La diaspora tunisienne à l’étranger, qui représente plus de 12% de la population, est un facteur de rayonnement politique et de soutien économique. Aujourd’hui, de nombreux binationaux assument des responsabilités politiques et économiques à l’étranger. Des milliers d’ingénieurs, médecins, enseignants et techniciens supérieurs, dont beaucoup ont de longues années d’expérience en Tunisie, ont fait le choix de s’installer à l’étranger.

Comment impliquer la diaspora tunisienne dans le développement socio-économique du pays ? De nombreuses initiatives ont été lancées visant à collecter des données, repérer des groupes de diasporas, promouvoir la double citoyenneté et influencer positivement l’image et les perceptions des expatriés dans leurs pays d’origine et d’accueil.

Parmi les 1,5 million de Tunisiens vivant à l’étranger, figure un nombre important de leaders et de dirigeants de haut niveau qui occupent des postes-clés dans les secteurs public et privé, ainsi que dans des sociétés et institutions multinationales dans leurs pays hôtes, et qui contribuent à hauteur de 2 millions d’euros de transferts annuels en devises. Si on tient en compte les canaux informels, ce chiffre peut atteindre les 4 millions d’euros annuellement. Leila Baghdadi, professeur en économie, précise que ce volume dépasse les investissements directs étrangers.

Jihen Ben Romdhane, sous-directeur à la Fipa, souligne l’absence d’un cadre incitatif dédié aux Tunisiens résidant à l’étranger. «Nous organisons des rencontres avec les membres de la diaspora pour leur présenter les opportunités d’investissement dans le pays».

Les revenus des transferts, un levier inespéré

Selon les indicateurs fournis par la BCT, et dans ce contexte difficile, les revenus de transferts d’argent effectués par la diaspora tunisienne à l’étranger ont constitué un levier inespéré pour la Tunisie. Jusqu’en octobre 2020, ces revenus ont atteint 4,69 milliards de dinars, ce qui est largement supérieur aux revenus engendrés par le secteur touristique jusqu’en octobre 2020, qui ont, à peine, atteint 1,8 milliard de dinars.

L’apport de la diaspora tunisienne à l’étranger reste, de ce fait, conséquent pour notre pays. Cependant, cette même diaspora demeure, d’une certaine façon, «oubliée» par rapport aux touristes étrangers.

Quelle place occupe la diaspora tunisienne dans les stratégies de développement de la Tunisie ? Dans un débat organisé par le Forum Ibn-Khaldoun pour le développement, Mohamed Malouch, consultant à Deloitte et ancien président de Tunisian-American Youg Professionals (TAYP), précise que les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger demeurent significatifs, totalisant, durant la période 2012-2018, près de 24.6 milliards de dinars, soit un montant dépassant de plus de 50% le flux d’investissements étrangers ( 17.7 milliards de dinars) et permettant de couvrir près du quart du déficit de la balance commerciale ( 96 milliards de dinars).

«Ces résultats, quoique positifs, peuvent être sensiblement renforcés moyennant la réduction du coût des transferts des fonds, en ramenant le taux d’une moyenne 8% à 3% conformément aux Objectifs du Développement Durable des Nations unies à l’horizon 2030». A ceci s’ajoute le lancement d’emprunts obligataires en devises à souscrire par les Tunisiens résidant à l’étranger à l’effet de leur offrir des conditions intéressantes de placement de leur épargne, outre la mise en place d’une plateforme de transferts sécurisés en ligne pour faciliter les mouvements de capitaux.

Rôle de la diaspora

Le débat a été focalisé également sur les nouveaux modes de transport international et les nouvelles technologies d’information et de communication qui permettent aux diasporas de rester en contact continu et multiforme avec leurs pays d’origine. «Ils leur permettent de jouer un rôle nouveau et une mission nouvelle vis-à-vis de leur pays d’origine et dans les relations entre leur pays d’origine et leurs pays de séjour».

