Gestion de la crise liée au coronavirus : Que faire face à la disette budgétaire?

Avec un déficit budgétaire à deux chiffres et une charge de dette très élevée, les marges budgétaires sont, désormais, faibles  pour pouvoir gérer une crise socioéconomique sans précédent. Mais, pour certains économistes, le salut passe, notamment, par l’arrêt du gaspillage des deniers publics dilapidés depuis plusieurs années. Le ciblage du soutien de l’Etat est aussi une façon de bien gérer le peu de ressources dont on dispose, mais  c’est, essentiellement, un outil de remettre sur les rails les changements sociaux et économiques nécessaires. 

En ces temps de disette budgétaire que traverse le pays, le ciblage de l’aide de l’Etat consacrée aussi bien aux entreprises sinistrées qu’aux familles nécessiteuses et vulnérables est primordial pour assurer une efficacité au niveau du soutien apporté par l’Etat en ces temps de crise sanitaire.  C’est ce qu’a souligné, en somme, l’économiste et ancien ministre du Tourisme M. Slim Tlatli, dans son intervention lors d’un débat en ligne portant sur le thème «La Tunisie au creux de la vague», organisé, la semaine dernière, par l’Institut des Hautes Etudes de Tunis (IHET) et auquel ont pris part l’économiste M. Tahar El Almi et le professeur agrégé d’économie à l’Université américaine Harvard M. Ezzeddine Larbi.

Le ciblage de l’aide de l’Etat est essentiel

“Cibler, c’est là où on va être efficace. Croire qu’on va sauver tout le monde c’est illusoire. Ça sera inefficace et on va, ainsi, dépenser l’argent, d’une part, au bénéfice  des gens qui ne nécessitent pas d’aide et, d’autre part, pour  des entreprises qui n’ont pas d’avenir  ”, souligne M. Tlatli.  En se basant sur les résultats d’une étude réalisée par l’INS, l’économiste a fait savoir que les entreprises les plus impactées par la crise liée au coronavirus sont, en effet, des entreprises de petite taille, récemment créées et non exportatrices. Cette même étude  a fait ressortir que 94% des entreprises ont déclaré qu’elles n’ont pas bénéficié des mécanismes de soutien mis en place par l’Etat. En revanche, celles qui en ont bénéficié sont, pour l’essentiel, de grandes et vieilles entreprises exportatrices. «Il y a un grand problème de ciblage», a-t-il commenté. Evoquant l’exemple du secteur du tourisme qui est un secteur qui n’a pas «su faire sa transformation» et qui est resté sur un modèle «caduque qui repose essentiellement  sur le balnéaire et l’hôtellerie», l’ancien ministre du Tourisme s’est interrogé sur le ciblage de l’aide au bénéfice des entreprises touristiques. «Est-ce qu’ on va aider toutes les entreprises du secteur?”, s’est-il demandé.  C’est dans ce contexte, qu’il a fait le parallèle avec les plans de relance élaborés dans plusieurs pays européens, pour souligner que ces plans ont été taillés sur mesure avec beaucoup de ciblage qui a pour objectif le sauvetage de l’économie, mais qui reflète, en même temps, un processus  de préparation de l’avenir.

Crise génératrice d’opportunités

«Air France a pu bénéficier de l’injection de 11 milliards d’euros d’aide, mais c’est sous condition. Pour relancer le secteur de l’automobile, il a été décidé d’octroyer des primes aux familles à faibles revenus pour leur permettre d’acheter des voitures. Et de consacrer des surprimes pour celles qui vont acquérir des voitures électriques», a-t-il expliqué. Ainsi, pour M. Tlatli, la crise que traverse, actuellement, le pays est une occasion pour commencer le changement et la transformation tout en faisant du sauvetage. C’est dans ce sens que  Mr. El Almi a intervenu pour commenter en soulignant qu’il faut avoir les compétences et les moyens pour créer des opportunités. “Comment créer des occasions dans un pays comme la Tunisie qui vit depuis 10 ans une transition politique et sociale très improbable. Et une transition économique tout aussi improbable», s’est-il interrogé. Et d’ajouter : «Est-ce que vous n’avez pas l’impression qu’en période de crise surtout, maintenant, qu’il y a certains mécanismes économiques qui ne fonctionnent plus, parce qu’il y a une déviance sociale de plus en plus importante qui est en train de nous dévier vers le gouffre ? Est-ce que le jeu des mécanismes va s’inverser?»

Comment boucler le budget de l’année 2020

Évoquant la suspension des négociations sur la troisième tranche du prêt débloqué par le FMI, M. Ezzedine Larbi a affirmé que cette décision qui a été prise par le gouvernement précédent «est une erreur». «La vraie catastrophe, c’est qu’on n’a pas de ressources pour boucler l’année 2020», a-t-il précisé, déplorant le fait que les emprunts octroyés par les bailleurs de fonds sont souvent dilapidés pour payer les salaires.  Et d’ajouter:  «Il faut avoir des décideurs fermes. Il faut que les deniers publics soient dépensés dans l’investissement public». Il a expliqué, dans ce sens, que la Tunisie souffre d’un problème de gouvernance et que le pays est pris au piège des pays dits “à revenu intermédiaire”. «Nous sommes passés d’un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. L’enjeu est de faire “le saut de grenouille”, notamment grâce au «saut technologique», a-t-il noté.

Il, a par ailleurs, rappelé que les priorités socioéconomiques qui s’imposent aux décideurs, dans ce contexte de crise,  sont, respectivement, la préservation de la santé publique (pour préserver le capital humain), le maintien de l’équilibre économique des familles et des travailleurs, la préservation du tissu économique (PME créatrices de richesses) et la communication d’une manière claire.   

La cocotte-minute risque d’exploser

Décrivant la situation socioéconomique que traverse le pays en ce moment, M. El Almi a mis en garde contre une “cocotte-minute qui risque d’exploser”. Pour l’économiste, le déficit public ne doit pas se traduire par des «orientations illusoires d’impôt», de taxes pour doper les recettes, autrement, “l’économie va se diriger vers une chute encore plus sévère que ce qui a été observé jusqu’à présent dans le cadre de la crise précédente». Il a souligné, dans ce sens, qu’il est impératif d’arrêter “toute sorte de gaspillage des deniers publics et orienter les dépenses vers l’essentiel, c’est-à-dire vers l’investissement  dans l’infrastructure, l’éducation… etc.”, précisant que la réduction et l’arrêt de l’hémorragie des finances publiques, déclenchées par les dérapages continus et accélérés depuis 2011, reviennent à arrêter le gaspillage des ressources.

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