de tout et chacun y va de sa propre recette. Cela va d’un excès de sel ou de sucre, aux produits pharmaceutiques qui activent ou agissent d’une manière ou d’une autre sur la pâte. Comme on n’est pas trop regardant, c’est un véritable scandale ».

Pourtant, il y a de très bons artisans qui fabriquent du bon pain (avec de la farine compensée !) mais qui est vendu à un prix beaucoup plus élevé.

De toutes les façons et pour ne pas généraliser, il y a des boulangeries qui vous vendent du pain de bonne qualité. « Nous utilisons la même farine que les autres, elle diffère de jour en jour, mais nous utilisons ce qu’il faut pour le reste. Nous donnons le temps exigé pour laisser le pain lever, surveillons la cuisson et nous essayons de garder les bonnes vieilles habitudes qui ont fait notre réputation», nous a déclaré un boulanger d’El Menzah 5 qui a peu d’invendus et qui tourne à plein régime.

Un autre boulanger nous explique que « les jeunes qui viennent ne restent pas. Ils partent, après avoir appris le métier. Nous repartons toujours à zéro et nous composons avec ce dont nous disposons comme personnel. Un personnel qui se fait rare et veut être payé très cher».

Les principaux critères

Les baguettes  devraient, par ailleurs, mesurer entre 55 et 70 centimètres, peser le poids officiellement retenu et convenu (rarement respecté) avoir une teneur en sel d’un niveau de 18 grammes par kilo de farine. La cuisson, le goût, la mie, l’odeur, l’aspect sont pris en considération.

Mais ces critères ne sont presque jamais respectés. Le marché étant preneur, les risques limités, tout est bon à mettre sur le comptoir.

En l’absence d’une organisation encourageant la bonne fabrication, la qualité et la fiabilité, tout le monde « fait ce qu’il veut ».

Le prix du pain

Un prix dérisoire : il est de 190 millimes. Mais le consommateur paie en fait 200 millimes. Ces dix millimes que ni une grande surface, ni un épicier ou un boulanger ne vous rendra, va dans les poches de ces opérateurs.

«Le fait de ne pas rendre la petite monnaie a ancré chez le citoyen l’idée que le prix de la baguette est de 200 millimes, au lieu de 190 millimes». C’est ce que souligne le président de l’Organisation de défense du consommateur.

Les boulangers , pour leur part, font prévaloir que les dix millimes non rendus représentent le coût du sachet fourni pour empaqueter les baguettes. Cette «petite monnaie» n’est pas rendue même si on enveloppe plus d’une baguette dans un sac.

Les analystes font prévaloir que cette pratique est  devenue une pratique courante. En refaisant le calcul et en multipliant le résultat par les nombres de jours par an, on se rend compte que ce sont en fait plus de 1.016,890 millions de baguettes de pains qui sont fabriqués par an. En gardant les 0,010 DT de monnaie chez eux, ce sont en fait annuellement 10,168 MDT  hors taxes car non déclarés qui vont dans les poches des épiciers et des boulangers.

L’INC avait proposé à une certaine époque au gouvernement une «stratégie pour la «rationalisation du coût de la subvention des produits de consommation de base, à travers l’adoption d’un comportement de consommation qui limite le gaspillage des produits compensés et notamment le pain».

En pure perte. Alors que cet argent récupéré aurait pu servir à réaliser bien des choses au service du citoyen. Pourquoi dans ce cas n’augmenterait-on  pas de 10 millimes le prix de la baguette ?  Une augmentation qui n’aura aucune  répercussion  sur le pouvoir d’achat du Tunisien  puisque par escroquerie, prévarication perversité, détournement, il la paie déjà.

Au moins qu’il la paie à la bonne personne et à la bonne cause.

Notons que  la loi tunisienne relative à la protection du consommateur prévoit des sanctions contre la tromperie et les tentatives d’arnaque. Ce sont des infractions au principe d’intégrité des transactions commerciales. Et elles sont punies d’amendes ou de peines d’emprisonnement, selon la gravité des actes commis.

La journée du pain

Il y a des journées du raisin, des agrumes, du couscous et autres manifestations devenues traditionnelles. Pourquoi, ne verrait-on pas les responsables de ce secteur de la boulangerie en collaboration avec l’ODC, par exemple, lancer une « journée du pain », à l’issue de laquelle les meilleurs artisans auront l’occasion de se mettre en évidence, tout en provoquant cette émulation créatrice qui sera du meilleur effet ?

Cela encouragera les artisans, les vrais, améliorera la qualité de cette denrée importante dans la vie du Tunisien et peut-être sera-t-elle une occasion de relancer ce secteur où les arrivistes deviennent de plus en plus nombreux.

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