Mustapha Khouja, ancien handballeur du SN: «Le sport pour le sport !»

Handballeur indispensable au Stade Nabeulien dans les années 1960-1970, il se distinguait par sa régularité et son dévouement. Organisateur hors pair, il plonge pour nos lecteurs dans l’univers magique d’un sport pittoresque, du sport pour le sport, dépassant largement celui d’aujourd’hui.


«Un demi-siècle après, j’ai la conscience tranquille, assure-t-il. J’ai servi mon club durant 24 ans. J’ai constamment cherché à donner de lui la meilleure image possible. J’ai toujours veillé à être propre et élégant. Des espadrilles aux chaussettes, en passant par le maillot numéro 6, je rentrais avec tout mon équipement afin de le laver ou l’essuyer soigneusement. Depuis, que de chemin parcouru. J’ai débuté sur la terre battue du stade Chelly de Nabeul où on ne perdait presque jamais. Côtoyant quatre générations, j’ai conclu ma carrière sur le parquet de la salle couverte de la plage. Maintenant, nos handballeurs se produisent à la salle Bir Chellouf sans réussir à honorer leurs couleurs ni l’histoire de leur club».

Mustapha Khouja, votre club, le Stade Nabeulien, n’a pas remporté un seul titre malgré la qualité reconnue de son jeu et le talent incontestable de ses individualités. Pourquoi ?

Tout simplement parce que le Club Africain et l’Espérance Sportive de Tunis ne laissaient que des miettes aux autres. La fusion du CA avec le CA Gaz l’a énormément boosté. Quant à l’EST, elle recrutait régulièrement les meilleurs joueurs du pays : Razgallah, Lassoued, Sebabti, Sghaïer… Il n’y avait pas grand-chose à faire devant ces machines à gagner. Il nous arrivait sur une saison de battre l’une ou l’autre, sinon les deux, mais sur la durée d’un championnat, il fallait être drôlement baraqué pour terminer devant ces mastodontes. On arrivait juste derrière eux. Mais on nous considérait l’équipe la plus sympathique parce qu’elle donnait l’exemple par son fair-play et cet esprit d’amitié qu’elle dégage. Dans le sport, il n’y a pas que les titres. Aujourd’hui, cela peut paraître anachronique quand on pense à la logique impitoyable, et au final écœurante du résultat à tout prix. C’est vrai : je dois l’admettre. Quelque part, notre génération était romantique.

Comment êtes-vous venu au handball ?

Au début, comme tous les enfants, j’ai commencé par jouer des matches de quartier. Le football nous attirait. Au quartier Errbat, nous livrions des parties interminables. J’ai même fait partie de la sélection cadets football du Cap Bon. Mon frère Slim évoluait au SN, je l’accompagnais pour voir les matches. Au collège Place des Martyrs, notre Prof de sport, Ahmed Chemengui, un grand éducateur, nous apprit le handball. Et cela a été le coup de foudre. J’ai fini par pratiquer en même temps le foot et le hand. Il y eut à un certain moment une décision ministérielle qui interdisait d’avoir deux licences en même temps. Pourtant, tous les sportifs de ma génération pratiquaient deux ou trois sports simultanément. Par exemple, Ali Karabi sautait d’un terrain à l’autre, passait d’un sport à l’autre durant le même week-end.

Qui vous a entraîné ?

Habib Bouaouina dit «Hbaïech» a été mon premier entraîneur. Je dois rendre hommage à ce formateur passionné qui a façonné des générations entières de handballeurs à Nabeul. Ensuite, Ferran Halalambe a abattu un travail énorme qui allait porter ses fruits. Ainsi, mon club a-t-il «donné» son entraîneur à la sélection nationale. Moncef Ben Amor, dit «Echef», qui a été mon coéquipier, allait être un jour mon coach. Il y a eu également Mohamed Ouahchi, Abdelaziz Sfar et Kamel Ghattas qui aimait beaucoup le SN. Un jour, il écrivit sur les colonnes de La Presse : «Compte tenu de sa forme actuelle, nous aimerions bien savoir pourquoi l’entraîneur national continue d’ignorer Mustapha Khouja».

Vous avez fini par être convoqué en sélection ?

Oui, mais au sein d’une présélection de près de quarante joueurs. En 1968-1969, j’étais dans une forme de tonnerre. Malheureusement, je n’ai pas eu une vraie chance en sélection. Mais c’est la vie…

Quels furent vos dirigeants ?

Notre président Mohamed Fekih, Tahar Bahroun, Farouk Kallel et Habib Ben Braham. Lorsque j’étais dans l’équipe de football, nos dirigeants avaient pour noms Abdelkader Taguia, Taoufik Hicheri, Rachid Hmandi, Naceur Kcibi… En fait, le SN doit beaucoup à son président Mohamed Fekih qui était en même temps P.-d.g. de la Pharmacie centrale de Tunisie. Des dizaines et dizaines de joueurs nabeuliens furent ainsi enrôlés dans la Pharmacie centrale. La moindre des choses consiste à se montrer reconnaissant envers cet éducateur modèle.

Quels sont vos meilleurs souvenirs?

Notre match de Coupe de Tunisie contre le CSHL. Celui-ci, qui possédait alors une belle équipe, a mené (4-0). Eh bien, j’inscris coup sur coup quatre buts qui nous ramènent à sa hauteur. En fin de compte, nous l’emportons (7-6). Notre match devant le Sporting Club de Moknine, aussi. J’entre à la reprise, alors que nous étions menés par huit buts d’écart. A la fin, nous gagnons d’un petit but d’écart. J’ai tout donné pour mon club. Y compris ma denture fracassée par le Clubiste Remy Taïeb, qui a envoyé ses pieds dans mon visage dans une de ses «suspensions» de légende.

