Mesures gouvernementales pour contrer la crise sanitaire: Les hommes de culture en colère

La Cité de la culture a accueilli hier matin des professionnels de la culture mobilisés contre les dernières mesures du Chef du gouvernement concernant l’arrêt pour quinze jours des activités festives et culturelles. Ces décisions mettent, selon les protestataires, encore plus en berne un secteur qui a du mal à se relever d’une période de confinement et de déconfinement ciblé.

Hier matin, ils se sont rassemblés dans le grand patio de la Cité de la culture, face à l’Opéra. Des hommes et des femmes travaillant dans toutes les filières des arts et de la culture : théâtre, cinéma, danse, production cinématographique et télévisuelle, arts visuels, poésie… Leur sit-in intervient à la suite des dernières décisions du Chef du gouvernement Hichem Mechichi annoncées samedi soir 3 octobre dans une allocation télévisée adressée à la nation. Il y déclarait entre autres que la situation épidémiologique dans le pays suscitant de vives inquiétudes et le coronavirus enregistrant depuis quelques jours des taux de contamination record, une série de mesures s’imposait visant à limiter la propagation rapide du Covid-19. Parmi ces mesures, Mechichi décrétait : «  l’interdiction de toutes  les manifestations quelle que soit leur nature : sportives, culturelles, politiques, ainsi que les mariages ».

L’arrêt une seconde fois de la vie culturelle du pays, après une longue période de confinement et de déconfinement ciblé au cours de cette année, provoque l’ire d’une partie du monde artistique tunisien. Un sentiment de marginalité domine les propos des manifestants : « Nous sommes la cinquième roue du carrosse », s’insurgent-ils.

Ici à la Cité de la culture, la programmation théâtrale et cinématographique devait pourtant reprendre au cours de cette semaine. Les nouveaux reports alarment visiblement les professionnels d’un secteur livré à lui-même. Aucun dispositif de soutien n’a été jusque-là mis en place par le gouvernement pour venir en aide à un secteur sinistré.

« Ne nous affamez pas ! »

Le sit-in a été organisé par le Syndicat de base des métiers des arts dramatiques. Il a vu la participation de beaucoup de jeunes artistes, des intermittents du spectacle ainsi que des personnalités reconnues du secteur de la culture, dont Jalila Baccar, Salma Baccar, Fadhel Jaibi, Taoufik Jebali…

« Nous rejetons le confinement général de la culture », lit-on sur une des pancartes des manifestants.

« Laissez vivre la culture ! », brandit sur une feuille de carton un jeune danseur.

Pour l’actrice Chekra Rammah, la décision du chef du gouvernement est à la fois unilatérale et absurde : « D’autant plus que le monde du spectacle, qui a vu son public se réduire comme une peau de chagrin ces derniers temps, est très soucieux et engagé pour appliquer le protocole sanitaire ».

Mourad Ben Cheikh, réalisateur de cinéma, ne décolère pas : « Les règles ne s’appliquent pas à tout le monde de la même manière. On laisse les cafés et les restaurants ouverts, avec des chaises débordant sur les trottoirs, et on ferme l’univers de la culture. Cette décision démontre bien à quel point la culture n’est pas considérée comme une vraie industrie ».

Oussama Ghoulam, jeune acteur de théâtre, fait partie du Syndicat de base des métiers des arts dramatiques, il est l’une des chevilles ouvrières du sit-in. Il dénonce à voix nue la marginalisation du secteur du théâtre : « Ils nous affament », clame-t-il.

« Il faudrait organiser notre prochaine protestation à La Kasbah, devant le siège du Palais du gouvernement, là où se prennent les décisions », ajoute le jeune homme.

Mais voilà qu’arrive le ministre de la Culture, Walid Zidi. Il écoute les protestataires pendant au moins vingt minutes. Puis monte dans l’un des bureaux de la Cité de la culture pour discuter en petit comité avec les organisateurs de la manifestation de la colère.

« Je n’ai pas beaucoup d’espoir. Ce genre de mobilisation n’a jusqu’ici mené à rien. Il nous faut une vraie vision politique pour la culture. Voyez notre situation à nous par exemple, les intermittents du spectacle, malgré nos diplômes et nos projets, nous ne disposons d’aucun statut, ni de cadre juridique, ni de couverture sociale. Nous n’existons ni dans les statistiques relatives à la population active, ni dans celles recensant les chômeurs. Nous ne sommes pourtant que 2 000 individus, une solution aurait pu être trouvée pour résoudre nos problèmes. Mais en dix ans de post-révolution, nous avons compté 8 ministres de la Culture, chacun effaçant ce que son prédécesseur à construit », témoigne Ines Ben Othman, jeune réalisatrice de documentaires.

Après le départ du ministre, des groupes d’artistes et de femmes et d’hommes de culture continuent à discuter entre eux et à s’inquiéter à propos de jours d’incertitude, d’angoisse et de précarité à venir…

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