Vote de confiance en faveur du Gouvernement Méchichi : La Tunisie dans l’attente d’un grand réformateur

Celui qui gagnera (notre estime) et qui méritera de la nation sera celui qui arrivera à réunir tout le monde autour d’un objectif unique : appliquer les grandes réformes. 

Dans une Tunisie où les gouvernements viennent et repartent à une cadence effrénée, le vote de confiance au gouvernement dirigé par Hichem Mechichi, le troisième en moins de dix mois, a démarré hier vers 9h30, au palais du Bardo, suscitant peu d’enthousiasme.

Le président du Parlement, Rached Ghannouchi, annonce le programme de la séance de confiance en faveur ou contre cette nouvelle équipe, affublée du double titre, indépendante et compétente. Celui de ‘‘restreinte’’ a été sitôt retiré. Celle-ci compte 25 maroquins ministériels et 3 secrétaires d’Etat. Pour un pays comme le nôtre, c’est loin d’être un gouvernement resserré.

Le Chef du gouvernement « en instance » a décliné son programme de politique générale face à des travées clairsemées. 156 élus ont daigné faire le déplacement sur 217. N’eût été cette persistante question, douloureuse, même, d’où le nouveau prétendant à la Kasbah allait-il puiser les fonds pour mettre en œuvre les réformes annoncées ? Son intervention aurait pu avoir du sens, du moins convaincre quelque peu. Sauf que la situation est ce qu’elle est ; déficit budgétaire chronique, caisses vides, indicateurs au rouge, prêteurs internationaux de plus en plus récalcitrants. Une dégradation constante de la situation budgétaire et économique à laquelle s’ajoutent la crise sanitaire, l’explosion du chômage et la faillite de centaines de PME. La feuille de route signée Mechichi ne peut être perçue que comme un nouveau catalogue de vœux pieux. Jusqu’à preuve du contraire.

Hichem Méchichi, posture bien droite, visage fermé, prononçant un discours écrit en arabe littéraire, compréhensible, a fait ses premiers pas à la Chambre, précédé, hélas, d’incidents qui ont tôt fait d’entacher son image et sa crédibilité. D’ailleurs, un grand nombre de députés n’ont pas manqué l’occasion de lui rappeler la valse désordonnée du ministre de la Culture proposé et bien d’autres trébuchements. Lui signifiant au passage que la Constitution lui accorde les attributions d’un Chef de gouvernement et non d’un Premier ministre. Au cas où il l’aurait oublié.

Une séance longue comme un jour sans pain

Dans d’autres nations, plus au fait des pratiques politiques, ou tout simplement dont les hauts fonctionnaires chargés d’organiser des séances de cette facture sont dotés d’un minimum de bons sens, une plénière comme celle-ci n’est pas une audition du Chef du gouvernement, encore moins un contrôle de l’action gouvernementale.

C’est une séance publique de vote de confiance. La différence en nature est de taille. Les élus votent la confiance ou pas au nouveau gouvernement. Ainsi et idéalement, à l’issue du discours de politique générale, dans lequel le chef en titre précise en détail et chiffres à l’appui de quelle manière il compte mettre en œuvre son programme, des prises de parole sont accordées aux présidents des blocs parlementaires. Ensuite, le vote est lancé. Au bout de trois heures, la nouvelle équipe est mise en place ou écartée. Et l’affaire est pliée.  

Chez nous, depuis dix ans, et malgré la pléthore de gouvernements qui se sont succédé, les hauts fonctionnaires des deux institutions, le Bardo et la Kasbah, n’ont jamais pensé organiser cette séance selon la spécificité de son ordre du jour.

De deux choses l’une; si le gouvernement obtient la confiance, ses membres ont des passations à organiser, des cabinets à former et des affaires urgentes à traiter. S’ils ne l’obtiennent pas, à quoi bon leur relater avec force détails les problèmes et les doléances de leurs régions respectives et des citoyens-électeurs, alors qu’ils vont de ce cas rentrer chez eux ? Dans un cas comme dans l’autre, pourquoi les retenir si longtemps ?

