Tarifs exorbitants dans les cliniques privées et quasi-saturation des hôpitaux publics: Les Tunisiens abandonnés à leur sort ?

Au début de la première vague épidémique, le manque de coopération entre public et privé avait été pointé du doigt. La situation a-t-elle changé depuis ? Les cliniques privées sont-elles aujourd’hui mieux associées aux hôpitaux publics pour faire face à la pression des malades ? Au vu des témoignages de certains patients, la situation ne semble pas aller dans le bon sens.

La crise sanitaire a non seulement démasqué la précarité de l’infrastructure hospitalière et sanitaire dans le secteur public, mais elle a aussi pu témoigner de certaines pratiques inhumaines, observées dans le secteur privé. Ainsi, les Tunisiens sont coincés entre le marteau d’un secteur public défaillant et limité en moyens et en équipements et l’enclume des cliniques privées devenues inaccessibles pour la majorité des citoyens.

Face à la saturation de plusieurs structures hospitalières, certains patients positifs au coronavirus n’ont trouvé refuge que dans les cliniques privées où ils ont pu avoir accès à des lits de réanimation, à une assistance médicale nécessaire et à des sources d’oxygène indispensables pour certains cas, mais pas un traitement humain, ni des procédures flexibles. En effet, les témoignages sur des situations d’exploitation financière exagérée et même de pratiques illégales et inhumaines commencent à faire grand bruit en Tunisie.

C’est d’ailleurs à Bizerte qu’une grande polémique a éclaté lorsqu’une clinique privée aurait refusé de remettre le corps d’une personne décédée des suites du Coivd-19 à sa famille avant de régler une facture hors de leur portée. En tout cas, selon la version de la famille, il s’agit d’une séquestration du corps du défunt, d’ailleurs plusieurs de ses proches ont brisé le silence pour alerter contre des pratiques inhumaines qu’ils ont dû subir. «Ils nous ont réclamé la somme de 72 mille dinars, avant de remettre le corps du défunt, chose que nous ne pouvons pas assurer. La clinique a donc refusé de nous livrer son corps avant l’intervention des autorités», explique dans ce sens l’un des proches du défunt.

Mise sur les bancs des accusés, la clinique a dû rapidement réagir. Son directeur s’est exprimé au micro de plusieurs médias pour nier en bloc toutes ces accusations. Le premier responsable de cette clinique a assuré dans ce sens que son établissement n’a jamais séquestré le corps du défunt, et que «sa clinique a toujours été à la hauteur de ses engagements professionnels et éthiques». Et d’ajouter que le ministère de la Santé a envoyé des inspecteurs pour enquêter sur la véracité des faits.

Pas un cas isolé

Cette affaire est loin d’être un cas isolé en Tunisie. Les efforts des cliniques privées pour soutenir le secteur public en vue de faire face à la pandémie du coronavirus sont aujourd’hui remis en question.

Alors que certains établissements hospitaliers arrivent à leur saturation, des cliniques privées renferment toujours des lits de réanimation et d’autres équipés d’oxygène, malheureusement elles sont inabordables pour la majorité des Tunisiens au vu des frais exorbitants. D’ailleurs, selon Faouzi Charfi, secrétaire général de l’Union des médecins spécialistes libéraux (Umsl), les frais de traitement de la maladie de Covid-19 coûteraient en moyenne au moins 45 mille dinars par patient dans les cliniques privées. Mais ce montant reste conditionné notamment par le nombre de jours passés en réanimation. Selon ses dires, une action gouvernementale s’impose aujourd’hui pour prendre en charge les frais d’hospitalisation des patients même dans les cliniques privées.

Au début de la première vague épidémique, le manque de coopération entre public et privé avait été pointé du doigt. La situation a-t-elle été corrigée depuis ? Ces cliniques sont-elles aujourd’hui mieux associées aux hôpitaux publics pour faire face à la pression des patients ? Au vu des témoignages de certains patients, la situation ne semble pas aller dans le bon sens, d’autant plus que les mesures annoncées par le gouvernement peinent à être appliquées. Rappelons dans ce sens que le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, avait assuré que l’Etat prendra en charge les frais de soins des patients Covid-19 admis dans les cliniques si ces derniers ne trouvaient pas de place dans le secteur public.

D’ailleurs, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a appelé mercredi dernier le gouvernement à «accentuer le contrôle au niveau des cliniques privées en charge des malades atteints de Covid-19». Dans un communiqué rendu public, l’Ugtt a appelé à l’impératif d’appliquer la loi contre les contrevenants qui ont profité de la situation pandémique et ont enfreint la loi.

Appels à réquisitionner le secteur privé

Boubaker Zakhama, président de la Chambre syndicale des cliniques privées, a expliqué à cet effet que les cliniques privées sont disposées à appliquer la tarification qui sera fixée par l’Etat si ce dernier décide de prendre en charge les frais de traitement des malades atteints de coronavirus dans le secteur privé et une fois la capacité des hôpitaux publics épuisée.

En effet, il a expliqué dans ce sens que les patients Covid-19 doivent fournir un document de la part du ministère de la Santé attestant qu’ils n’ont trouvé aucune place dans le secteur public pour être admis dans les cliniques. Et d’ajouter dans ce sens que la crise sanitaire a eu des «répercussions importantes sur les cliniques privées dont les recettes ont enregistré une baisse de 80% en raison du report de plusieurs actes chirurgicaux et l’absence de patients étrangers», soulignant que cette crise exige des concessions de la part de toutes les parties.

Si la pression ne cesse d’augmenter sur les hôpitaux et les services de réanimation publics, certains pensent obligatoire de réquisitionner les cliniques privées et tout le secteur privé de la santé. En effet, plusieurs partis et organisations nationales avaient appelé à la réquisition du secteur privé de la santé  pour soutenir les efforts nationaux de lutte contre le coronavirus. Dans une déclaration commune, les signataires soulignent le besoin de nouveaux recrutements dans le secteur de la santé publique et de volontaires parmi les retraités.

Mais encore faut-il voir aussi la moitié pleine du verre.

A Kasserine, face à la hausse du nombre de contaminations, où la situation épidémiologique continue de se dégrader, une clinique a décidé d’offrir bénévolement ses soins aux personnes atteintes du coronavirus. En effet, la clinique avait adressé une correspondance au directeur régional de la santé dans laquelle elle l’informe que la clinique et son personnel soignant sont désormais mis à la disposition du ministère de la Santé.

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