Ali Fekih, spécialiste de musique électronique, à La Presse : «Le DJ est aujourd’hui un artiste, ce n’est plus un passeur de musique»

Après avoir vécu au Canada pendant 22 ans où il a travaillé dans le domaine de l’événementiel et des festivals internationaux de musique électronique, Ali Fekih est de retour en Tunisie où il s’est installé définitivement depuis cinq  années. Il représente deux labels de musique électronique en Tunisie : «Do Not Sit On The Furniture » référencé au fameux DJ International américano-iranien qui vit aux Etats-Unis, Behrouz, et le label montréalais, «Mélomenia Record» de Paso Doble, l’un des producteurs du DJ international sud-africain Black Coffee. Entretien.

Vos déclarations diffusées dans une vidéo sur les réseaux sociaux ont suscité une sorte de polémique chez les professionnels des festivals…

En fait, la vidéo est extraite d’une interview qui a duré une heure et demie, mais la façon dont elle a été montée a induit tout le monde en erreur et a créé cette polémique et je tiens à présenter mes excuses auprès de mes collègues professionnels des festivals internationaux, entre autres celui de Carthage. Cela dit, lors de cette interview, j’ai bien précisé que ce que je disais ne concernait que les festivals de musique électronique et pas des festivals en général.  Que mes collègues   ne se sentent pas visés, ce sont des gens que je respecte.

Aujourd’hui, les temps ont changé et on   assiste ont à une nouvelle ère dans la musique électronique et de l’événementiel…   

En effet, aujourd’hui, un DJ est devenu un artiste avec le rang et le statut des grands noms de la musique. On traite aujourd’hui avec un seul artiste et pas avec un groupe. Aujourd’hui, il y a des DJ qui remplissent des stades de 100 à 150 mille spectateurs. Si on ramène par exemple un DJ de gros calibre au festival de Carthage, il remplira tout l’amphithéâtre.  Je cite, par exemple, Solomun, Danny Tenaglia, Luciano, Black Coffee et la liste est longue… Cela permettra de promouvoir un nouveau tourisme culturel et de constituer une rentrée de devises pour la Tunisie.

Comment cela ?

En effet, c’est une collaboration entre le ministère du Tourisme et le ministère des Affaires culturelles qui, s’ils arrivent à faire la promotion dans un délai raisonnable avec la collaboration de notre transporteur national en créant des packages incluant l’hôtel, ils feraient rentrer des devises. Cela coûterait moins cher et ces grands noms du clubbing ont leurs fans qui viendront les regarder des quatre coins du monde. Ils ont un public acquis qui les suit partout. Les clubbers   garderont aussi un bon souvenir de la Tunisie et de ses sites archéologiques. C’est un autre genre de tourisme. La direction générale des patrimoines et le ministère de la Culture ont organisé des événements avec des DJ internationaux dans les plus grands sites archéologiques. Et les photos de ces sites ont circulé dans le monde entier.

En quoi consiste la contrainte avec l’Etat pour lancer ce genre de festivals de musique électronique en Tunisie  ?

Ce qu’on demande, c’est une collaboration de la part de l’Etat sous forme d’un cahier des charges clair pour faire un festival de musique électronique. Djerba Fest est un excellent concept de festival de musique électronique et j’espère que ça va durer longtemps. Mais pourquoi pas Hammamet, Mahdia ou Kef Fest ? Ce sont des festivals qui vont animer la région économiquement. On demande donc une collaboration et un cahier des charges qui établissent les relations pour ce genre d’évènements. Nous ne demandons pas une subvention financière, mais on demande à ce qu’on nous facilite les procédures, comme les transferts des paiements pour le règlement des cachets d’artistes dans les délais requis ainsi que l’obtention d’autorisations nécessaires pour l’avancement du processus du festival en question.

Nous devons travailler aussi notre manière de recevoir les artistes car plusieurs d’entre eux rentrent souvent mécontents de l’accueil de nos festivals.

En effet, il y a un grand travail sur ce qu’on appelle « Artists accommodation and Hospitality ». C’est-à-dire respecter la feuille de route qui détermine les demandes particulières de l’artiste en question, par exemple… y a-t-il des aliments qui lui sont interdits ? (Car il peut être diabétique ou cardiaque ou allergique). Sur le plan technique, il faut fournir les équipements demandés par l’artiste et veiller sur la ponctualité de son accueil. Malheureusement, on ne prend pas ça très au sérieux et on reste à la merci d’un tweet de la part de cet artiste pour que la destination Tunisie soit grillée et on aimerait améliorer certaines routines afin de préserver l’image et la réputation de notre pays.

Pourquoi les DJ tunisiens ne se déplacent pas autant à l’échelle internationale pour des prestations ?

C’est très simple ! Parce qu’ils n’ont pas de statut professionnel formel et le métier de DJ/Producteur de musiques électroniques n’est considéré en tant qu’artiste officiellement de la part du ministère de la Culture que seulement depuis les 5 dernières années, mais suite à la carte professionnelle, cela leur faciliterait l’accès à ce monde ou du moins pour obtenir ne serait-ce qu’un visa. En deux mots ils ne sont pas reconnus en tant qu’artiste et c’est un énorme manque de respect pour les talentueux DJ tunisiens qui seront capables de se mesurer aux pointures internationales un jour. Le DJ est aujourd’hui un artiste, ce n’est plus un passeur de musique. Il mérite d’être reconnu par le ministère de la Culture parce que, en plus, ce sont des gens qui vivent grâce à ce métier. C’est le moment de prendre en compte que les DJ sont des ambassadeurs de la scène électronique tunisienne      

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