Ainsi, plusieurs pays adoptent des stratégies d’engagement de leurs diasporas, autant pour les remittances que pour les initiatives diplomatiques, les transferts de technologie, la mise en place de stratégies de partenariat pour la sécurité, le développement, etc.

«La Tunisie commence à avoir une diaspora de compétences, informée, connectée, et occupant des postes de décision et de responsabilité dans les secteurs et dans les institutions en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord et même, de plus en plus, en Asie».

Cette présence internationale géographique et sectorielle autorise la Tunisie à aspirer à l’émulation de ces nouvelles méthodes de mise en levier des diasporas et de leur engagement dans sa stratégie nationale de développement.

En 2013, l’Agence de coopération internationale allemande (GIZ) a commandité à l’Ecole de Gouvernance de Maastricht une étude sur l’engagement de la diaspora tunisienne en Allemagne dans le développement de la Tunisie. Suite à cela, l’Union européenne a confié à la GIZ un projet pour la période 2018-2021 sur le meilleur engagement des diasporas en Europe dans les dynamiques de développement de leurs pays d’origine.

L’exode des cerveaux et des compétences, une tendance à surveiller

La note élaborée par le forum Ibn-Khaldoun affiche les derniers chiffres du rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique évaluant le nombre des cadres tunisiens dans les filières de la médecine, de l’ingénierie, de l’informatique et de l’enseignement supérieur qui se sont installés entre 2011 et 2018 à l’étranger à 95.000 personnes dont 84% en Europe.

«L’engouement pour l’émigration est d’autant plus important que les rémunérations proposées à l’étranger sont cinq à six fois plus élevées que celles pratiquées en Tunisie. Une telle tendance ne semble pas fléchir selon la revue des émigrés tunisiens “Talents à l’étranger” ; il y a, plutôt, une forte dynamique migratoire».

Mobilité professionnelle et exigences de développement

Pour essayer de concilier entre le droit des Tunisiens à la mobilité professionnelle et la nécessité d’avoir en Tunisie suffisamment de compétences pour faire face aux exigences du développement, trois recommandations sont formulées par le Forum, à savoir : le renforcement des programmes de formation dans les filières fortement sollicitées par les demandes de recrutement à l’étranger à l’instar du secteur médical et du secteur de l’informatique en considérant que tout placement à l’étranger est une exportation de service à haute valeur ajoutée, un facteur de rayonnement pour la Tunisie et pour l’université tunisienne.

Il s’agit, également, de réviser le système de rémunération des cadres supérieurs en Tunisie en s’inspirant des exemples suivis par le Maroc à l’effet d’améliorer les conditions matérielles des hauts cadres de la nation et des grands patrons dans la recherche scientifique, la santé et l’enseignement supérieur, afin de réduire l’hémorragie qui risque d’affecter le potentiel de production du pays.

La diaspora demeure un important potentiel pour la Tunisie, une source considérable de rentrées de devises, un formidable facteur de rayonnement partout où elle se trouve, véhiculant la culture tunisienne et épaulant la diplomatie officielle pour promouvoir l’image du pays. Elle pourra l’être encore davantage, en tant que partenaire stratégique privilégié du développement de la Tunisie de demain. Plus précisément, la Tunisie doit pouvoir compter sur sa diaspora notamment en matière de veille, de transfert de la technologie et des bonnes pratiques ainsi qu’en matière de positionnement de façon compétitive dans la chaîne des valeurs mondiale, en faisant valoir la présence de nombreux Tunisiens dans les institutions internationales et régionales et dans les centres de décision de nombreuses multinationales.

«La diaspora, de son côté, doit bénéficier d’un engagement fort et continu en sa faveur pour sentir qu’elle est, réellement, au centre de la stratégie de développement du pays. Les membres les plus méritants, qui se sont distingués à l’international, et ils sont nombreux, doivent faire l’objet de distinction et de valorisation chaque fois que l’occasion se présente».

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