Nouveau projet du musicien Nidhal Yahyaoui : «Masreb el Hattaya», de la recherche à la création…

Il est vrai que cette route est réellement empruntée par les Hattaya du Sud vers le Nord et vice versa, mais celle choisie par Nidhal Yahyaoui reste un itinéraire musical. Chaque chanson est une porte vers une autre, articule un passage, prête le pas à celle qui suit,
se place en contrepoint à celle qui précède.

Yahiaoui se définit par la musique dont il fait un travail d’archéologue qui cherche dans les entrailles de la terre les sonorités si familières mais à la fois si lointaines. C’est un voyageur, troubadour qui sillonne les routes à la recherche de la pièce qui lui murmure son enfance, son quartier, ses racines, ses plaines et ses montagnes. 

Nidhal Yahyaoui est originaire de la belle Seliana, une région agricole mais aussi montagneuse qui fait le lien entre le nord et le centre du pays, mais il a grandi dans les quartiers du vieux Tunis, où se retrouvent des gens d’horizons différents. De ce melting-pot sonore et musical, l’oreille s’est aiguisée, et telle une éponge, Nidhal Yahyaoui a puisé de cette sève. La tentation de la musique et du chant oriental le séduit tout jeune, il y consacre une partie de ses débuts. Sa voix, qui s’est sculptée assez tôt, épouse bien les modes du chant classique oriental : Om Kalthoum, Warda…Mais son âme ne s’est pas longtemps égarée dans les sentiers connus du show-biz. Il revient aux sources, se souvient des berceuses des vieilles grands-mères, du chant des moissons, les rythmes puissants des fêtes et des mariages, les voix de ces femmes et hommes qui résonnent dans les plaines. C’est de ses retrouvailles avec son ami de toujours Sofyann Ben Youssef que cette voie s’est révélée comme une évidence, et que Bargou08 est né. Un projet qui tend à affirmer la force et la pertinence des traditions musicales populaires ancestrales, et surtout à inviter les jeunes générations à se réapproprier et à revendiquer ces pans de la culture tunisienne.

L’aventure de Nidhal Yahyaoui se poursuit sur les traces d’un patrimoine marginalisé, qu’il œuvre à dépoussiérer en retenant son essence et son essentiel et en le remettant au goût du jour. Ces chants vieux comme la terre reprennent vie, Nidhal les habille de touches électro-rock suivant la trace du mezoued dans «Alphawin», puis «Chawia» qui est une recherche sur les rythmes et les fusions suggérées par l’âme du rythme, un univers de partage qui réunit le temps des anciens au nôtre par la force d’un instant créatif.

De sa rencontre avec le musicien français, Benoist Este-Bouvot, est né «Gourbi», un titre qui évoque une habitation de fortune faite d’assemblage de matériaux différents, fragile et précaire et constitue l’habitat des marginaux et des défavorisés. «Gourbi» représente les échos des deux rives de la Méditerranée qui accueillent les riches sonorités et les nombreuses mélodies d’un monde fragilisé par ses murs. Une ruralité plus grande qu’une campagne, une ville plus petite qu’une rue.

«Masreb El Hattaya»

Le retour aux sources et à la terre originelle s’est présenté à Nidhal Yahyaoui comme une évidence. Originaire de Séliana, sans pour autant y être né, mais les souvenirs d’enfance peuplent son imaginaire et son univers musical. De son enfance il  fourrage des images, des visages, et des sonorités qui font remonter en lui des voix de femmes et d’hommes qui lèvent la voix pour ponctuer la vie et ses rythmes, une mémoire intense et vivifiante de la terre, des montagnes et des plaines.

Dans cet environnement, dominé par la nature, les rythmes saisonniers de la vie agricole, les déplacements des nomades et la marche des bergers, fleurit le chant.

La mémoire nous ramène aussi loin que la terre s’en rappelle. Tant d’histoires à raconter, histoires d’amours, de séparations, de joie et de fêtes, de prospérité et de famine, de combat, de lutte pour la survie, de résistance et d’oubli.

En 2007, la vision de Nidhal Yahyaoui s’est aiguisée et son attrait pour ce patrimoine est devenu plus pertinent. Comment aller explorer cette mémoire sonore, la restituer et la mettre en avant sans tomber dans la facilité ? Comment se construire une identité musicale, en restituant ce répertoire sans le dénaturer ? Ce questionnement lui a imposé de la rigueur et surtout de l’authenticité dans les choix et dans la démarche.

Cette expression artistique qui passe par la voix, les rythmes et la poésie populaire restée longtemps à l’état brut se devait de prendre de nouvelles formes de mise en lumière sans l’aplatir et la vider de son sens originel.

