Hamadi Chiheb, ancien milieu de terrain de l’ASM: «Le technicien doit être seul maître à bord»


Il figure parmi les tout premiers footballeurs tunisiens partis faire fortune dans le football professionnel, ou semi-professionnel d’Europe à une époque où les clubs tunisiens retenaient jalousement leurs joueurs.


En Allemagne, Hamadi Chiheb a croisé le chemin de l’incomparable Wolfgang Overath dans le derby de la ville de la Rhénanie-du Nord-Westphalie. Appartenant à la catégorie communément appelée «force de la nature», l’enfant terrible de l’Avenir de La Marsa regrette qu’on en arrive aujourd’hui au règne sans partage des intrus. «La majorité de ceux qui gouvernent le sport-roi n’ont jamais manipulé un ballon de foot», déplore-t-il.

Hamadi Chiheb, dites-nous d’abord: comment êtes-vous parti vers l’aventure professionnelle en Allemagne ?

Le 20 mars 1966, j’ai joué avec l’équipe nationale un match amical contre Dynamo Moscou. J’ai marqué le premier but, puis j’ai tiré sur la barre, l’attaquant stadiste Moncef Cherif reprenant alors la balle pour signer le deuxième but. Nous l’avons emporté (2-1). Le 25 juillet de la même année, nous avons effectué un déplacement en Allemagne pour un match amical contre l’Armée de Cologne. La Tunisie a gagné (3-2) grâce à un doublé de Moncef Cherif et un but de Tahar Chaïbi. Après ce match, le kiné de la sélection Hmid Dhib vint nous dire que l’émissaire d’un club allemand présent à ce match voulait engager les numéros 8 (Tahar Chaïbi) et 10 (moi-même). Mon salaire était de 29 dinars qui étaient engloutis dans les frais de l’essence pour mon scooter, les casse-croûtes… Je venais de terminer un stage dans une société d’impression à Tunis. L’offre était forcément alléchante afin d’améliorer ma situation. J’ai dit oui à cet agent. Une fois en Allemagne, qui s’appelait alors la République fédérale allemande, à partir du moment où j’étais qualifié pour Fortuna Cologne, un club de D2, je n’ai plus quitté l’équipe titulaire. J’ai énormément souffert lors des deux premiers mois en raison du rythme infernal des entraînements. Cela exige de grandes ressources physiques. Mais, par la suite, j’ai gagné le pari au point que la presse allemande a écrit que «Chiheb avait quatre poumons». C’est simple, il ne faut pas se casser la tête et s’acheter une tonne d’aspirine pour comprendre qu’en Allemagne, sans un physique de fer, vous ne pouvez pas réussir.

Avez-vous reçu d’autres offres ?

Arminia Bielefeld, le PSV Eindhoven et le Standard Liège voulaient m’engager. Toutefois, mon président au SC Fortuna Koln ne voulait pas me donner mon bon de sortie. Au cours de la dernière saison de mon contrat quadriennal, le club avait accédé en Bundesliga 1, mais je n’ai pas joué car j’étais en conflit avec mon président et avec mon entraîneur Hans Loring. Le patron du club a engagé Gerd Zimmerman qui arrivait de Borussia Moenchengladbach. Les gens disaient à notre patron que le nouveau coach ne voulait pas de Chiheb dans son effectif. Il leur rétorquait : «L’argent est mien, j’en fais ce que je veux!». Par la suite, je suis parti au SC Bonner, on a échoué aux barrages d’accession en première division. Ensuite, deux saisons à Duisburg. Pour ma dernière saison, j’ai signé à Munster. A mon retour en Tunisie, j’aurais pu continuer durant cinq bonnes saisons, surtout que j’observais une hygiène de vie rigoureuse. Mais j’avais déjà mis sur pied un petit projet, un bain maure qui me prenait tout mon temps.

Comme tout cela doit vous sembler très très loin !

Ah oui. La vie court court à perdre haleine. Il ne reste que les souvenirs. Il y a quelques années, j’ai demandé à mon fils Khaled, qui travaille neurologue en Allemagne de me faire visiter les locaux de Fortuna Koln. 45 ans après, j’y ai retrouvé mes anciens coéquipiers Karl Lambertin et Wolfgang Fahrian, le gardien de la sélection allemande entre 1962 et 1964 qui s’est reconverti en agent de joueurs. Il a été d’ailleurs à l’origine du transfert de Nabil Maâloul à Hanovre. Grandes accolades, un grand moment d’émotion.

Au fait, comment êtes-vous venu au football ?

J’ai vu le jour à Halfaouine. Je me suis entraîné sans licence avec l’Espérance Sportive de Tunis, avant que ma famille n’émigre à Jebel Lahmar où habitait l’entraîneur Rachid Turki. Ce dernier m’invita à signer avec l’Avenir Musulman (actuel ASM). D’ailleurs, cela n’a pas trainé parmi les jeunes catégories, puisque j’ai aussitôt rejoint l’équipe seniors où il y avait les Kechiche et Ferjani Derouiche comme gardiens, Ali Klibi, Mokhtar Chelbi, Hedi Douiri, Aniba, Ali Selmi, Taoufik Ben Othmane… Mon premier match, je l’ai disputé au Kram, étant donné que le terrain de La Marsa subissait en ce temps-là des travaux. Contre El Makarem Mahdia, l’Avenir a mené (3-0) avant d’être battu (4-3).

Vos parents ont-ils encouragé le choix d’une carrière sportive ?

