Revenu dans son pays natal, Kaïs Dhifi y cherche des échos, des strates, n’en découvre que des vestiges, des ponctuations d’un univers imaginaire. Il en a fait la cité des poètes, poètes silencieux d’une poésie mutique auxquels il donne image à défaut de donner une voix.
C’est une cité étrange, faite de vides et de riens, une cité que l’homme a désertée et livrée aux vents et aux sables. Cela pourrait être une ville oubliée, une cité abolie, un paysage occulté. Rien ici ne témoigne de l’agitation du quotidien, de la frénésie de la civilisation, hormis quelques traces devenues elles-mêmes poétiques : un tumulus de pierres, une éolienne, un arc de triomphe dérisoire.
Kaïs Dhifi y est arrivé après avoir fait le tour du monde. Revenu dans son pays natal, il y cherche des échos, des strates, n’en découvre que des vestiges, des ponctuations d’un univers imaginaire. Il en a fait la cité des poètes, poètes silencieux d’une poésie mutique auxquels il donne image à défaut de donner une voix. Non qu’il n’en soit point capable d’ailleurs. Car cet étonnant jeune homme joue sur tous les fronts. Il semblerait que rien de ce qui relève de la création ne lui soit étranger. Graphiste, scénographe, photographe, plasticien, que sais- je encore, il va là où le portent sa curiosité, son intérêt du moment, son émotion de l’instant. L’instant qui nous concerne est celui de la photo. Promenant sur le bord du chemin un regard dont on n’arrive pas à savoir s’il est innocent, il se fait « éveil et découverte », mais aussi révélation, mise à nu, dénonciation. Dans ce cheminement complexe, pas toujours aisé à décrypter, Kaïs Dhifi distille de la magie, dévoile un univers de succubes et d’incubes qu’il est le seul à percevoir et qu’il s’attache à dévoiler pour nous.
Le livre réunissant ces quelque cinquante photos était présenté l’autre jour, dans un terrain vague où jusque-là seules broutaient les chèvres qui protestaient vigoureusement contre cette intempestive intrusion. Là, au pays de nulle part —il avait fallu google map pour y parvenir—, on avait dressé des tréteaux, tendu de vieilles bâches, et accroché les photos sur du grillage de poulet. Un circuit balisé permettait d’accéder à cette Tunisie qu’exposait Kaïs Dhifi pour illustrer la parution de l’ouvrage. Une Tunisie dépouillée d’artifices, qui ne cherchait pas à faire « joli », qui n’ambitionnait pas de se vendre, mais qui nous mettait face à une réalité qu’on avait oublié de savoir regarder. Le livre aussi était totalement dépouillé d’artifices, au-delà du minimalisme, refusant de distraire le regard par des textes ou des légendes, par une couverture ou une jaquette, invitant (le lecteur) à aller directement à l’essentiel : l’image. Et pour rester dans le mood de cette Tunisie brute de décoffrage, dans cette approche abrupte, sincère, poétique malgré tout dans ce dépouillement, on avait évoqué les souvenirs d’enfance pour offrir aux visiteurs kakis, pralines, yoyos et glibettes. Noires et blanches bien sûr.