Des tentatives ont, bien évidemment, eu lieu, avec des virées occidentales, des orientations vers le jazz et le blues en essayant de trouver des pistes communes et des croisements parfois réussis mais souvent hybrides et c’était pour Nidhal Yahyaoui une option à éviter.

«Les chants qui naissent des éléments de la nature, qui rendent le souffle du vent, la marche du troupeau, l’étendue des plaines, le son de l’eau qui ruisselle ne pouvaient supporter beaucoup d’interventions. Ces sonorités-là sont la mémoire de ceux qui la chantent, ceux qui la portent et qui la transmettent. J’aspire à faire partie de cette chaîne que mon travail absorbe, s’imprègne, explore et restitue», nous révèle-t-il.

Dix escales, dix histoires à raconter

Ce projet tend à prendre plusieurs formes : une série de 10 vidéos (une vidéo pour chaque escale d’une durée de 10 min chacune), puis un album et un spectacle. «Masreb El Hattaya» se veut un travail de prospection, de documentation et de restitution, itinérante suivant les déplacements saisonniers des Hattaya de Gafsa au Kef.

La topographie du projet suit celle des plateaux et des montagnes qui forment le corpus sur lequel le travail repose. Ce n’est pas un itinéraire à suivre, mais plutôt une route fictive qui lie les différentes régions. Il est vrai que cette route est réellement empruntée par les Hattaya du sud vers le nord et vice versa, mais celle choisie par Nidhal Yahyaoui reste un itinéraire musical. Chaque chanson est une porte vers une autre, articule un passage, prête le pas à celle qui suit, se place en contrepoint à celle qui précède.

«Chaque chanson est une rencontre, un lieu où je me pose, un lien humain qui se tisse, une histoire qu’on me raconte, faite de joie ou de douleur, des histoires d’amour impossibles, faites de passion, de déchirement et d’attente, un rythme qui suit le souffle haletant des hommes qui marchent, qui travaillent, des femmes qui font la vie et la portent», continue Nidhal avec passion. 

«La fragilité de la transmission est notre point fort, un défi que je me lance pour préserver l’âme du chant, sa rythmique qui lui est intrinsèque. Et de chaque chant naît une histoire, la nôtre, celle de notre rencontre, de notre observation complice de la vie quotidienne, de l’environnement qui la façonne, de l’air qui la nourrit. Et le film qui l’illustre sera notre regard sur ce qui nous entoure, avec une session live dans ses lieux avec les maîtres des lieux, créant ainsi une partie de notre histoire devenue, dès cet instant-là, commune», poursuit-il.

Le travail de repérage et de développement musical fut un point de départ pour une recherche plus approfondie dans l’appropriation des instruments locaux, rehaussée par les propositions nouvelles via l’introduction de sonorités plus actuelles.

Du Centre vers les régions

Comme son nom l’indique, ce projet est itinérant, axé sur le voyage et la rencontre de forme traditionnelle musicale. Le voyage suivra la route empruntée par les Hattaya, travailleurs saisonniers qui sillonnent le pays d’une récolte à une autre, d’une saison à une autre. En suivant ce parcours anthropologique «Masreb El Hattaya» fait escale dans une dizaine de lieux. De Gafsa vers Le Kef et «à chaque escale, la rencontre nous mène sur les lieux de la création avec des musiciens et chanteurs locaux. La synergie qui s’installe entre nous, musiciens, et ces détenteurs de la mémoire des lieux donne naissance à des formes musicales nouvelles et actuelles. Ces musiciens et chanteurs locaux feront aussi partie de la partition finale qu’est le concert, l’album et les différentes tournées», raconte-t-il.

Et enfin le spectacle

La scénographie du spectacle sera une évocation de ce voyage, les titres chantés repris et restitués épouseront les formes nouvelles dans le respect de son noyau dur. Les images filmées seront aussi une ligne conductrice qui fera la liaison et dessinera l’atmosphère visuelle. Ramener les paysages originels sur scène ainsi que la gestuelle de la vie quotidienne sera un trait d’union qui liera le voyage à la scène, chargera en intensité le travail des musiciens qui donneront la réplique aux musiciens traditionnels retenant avec cet échange l’essence même du répertoire et l’essentiel de sa structure.

La danse des Hattaya sera un autre élément de l’ensemble scénique, une danse parfois festive, parfois imitant les mouvements des travailleurs et leur gestuelle narratrice un cycle de vie fait  de déplacement et de labour.

«Masreb El Hattaya» est un projet en cours, deux escales ont déjà été réalisées, d’autres suivront pour qu’il, espérons-le, sera finalisé pour l’été prochain.

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