Faute de lieux de loisirs, d’encadrement et de vision prospective : Une enfance entre l’oubli et le béton

Les schémas d’aménagement urbain ne prévoient pas d’espaces de loisirs pour les enfants

Du côté d’El Menzah, on descend la rue du Jujubier pour atteindre le centre commercial où marchands de légumes, bouchers et poissonniers pratiquent des prix hors normes. Mais ce qui nous intéresse, se trouve à quelques mètres d’un monticule de gravats de construction, jeté par une âme charitable qui voulait sans doute égayer les lieux. En virant à droite, nous nous retrouvons dans un passage sombre où la propreté est la chose la moins partagée entre la….bibliothèque et le siège des …scouts. Nous aurions bien voulu entrer, mais les portes sont closes.

Renseignements pris, personne ne sait quand ces lieux, censés être à la disposition des enfants, ouvrent, reçoivent et jouent leurs rôles. Dans la même zone, à quelques centaines de mètres, se trouve un petit complexe où des gamins et des gamines jouent au basket.

C’est une académie. Le nom est pompeux mais cela ne veut rien dire. L’entrée à cette académie est payante et n’est pas pour rien. Disons plus exactement qu’elle n’est pas à la portée de n’importe qui.

Quelques centaines de mètres plus loin, c’est le Centre culturel et sportif d’El Menzah. Il y a foule. Les parents piaffent d’impatience, car ils risquent de ne pas pouvoir inscrire leurs enfants aux différentes activités qui s’y déroulent.

L’abonnement est à la portée de n’importe quelle famille. L’ordre et la discipline, aussi bien à la piscine que dans les salles où coexistent, sports de combats, danse, musique et dessin, sont presque arrivés à satiété.

A plein rendement

Faute de place, ceux qui ont raté le train attendront le prochain passage. Dans une année !

Pourquoi avoir pris l’exemple d’El Menzah ? Parce que tout simplement c’est un quartier chic et qu’il y a des installations où les enfants sont en mesure de jouer, de se dépenser, d’apprendre à vivre en société et de profiter de leur temps libre …Quelque chose qui s’apparente parfois, souvent, à leur véritable hobby.

Bien entendu, dans cette description il y a le bon et le mauvais, car une bibliothèque dans un lieu peu recommandable, une fois la nuit tombée, un siège scout enfoui sous une opacité étrange, cela n’a rien d’attirant.

La preuve, personne ne s’y presse, alors qu’à quelques centaines de mètres de là, c’est une véritable petite usine de sportifs, dessinateurs-peintres, judokas, lutteurs, gymnastes ou musiciens en devenir qui prédomine. Pour presque rien, et non pas moyennant une secousse tellurique à la bourse parentale.

Combien y a-t-il de centres pareils dans le Grand Tunis ?

En fin de compte, cela pourrait se compter sur les doigts d’une, de deux mains.

Il ne suffit pas d’avoir la bâtisse, mais d’être en possession de toute la logistique qui suit.

Alors qu’il y a des centaines de professeurs d’Education physique en chômage, des jeunes (certains ne le sont plus !) pour lesquels l’Etat a dépensé une fortune pour les former et qui commencent à perdre leur savoir-faire, faute d’exercer, personne ne songe à les utiliser intelligemment.

Vocation perdue

A l’Ariana, au lieu de détruire une horloge qu’il suffisait de reluquer à bon prix, on a tout démoli pour la remettre en place sur un nouveau socle, sans son verre de protection sur un de ses côtés, exposée aux changements de température, aux vents et à la pluie, ce qui ne manquera pas de la faire tomber en panne très prochainement. Pour moins que cela, on aurait pu conforter le club d’échecs, enrichir la bibliothèque, équiper un terrain vague, une salle, un bâtiment pour donner à ces gamins et gamines qui hantent les rues, un lieu pour apprendre à vivre ensemble, se respecter, s’aimer et aimer ce pays qui leur donne la chance de devenir des hommes et des femmes sur lesquels on peut compter.