Ils ne m’en voulaient pas vraiment même si tout le monde considérait le foot comme une occupation malsaine. C’était l’impression générale dans les années 1960-70. La famille de mon père Ali avait beaucoup de terrains à La Manouba. Mon grand-père était garde-corps du Bey. Son père dressait les chevaux du Bey. Ma mère Khedija est Tunisoise. Je n’ai pas mené très loin mes études, tout juste au niveau du primaire. Maintenant, ma famille, composée de deux enfants, est également sportive. Ma fille Yosr, 47 ans, est Prof de sport. Sabri, l’enfant de Khaled, le neurologue de 50 ans installé depuis huit ans en Allemagne est joueur cadet à Cologne.

Quels furent vos entraîneurs ?

A l’Avenir, Rachid Turki, Pazmandy et Hmid Dhib.

L’ASM pratiquait-il déjà le hors jeu qui allait devenir sa marque de fabrique ?

Oui. Sauf que, si tout le monde s’accorde à dire que Pazmandy a installé cette stratégie-là, je dois préciser qu’avant d’être instituée par le technicien hongrois, il y eut un arrière central, Youssef Zguenni, qui faisait adopter à notre défense le hors jeu. Il venait de l’US Maghrébine, je crois. Lors des présentations, avant chaque finale de coupe que nous avons disputée, le président Bourguiba nous lançait, un peu amusé : «Voilà donc l’équipe qui pratique le hors jeu !». Avant la finale perdue devant le Club Africain, en écoutant Bourguiba faire cette remarque, Foued Mbazaâ, un Clubiste notoire, en a ri à gorge déployée. Une façon comme une autre de nous mettre la pression.

Quel a été votre meilleur match ?

Contre l’EST en demi-finale de la coupe de Tunisie 1960-61. Nous avons gagné 3-0, et j’ai marqué les trois buts. Nous étions quatre juniors dans la formation de l’Avenir Musulman : Hedi Douiri, Ammar Merrichko, Ali «Toto» Klibi et moi-même. Nous allions remporter le trophée en étrillant le ST (3-0) lors de la deuxième édition de la finale (0-0 lors de la première). Il y a également le match de coupe face à l’ESS à La Marsa. Nous étions menés (1-0) jusqu’à la dernière minute. Notre gardien Kechiche me transmet le ballon devant nos 18 mètres. J’amorce un slalom en éliminant deux ou trois joueurs avant de passer le ballon à Merrichko qui sert en retrait Anniba. Et c’est l’égalisation inespérée.

A votre avis, quels sont les

meilleurs footballeurs tunisiens ?

A notre époque, il y avait beaucoup de grands joueurs : Chetali, Haj Ali, Chaïbi, Delhoum, Aniba, Refai… On jouait sur terre battue. Mais cela n’empêchait pas de produire du spectacle.

Que vous inspire la situation

de l’ASM, relégué en Ligue 3 ?

L’union sacrée autour du club n’est plus là. Des étrangers au foot l’ont conduit là où il est. Cela fait vraiment mal au cœur.

Que pensez-vous du mode

de gestion du football tunisien ?

Il est évident que notre foot ne décollera jamais tant que des intrus le commandent, aussi bien au niveau des clubs que de la fédération. Ils ont le beau rôle. S’ils réussissent, ils se prennent pour des êtres infaillibles, des génies du sport. S’ils échouent, ils jettent toute la responsabilité sur le dindon de la farce, le pauvre entraîneur. Où sont passés les anciens joueurs, ceux qui savent ce qu’est suer sur un terrain? Pourquoi depuis la nuit des temps sont-ils marginalisés et écartés des postes de décision ? En 1988-89, j’ai entraîné les Espoirs de l’Avenir de La Marsa. Je n’acceptais aucune intrusion dans les vestiaires ou que l’on m’impose d’aligner un tel ou un tel. Un technicien doit être seul maître à bord.

Pourquoi n’avez-vous pas continué à entraîner ?

J’ai fini par comprendre que ce n’était pas un métier fait pour moi. Avec les Espoirs de l’ASM, nous avons pourtant été sacrés champions de Tunisie, avec la meilleure attaque et la meilleure défense. Il y avait les Khabir, Mourad Mejdoub, El Euchi, Anouar Ben Abdallah, Sahraoui, Fhal, Ben Zine… qu’on allait vite retrouver dans l’équipe seniors.

Si vous n’étiez pas dans le foot, quelle carrière auriez-vous suivie?

Celle de chanteur. Lors de nos stages, mes coéquipiers s’arrachaient Chiheb afin qu’il leur chante Oum Kalthoum, Abdelwahab, Ferid, Abdelhalim, Karem Mahmoud, Chafik Jalel, Mohamed Faouzi… Je partageais ma chambre avec Taoufik Ben Othmane ou Ferjani Derouiche. Ils en avaient plein de chant : El Hobbi Kida, El Awila fil Gharam, Habibi Yessaâd Aoukatou… Autant de chefs-d’œuvre que je reprenais avec amour.

Quels sont vos hobbies ?

J’aime bricoler, j’ai mon garage de réparation de voitures chez moi. J’aime aussi les vieux films égyptiens en noir et blanc, et les randonnées à Aïn Draham et ailleurs.

Enfin, un dirigeant qui vous a marqué ?

Incontestablement, l’ancien président du Club Africain, feu Azouz Lasram. Il a rendu service à tous les joueurs de n’importe quel club. Jamais un joueur parti solliciter une aide ou une intervention de sa part n’a été déçu. Si Azouz le faisait sans attendre quoi que ce soit en retour. Tous les sportifs du pays lui doivent cette générosité désintéressée. Je voudrais également saluer la mémoire de notre président d’honneur Taieb Mhiri.

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