Les enseignements de l’affaire d’El-Kamour

Par Hella Lahbib

Le 14 janvier 2011, des dizaines de milliers de Tunisiens massés devant le ministère de l’Intérieur crient “Dégage“. Le 8 octobre 2020, des ministres de la IIe République négocient autour d’une table ronde avec le coordinateur et porte-parole de ceux qui ont fermé la vanne d’El-Kamour. 

De tous les pays du printemps arabe, seule la Tunisie a pour le moment tenu bon. Elle le doit à différents facteurs, dont le plus important est probablement l’existence d’un Etat fort et d’une administration structurée et loyale à l’idée de la République.

Le 8 octobre 2020, ces ministres désignés ont failli à leur devoir. Ils ont trahi l’idée de l’Etat, très ancrée en Tunisie, et ce, depuis des siècles.

Les protestataires, sincères ou manipulés, d’El-Kamour ont certainement des raisons de revendiquer leurs droits. Leur action, qui a une certaine légitimité, ou en tout cas des racines objectives, a été facilitée par la longue série de concessions de l’Etat, de la première occupation de l’usine jusqu’à l’arrêt de la production de phosphate. De la couardise, peut-être même de la trahison, des calculs politiciens, de la faiblesse, une vision très étriquée ?

Depuis 2011, nous sommes censés être en démocratie. Ce qui signifie que nos différends doivent être résolus d’une manière pacifique et que le dernier mot doit revenir à la loi.

Au regard de la loi, les protestataires d’El-Kamour, même si l’on suppose qu’ils soient tous sincères et non manipulés, sont des preneurs d’otages. Dans le cas d’espèce, c’est le pétrole qui est pris en otage. Or, un Etat ne négocie pas avec des preneurs d’otages. Et même s’il se trouve contraint à le faire, il doit préserver l’image de l’Etat. C’est un aveu de faiblesse flagrant. Un Etat qui négocie avec quelqu’un qui viole la loi prouve qu’il est fragile.

L’effritement de la scène politique, le code électoral, mais aussi les nominations successives et, à dessein, de gouvernements faibles, tout cela contribue à éroder chaque jour un peu plus la marge de décision de l’Etat, sa capacité à agir et sa confiance en lui-même. Le ballet des novices en politique est en train d’avoir raison de ce qui nous restait de la révolution.

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