Depuis dix ans, cette séance interminable de vote de confiance a dévié de son objectif principal. Pouvant — c’est arrivé — dépasser les 24 heures, avec des pauses pour se sustenter, rentrer tardivement dormir un peu et reprendre le lendemain. Tous les concernés présents, l’opinion publique, les journalistes, sont las et fatigués et un temps précieux inutilement perdu.

Sans parler — fait important — que les journaux, format papier, avec les contraintes que l’on sait, bouclent sans que le suffrage ne soit proclamé en temps et en heure. Il le sera le lendemain. Exit l’effet d’annonce.  La publication des analyses qui éclairent et expliquent le verdict seront également différées. 

Cette fois encore, cherchant de nouvelles ficelles oratoires, les «respectables» députés, ainsi sont-ils inlassablement désignés, qui se sont inscrits sur l’interminable liste de prise de parole, s’en donnent à cœur joie et face aux caméras, au classique petit concours d’éloquence, avec plus ou moins de bonheur.

Dans le tas, quelques informations importantes sont distillées. La coalition Al Karama et le parti PDL, aussi antinomiques soient-ils, dans leurs valeurs fondatrices autant que leur positionnement sur l’échiquier politique, ont annoncé d’ores et déjà qu’ils allaient grossir les rangs de l’opposition. D’autres blocs jouent le suspense.

Le pouce pointé vers le haut ou vers le bas 

Sinon et après avoir perdu son emprise sur le paysage politique, Rached Ghannouchi tirant également profit des maladresses d’autrui — s’y ajoute une habileté manœuvrière sans pareille — a repris la main. Une fois encore, c’est lui qui soufflera le chaud et le froid.

Plus d’une cinquantaine de sièges dans son arsenal, sans parler des partis alliés et des voix dites indépendantes qui se rallient au premier coup de sifflet. C’est le président du Parlement au plus fort d’une jouvence politique retrouvée qui donnera le signal par le pouce pointé vers le haut ou vers le bas pour que Méchichi s’installe sous les dorures de la Kasbah, ou s’en va affronter un destin inconnu.

Quoi qu’il en soit, au moment où s’achève ce compte rendu, le vote n’a pas encore eu lieu. Mais quelle que soit l’issue du scrutin, ce qui compte finalement, ce n’est pas qu’un tel ait marqué un point ou pas. Ni même le score. Ce qui est primordial en revanche, c’est l’intérêt du pays et des Tunisiens.

A quoi ressemble la Tunisie d’aujourd’hui ? A un ménage dont le père de famille est endetté jusqu’au cou, parce qu’il dépense davantage que ses revenus. Du coup, trois solutions se présentent à lui : augmenter ses revenus ; baisser ses dépenses; ou mixer les deux. Sinon, plus aucune banque ne lui prêtera. C’est bientôt le cas.

Alors, que ce chef de ménage soit bon boxeur ou pas, importe peu. Ce qui compte à la fin, c’est d’avoir la volonté et la capacité de faire les réformes indispensables. Des réformes douloureuses et impopulaires, comme réduire le train de vie de l’Etat, faire baisser la masse salariale, diminuer le nombre de fonctionnaires, assainir les finances publiques. Alors, qu’il s’appelle Mechichi, Fakhfakh, Chahed ou un illustre inconnu, il lui faudra travailler, réformer et avoir le courage de le faire. Celui qui gagnera (notre estime) et qui méritera de la nation sera celui qui arrivera à réunir tout le monde autour d’un objectif unique : appliquer les grandes réformes.

 Lorsque vous lirez ces lignes, l’issue du vote sera connue. Posez-vous alors une seule question: aurons-nous un exécutif ayant un soutien suffisant à l’Assemblée pour réaliser les réformes ou pas ? Tout le reste est littérature, mauvaise par-dessus le marché.

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