«L’approche sécuritaire seule reste tronquée et insuffisante pour aboutir à des résultats concrets. L’implication de toutes les parties prenantes est nécessaire. Cela commence à partir de la première cellule sociale, la famille».

La Commission spéciale de la sécurité et de la défense a organisé hier une séance d’audition du ministre de l’Intérieur, à partir de 10h du matin, au palais du Bardo. Au menu, la montée de la criminalité et les moyens de la combattre. La réunion parlementaire a vu une participation record de 19 élus sur 22 membres permanents et de 11 députés invités. Les journalistes n’étaient pas en reste non plus. Tant et si bien qu’il a fallu délocaliser tout ce monde de la salle 6 à la salle 2. Dans le souci d’observer les règles de la distanciation physique. Très peu respectées, du reste, malgré le déménagement et le port de la bavette par la plupart des présents, même quand ils ont pris la parole. La salle, spacieuse, certes, était archicomble et très peu aérée.

Le thème de la rencontre comme la qualité des hôtes expliquent cette audience. Outre le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, tout ce que le département gris de l’Avenue Bourguiba compte comme hauts responsables sont venus en renfort.

Noureddine Arbaoui, président de la commission parlementaire, déclare la séance ouverte vers 10h15. Et c’est par une boutade que le ministre choisit d’entamer sa prise de parole, parvenant à soutirer le sourire à quelques-uns, dans une ambiance un brin électrique; «je vais lire une allocution que je n’ai pas écrite. Ce n’est pas dans mes habitudes. Mais je vais le faire. Le genre de la rencontre semble l’imposer». Monsieur le ministre n’a pas précisé s’il était au moins d’accord avec le contenu qu’il allait présenter.

Lutter contre la violence dans la rue et contre les braquages

L’exposé inaugural de presque 19 minutes était assez consensuel. Le ministre s’est félicité de la fructueuse coopération entre les parlementaires et son département en vue de mettre au point une politique sécuritaire collaborative, dans une conjoncture nationale et internationale difficile. La phrase clé, peut-être, pas uniquement de l’exposé ministériel mais de l’ensemble de la rencontre est la suivante : faire respecter la loi en parfaite adéquation avec les principes des droits de l’homme. Si le thème de la rencontre se veut précis, à savoir la lutte contre la criminalité, l’allocution du ministre comme les interventions des députés ont débordé pour évoquer pratiquement l’ensemble des maux dont souffre la société tunisienne.

A ce titre, Taoufik Charfeddine a reconnu que « l’approche sécuritaire seule reste tronquée et insuffisante pour aboutir à des résultats concrets. L’implication de toutes les parties prenantes est nécessaire. Cela commence à partir de la première cellule sociale, la famille ».

Des études ont donné lieu à des statistiques criminelles selon les régions. Il en ressort une concentration de la délinquance et du crime dans certaines zones plus que d’autres, assorties de quelques spécificités. Selon que les régions se situent sur le littoral ou sur les lignes frontalières ou encore à l’intérieur du territoire. Réalité nouvelle qui a requis une actualisation des mesures d’anticipation et des actions de riposte. A l’instar de la multiplication des patrouilles de jour comme de nuit sur le terrain, dans les stations de bus et de métro, dans les quartiers et les cafés populaires. Les rondes de police piétonnes ont été également accrues pour lutter contre les agressions dans les transports, la violence dans la rue et contre les braquages. L’amplification de la surveillance des récidivistes représente un autre segment important sur lequel le ministère planche en ce moment.

Violence à l’encontre des enfants

Le ministre a également révélé au cours de son rapport que des présumés terroristes non encore fichés par la police multiplient les opérations de contact et de coordination avec des groupes jihadistes internationaux. A ce titre, 867 accusés ont été déférés devant le pôle de lutte contre le terrorisme dont 112 éléments ont été mis en détention. Les parrains du crime organisé liés au trafic des stupéfiants notamment, eux aussi, ont profité de l’instabilité du pays pour recruter et trouver de nouveaux circuits. Le ministre a conclu que la société civile, la famille, les médias, la classe politique ont leur part de responsabilité pour construire une société équilibrée, inclusive et porteuse d’espoir. En attendant, voici quelques chiffres. Les statistiques sur les crimes et délits liés à la violence viennent en tête. Les affaires de vol occupent la deuxième position avec 17, 7%. La violence à l’encontre des enfants est en troisième position avec 16,2% de l’ensemble des affaires judiciaires.

C’est seulement à partir de 11 h que les députés ont commencé à prendre la parole. Certains ont pu synthétiser leurs interventions, d’autres se sont étalés en longueur. Celles-ci se fractionnent en quatre thèmes généraux ; l’insécurité généralisée, l’impunité qui règne, les abus de toutes sortes des agents des forces de l’ordre, le non-respect de la loi que ce soit par les citoyens ou par les détenteurs de l’autorité publique.

Ainsi, entre autres questions posées au ministre et au staff qui l’accompagne, que fait-on des grandes quantités de marchandises saisies ? Pourquoi le vol du bétail s’est transformé en une forme de banditisme national ? Les élus ont pointé du doigt ce qui semble être une compromission entre quelques agents et des caïds régionaux. Puisque certains n’ont jamais été inquiétés. Parallèlement, ils ont critiqué des arrestations abusives.

Des élus ont revendiqué des études comparatives dans le domaine sécuritaire avec d’autres pays. Parmi les propositions présentées, réintégrer le corps civil dans l’appareil sécuritaire qui peut être d’une grande valeur ajoutée dans une approche inclusive, justement. Un parlementaire a préféré ne pas entrer dans le détail, faute d’une feuille de route qui détermine les objectifs et établit les échéances. C’est seulement par la suite qu’une évaluation du rendement du ministère s’imposera.

La police des polices

La question des caméras installées sur la voie publique non encore opérationnelles est revenue plusieurs fois dans le débat. De même, certains élus ont appelé à la mise en place de la « caméra embarquée » qui se fixe sur l’uniforme des agents ou sur les casques. En cas de litige, l’intervention filmée permet d’apporter des éclairages et donc d’arbitrer. Pour l’heure, la relation entre les citoyens et les détenteurs de la force publique reste explosive. Cet outil pourrait contribuer à l’apaiser.

Enfin, pour rendre à César ce qui lui appartient, le ministère de l’Intérieur a essuyé  des accusations dont il n’est pas responsable; les affaires judiciaires qui traînent des années, ne sont pas de son ressort. Il faut s’adresser au ministère de la Justice. De même  l’enseignement du théâtre, de la musique, de la danse aux petits Tunisiens pour les prémunir contre le radicalisme relève du Ministère de l’Education avec la collaboration de la Culture, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Les critiques justifiées à l’endroit dudit ministère sont si nombreuses qu’il est inutile d’en rajouter d’autres.

La caméra embarquée ou encore la « caméra-piéton » est une des solutions envisageables dans un pays dont les citoyens n’ont pas encore intériorisé la pratique du droit et le respect de la loi d’un côté comme dans l’autre. Pour preuve, les dérives de certains syndicats sécuritaires ont fait du tort aux corps qu’ils sont censés défendre. Pour finir, dans les nations qui se respectent, existe l’organe de la police des polices. Il est composé de hauts fonctionnaires, de préférence exemplaires, chargés d’effectuer des audits et de contrôler les différents services des polices. Nul n’est au-dessus de la loi, notamment celui qui est chargé de la faire respecter.

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