Les jardins publics existent pourtant un peu partout dans le pays, mais ils ont perdu depuis bien longtemps cette vocation. Des installations sportives sont également en place mais en piteux état. La piscine du Belvédère est fermée depuis des décades. Des promoteurs ou des clubs jouent de leur influence et veulent l’acheter, mais la Municipalité s’en souvient pour faire des promesses de remise en état auxquelles personne ne croit.

Cette piscine, en plein centre de Tunis, devrait être transformée en Centre culturel et de loisirs à l’image de celui d’El Menzah 6. Il y a assez d’espace aux alentours et elle rendra service à des milliers de jeunes filles et garçons de la capitale qui étouffent en été et grelottent en hiver en hantant les rues et ruelles. Il y a même un gouverneur qui a eu l’outrecuidance d’annoncer que les «travaux d’embellissement ont commencé !»

Et nous y sommes. Dans une de nos précédentes éditions, nous avions soulevé le cas des plans d’aménagement des cités et villes.

En dépit des réglementations en vigueur, ce qui a été prévu, pour agréer les nouvelles cités, est rarement respecté. Conséquence de cet oubli, pour ne pas dire négligence coupable, ni les enfants, ni les adultes d’ailleurs, ne savent comment utiliser leur temps libre.

Des promesses…des promesses

Si les adultes parcourent les cafés et les salons de thé, les enfants jouent en pleine rue, sur les trottoirs, ou tout simplement s’en donnent à cœur-joie en rayant des voitures en stationnement, brisent un rétroviseur, montent sur un marche-pied ou derrière un métro pour…s’amuser.

La capitale, tout comme les autres villes de l’intérieur du pays, manque d’espaces de loisirs, des espaces de proximité qui peuvent offrir l’occupation rêvée pour les enfants.

D’ailleurs, combien avons-nous eu de ministres et de maires qui ont promis mille terrains de sport ? Promesses de Gascon, restées lettres mortes et juste pour se donner bonne conscience et montrer qu’ils «travaillent»

A Tunis, les enfants sont tout simplement coincés, pris en tenaille, entre l’oubli des adultes (censés être en charge de leur éducation) qui les ignorent et par le béton qui a tout dévoré. Peut-on considérer le Belvédère comme un lieu de loisirs ?

Sans moyens de transport ou dans des conditions de transport insupportables, peut-on estimer ce poumon de Tunis comme un refuge pour ces gamins qui ont bien de l’énergie à dépenser.

Le même raisonnement se pose pour les parcs de jeux (payants) de Dahdah sur les Berges du Lac, ou Katkout au Bardo.

^Le parc Ennahli à l’Ariana, celui de Radès, offrent bien sûr une alternative, mais par les temps qui courent, alors que les familles ont des difficultés pour boucler les fins de mois, rien n’est moins sûr que ces randonnées à organiser vers la proche banlieue soient à l’ordre du jour.Définir l’image mise en avant

La spirale

Que reste-t-il ? Tout simplement taper dans un ballon sur la chaussée, dribbler les voitures qui passent, mettre à l’épreuve les freins de conducteurs affolés par ces diablotins que rien ne semble impressionner.

Le plus grave, c’est qu’au bout de cette spirale, c’est la délinquance qui guette. Combien y a-t-il eu d’informations crédibles au sujet de gamins à qui on glisserait un petit billet pour allumer des pneus, couper une route ou se porter volontaires pour grossir les rangs de grévistes mal intentionnés ?

Cette porte ouverte au radicalisme précède les coups que les manipulateurs de tout bord se feront fort de monter pour utiliser cette «main-d’œuvre» à bon marché, qui grossit régulièrement avec les abandons scolaires, qui ne fait pas grève et ne demande pas d’augmentation.

Dans ces conditions, qu’on ne vienne pas se plaindre des nouvelles générations.

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