Présentation du Projet de loi de finances 2021: Les indispensables réformes économiques

Si dans sa solitude, Hichem Mechichi parvient à réaliser ces promesses et entamer les deux réformes clés : baisse du coût des établissements et entreprises publics et réforme de la Caisse de compensation, ce serait déjà très encourageant.

Le projet de loi de finances pour 2021 a été présenté par le Chef du gouvernement, hier, sous la coupole du palais du Bardo, en présence des ministres. Compte tenu de la solennité du moment, la première partie de la plénière a été présidée par Rached Ghannouchi dont les apparitions se font de plus en plus rares. Les deux vice-présidents, Samira Chaouachi et Tarek El Fetiti, ont pris ensuite la relève, pour diriger à tour de rôle une séance publique qui s’annonce longue et rude.

Face à un hémicycle à moitié rempli, Hichem Mechichi, appelé au perchoir, a présenté le projet de budget pour l’année 2021. Le locataire de la Kasbah a fait bonne figure et avait même de la prestance. Mais le moment était dur à vivre, car le Chef du gouvernement était bien seul face à la salle. La politique, c’est d’abord l’art de convaincre. A fortiori lorsqu’il s’agit d’une situation extrêmement difficile sur le plan économique et qui nécessite des réformes impopulaires.

C’est justement le cas.

Mechichi a tenté d’abord de rassurer, ensuite de complimenter, pour, au final, recourir à un lexique de conquérant ; « J’ai promis que ce gouvernement sera celui du labeur soldé par des réalisations concrètes. La priorité étant donnée à l’efficacité et à la créativité. Nos options sont innovantes et modernes ». Ajoutant dans un but d’implication de tous et de distribution des responsabilités ; «nous sommes tous responsables de ce que la Tunisie a réalisé », ou pas.

Tout le monde connaît la situation et sait que le statu quo et l’absence de réformes ne font qu’enfoncer le pays. Tout le monde sait où résident les problèmes. Tout le monde sait que les réformes seront douloureuses. Réformes que le chef de l’exécutif n’a pas les moyens de mettre en œuvre en l’absence d’un solide soutien politique.

Or, compte tenu de l’émiettement du paysage politique, il n’est pas certain que M.Mechichi, malgré la bonne volonté affichée, obtienne des partis et des députés un soutien numériquement suffisant pour introduire les grandes réformes, indispensables pour sortir le pays de l’impasse. Les réformes économiques sont par définition impopulaires et politiquement non rentables. Qui osera faire prévaloir l’intérêt suprême de la nation au détriment de sa carrière politique ?

Les partis politiques et autres coalitions auront-ils le courage de faire passer l’intérêt général avant leur propension au populisme, politiquement si confortable ? Tout est là. Mechichi a conclu son intervention en appelant à l’unité. « Impossible n’est pas tunisien », clame-t-il haut et fort. Parmi les dernières phrases, celle-ci : « L’Etat ne se soumettra pas à l’extorsion, au chantage. Nous ferons face à la violence par la loi ». Et El Kamour alors ? Sa réponse : « on ne peut pas répondre par une approche sécuritaire arrogante à un mouvement social et pacifique ». Tout le monde ne sera pas d’accord sur la qualification et l’adjectif « pacifique » du « hirak », mais passons.

Face à l’hémicycle, Mechichi fait deux annonces qui pourraient être décisives et marquer une rupture si elles étaient menées à leur terme et si une majorité législative émergeait pour les voter. La première porte sur la réforme de la caisse de compensation. La Tunisie réduirait ou arrêterait de subventionner les produits dont on sait qu’ils profitent actuellement aux nantis, aux touristes, aux visiteurs de passage, à la contrebande vers d’autres pays, etc. Les populations cibles, celles qui sont précaires ou pauvres, recevront une aide directe de l’Etat. Ce système de ciblage direct permettrait de dégager d’importantes économies pour le budget. La deuxième réforme, elle, concerne la gouvernance des établissements et entreprises publics. Le Chef du gouvernement ne dit pas s’il y aura privatisations ou pas, s’il y aura restructuration ou pas. Mais, tout le monde sait, cela a été ressassé à souhait par les économistes auditionnés par la Commission parlementaire des finances, que ces établissements déficitaires coûtent cher au contribuable.

S’attaquer à la masse salariale

Si ces deux réformes sont effectivement réalisées, avec l’appui de la classe politique, toutes tendances confondues, ce sera un premier pas vers un assainissement des finances de l’Etat. Un assainissement qui sera par définition long et nécessitera du courage politique et les efforts de tous. Comme lorsqu’il s’agira de s’attaquer à la masse salariale du secteur public qui est de l’ordre de 20 milliards de DT.

Un exemple parmi d’autres.

Mechichi a encore appuyé son discours par quelques chiffres clés. Selon lui, la récession sera de 7% en 2020. Une évaluation optimiste. La récession (croissance négative) pourrait en effet atteindre 9% ou plus. Le déficit budgétaire sera de 11,4% du PIB, ou 12,6 milliards de DT. Le chômage a atteint 16,2%. En 2020, les ressources propres du Trésor (hors emprunts, hors dons) ont baissé de 5,6 milliards de DT. Les charges (dont celles de la lutte contre le Covid) ont augmenté de 1,1 milliards de DT.

Sur la base d’une hypothèse d’un prix de 45 dollars pour le baril de pétrole, l’économie réaliserait un taux de croissance de 4% en 2021. Ce n’est pas impossible, nous confirme un expert, « car il y aura un rebond mécanique de rattrapage après la récession de 2020 ». Pour 2021 toujours, Hichem Mechichi promet une baisse de 1,6% des dépenses de l’Etat. Une décision symbolique, car c’est une goutte d’eau, 320 millions de DT d’économie, selon les calculs de notre expert.

Dans la liste des réformes proposées par le maître de la Kasbah, une guerre sans merci contre la fraude et l’évasion fiscale sous ses différentes formes, a-t-il martelé. Cette politique vise à intégrer l’informel dans l’économie organisée. Hichem Mechichi promet également la poursuite de la réforme de la politique fiscale ainsi que celle de l’administration. Il  engage une unification et une simplification du taux de l’impôt sur les sociétés à 18% et une hausse des investissements publics de 4,5% par rapport à 2020.

Si dans sa solitude M.Mechichi parvient à réaliser ces promesses et entamer les deux réformes clés : baisse du coût des établissements et entreprises publics et réforme de la compensation, ce serait déjà très encourageant.

Le Chef du gouvernement a affirmé qu’il veut redonner de la confiance aux investisseurs. Dans le monde, non pas en Tunisie uniquement, l’investisseur est opportuniste, il cherche son intérêt qui consiste à faire des profits. Or, l’instabilité politique, l’état des finances publiques, l’épisode d’El-Kamour suivis par la « fronde » qui s’enchaîne dans plusieurs autres régions représentent autant de repoussoirs. Hichem Mechichi a donc appelé, à l’issue d’un discours de presque 25 mn, à un sursaut de conscience qui transcende les clivages politiques pour sauver la Tunisie.

Avec ce budget 2021, le Chef du gouvernement passe son grand examen. On ne tardera pas à savoir s’il sera soutenu ou pas. La Tunisie étant au bord du précipice, alors qu’il a essayé, malgré tout, de tenir un discours politiquement correct. En réalité, c’est un homme seul face à la tentation populiste et à l’opportunisme politique, dans un pays qui sombre peu à peu dans les ténèbres. Les ingrédients d’une tragédie grecque.

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