Et les plus mauvais ? 

Une défaite d’un seul but face à l’Espérance Tunis sur deux erreurs que j’ai commises, deux passes à l’adversaire que Mounir Jelili a su transformer en deux buts. Et puis, une injustice arbitrale qui nous a amenés à nous retirer: c’était avec l’équipe juniors contre l’AS Ariana. Nous nous sommes retirés du terrain. La suspension de notre équipe juniors a été élargie à l’équipe séniors ! On en a bavé à cause de l’arbitrage : Zitouni, Belhaj, Osmane…avaient visiblement une dent contre nous. Contrairement à un Mohamed Boughenim (l’ex-arbitre et brillant journaliste sportif) que le tout-Nabeul a fini par adopter.

Le 25 mars 1967, le SN était battu en championnat par le Club Africain (3-2). C’était un match de hand ou de foot ?

(Sourire). Non, de handball, bien sûr. On marquait peu de buts à notre époque. Je me rappelle d’un autre match non moins avare en buts: un certain SN-CSHammam-Lif, conclu sur un score de (3-3). Les défenses étaient très fortes, les arbitres toléraient un jeu beaucoup plus agressif, plus physique. Souvent, c’était genre «Interdit de passer !». Pourtant, le Stade Nabeulien brillait par son jeu spectaculaire et plaisant, par sa vitesse et sa tactique avant-gardiste aussi. Le Huit (Naâoura), «Petit train», «Fenêtre» : toutes ces astuces tactiques, on les mettait en application. Mon coéquipier Moncef Ben Amor, étudiant à l’Ineps de Ksar Saïd, en retenait les secrets dans son Institut et venait les appliquer avec nous. On venait voir nos matches non seulement de tout le Cap Bon, puisque nous étions la seule équipe de toute la région en Nationale «A» en ce temps-là, bien avant l’AS Hammamet, EBS Béni Khiar, l’US Témimienne…, mais on venait également de Tunis, de Sousse…

Votre coéquipier Moncef Ben Amor a disputé le premier championnat du monde auquel participa la Tunisie, celui de 1967 en Suède…

Oui, c’était le meilleur organisateur du pays. Un meneur d’hommes inégalable. La plupart des buts que je marquais, c’est lui qui me les offrait. Mais la force de notre équipe, c’était son esprit de corps, la solidarité, l’entente parfaite entre de grands amis. Les plus grands clubs du monde venaient se produire à Nabeul. Le cas du club allemand VFL Gummersbach et sa légende Hansi Schmidt. Nous avons beaucoup appris au contact de ces géants du hand mondial. Bref, notre ville respirait en ces temps bénis le handball.

Et le basket-ball, bien évidemment?

Ah oui. Mais le hand avait peut-être quelque chose en plus, en ce temps-là.

Comment jugez-vous le SN d’aujourd’hui ?

A l’image des autres disciplines sportives, le handball a rendu l’âme à Nabeul. L’équipe dans les divisions inférieures. La chute a été entamée dans les années 1980-1990 lorsque le club a commencé par négliger son propre cru.

Etes-vous satisfait de votre carrière ?

J’ai la conscience tranquille. J’ai servi mon club durant 24 ans. J’ai constamment cherché à donner de lui la meilleure image possible. J’ai toujours veillé à être propre et élégant. Des espadrilles aux chaussettes, en passant par le maillot numéro 6, je rentrais avec tout mon équipement afin de le laver ou l’essuyer soigneusement. Depuis, que de chemin parcouru. J’ai débuté sur la terre battue du stade Chelly de Nabeul où on ne perdait presque jamais. Côtoyant quatre générations, j’ai conclu ma carrière sur le parquet de la salle couverte de la plage. Maintenant, nos handballeurs se produisent à la salle Bir Chellouf sans réussir à honorer leurs couleurs ni l’histoire de leur club.

A votre avis, quels sont les meilleurs handballeurs tunisiens de tous les temps ?

Moncef Hajjar, Abdelaziz Ghelala, Hachemi Razgallah, Moncef Ben Amor et Mounir Jelili.

Parlez-nous de votre famille…

Je me suis remarié avec Maherzia. J’ai cinq enfants : Nawal, 47 ans, fonctionnaire; Skander, 43 ans, cadre à la Cnrps; Mohamed, 42 ans, homme d’affaires au Qatar; Meriam, 35 ans qui vit au Bahreïn, et Selima, 33 ans, titulaire d’un master en agroalimentaire.

Quels sont vos hobbies ?

Jardinage, bricolage et marche quotidienne. D’ailleurs, je me consacre à ma famille.

Enfin, que représente pour vous le SN ?

Le sang qui coule dans mes veines. Ma mère Habiba, habillée de son sefsari, assistait régulièrement aux rencontres de notre équipe de handball au stade Chelly. Et pas seulement parce que j’y jouais. C’était une vraie passion pour elle. Vous imaginez, une femme dans un stade dans les années 1960 ! Quant à mon père, Mohamed, il était agriculteur. Militant de la première heure, il a été incarcéré en 1938 suite à une grande manifestation contre le colonialisme qui fit un grand nombre de martyrs à Nabeul.

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