Programme «Ahmini» : L’information circule mal

Les drames dont ont été victimes, le mois dernier, les ouvrières agricoles ont permis de braquer les projecteurs sur cette frange silencieuse du monde rural qui compte de nombreuses laissées-pour-compte vivant dans des conditions de précarité extrême. Si le lancement du programme «Ahmini» apporte une nouvelle note d’espoir, il n’a pas été accompagné de campagnes d’information et de communication ciblant, à grande échelle, la population concernée. En effet, près de la moitié des femmes concernées ignorent l’existence de ce programme

Les multiples drames engendrés par les nombreux accidents de la route, qui ont fait, ces dernières semaines, plusieurs décès parmi les ouvrières agricoles, ont, enfin, poussé le gouvernement à réagir, promptement, pour tenter de mettre fin à ces tragédies et garantir une couverture sociale à celles qui ont été souvent qualifiées de damnées de la terre, avec l’instauration d’un nouveau programme intitulé «Ahmini» ou «protège moi» lequel devrait profiter à près d’un demi-million de femmes travaillant dans le secteur agricole à travers tout le territoire.

Déjà, le coup d’envoi des opérations d’inscription à ce nouveau régime de couverture sociale en faveur des ouvrières agricoles a démarré la semaine dernière dans les deux gouvernorats de Jendouba et de Béjà où des actions ciblées pour sensibiliser les femmes concernées à l’importance qu’il y a d’adhérer à ce projet ont été initiées, et ce, afin de tenter de mettre fin à leurs conditions sociales très précaires qui ont, malheureusement, longtemps marqué l’emploi dans le secteur agricole et fait de la femme rurale, non un levier de croissance pour le développement humain mais plutôt une catégorie sociale surexploitée, souvent à dessein, et livrée à la misère du temps et aux caprices de dame nature.

Mais là où le bât blesse c’est que plus de la moitié des femmes ciblées par le projet n’en sont pas informées et ignorent même son existence. C’est, en tout cas, ce qui ressort des déclarations des nombreuses ouvrières contactées qui se considèrent laissées pour compte.

Vendredi, le ministre de l’Industrie, des Petites et Moyennes entreprises a même procédé, à Béjà, à la distribution d ‘un millier de téléphones portables en faveur des femmes travaillant dans le secteur agricole pour les inciter à s’inscrire à l’application «Ahmini» (protège-moi) qui va leur permettre, selon le ministre, de bénéficier de la couverture sociale, notamment en matière de soins et de régime de retraite, qu’elles ont longtemps revendiqués, mais en vain. «Il aura fallu tous ces drames survenus sur la route pour qu’on se tourne enfin vers nous et qu’on s’intéresse à notre condition matérielle et sociale précaire», nous confie Zoubeida, une quinquagénaire travaillant dans une nouvelle zone de plantation de tomates dans la localité de Abida non loin du Kef, le visage  buriné par le soleil  mais toujours souriant.

Selon elle, ce programme permettra de soulager un peu sa misère et celle de son ménage. Sa compagne Halima évoque aussi son amertume face à ce qu’elle qualifie de «misère de la vie». «J’ai trois bouches à nourrir et je dois veiller à ce que mes enfants n’abandonnent pas l’école», nous explique-t-elle. Je me suis résignée à devenir ouvrière agricole et travailler aux champs car je n’ai pas d’autres moyens de subsistance d’autant que mon mari est devenu partiellement handicapé suite à un accident de la route». Elle fait tout cependant pour lui assurer une qualité de vie respectable car il représente pour elle le seul réconfort dans une vie remplie de vicissitudes.  

Le nouveau système de couverture sociale devrait aussi s’accompagner de mesures pour garantir le transport des ouvrières aux champs de travail, mais aucune option définitive n’a été retenue à cet effet, car la situation semble complexe dans le secteur agricole et requiert plusieurs diligences pour pouvoir venir à bout de ce problème épineux de transport des ouvrières agricoles et trouver  la bonne péréquation qui satisfait les uns et les autres.

En l’occurrence, les employeurs qui vont devoir composer avec cette nouvelle donne sécuritaire et investir beaucoup pour se procurer des ouvrières et rentrer dans leurs frais, d’autant que de nombreux exploitants agricoles se disent à bout de souffle à cause de la hausse des coûts des production et des charges sociales devenues lourdes pour eux, comme l’explique Hamadi , une petit exploitant dans la zone de Semmana, une localité du  Kef, qui, dit-il, arrive difficilement à se procurer des ouvrières pour la cueillette des petits pois.

Le nouveau régime de sécurité sociale est appelé à venir en aide aux ouvrières agricoles et à la femme rurale en général  mais suffira-t-il à mettre fin à tous les drames de la route et à la misère et la précarité dans le monde rural? Seul l’avenir nous le dira. 

Jamel TAIBI

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