Une collection rappelle indiscutablement des souvenirs

Vaste thème que celui qui décrit le monde dans lequel vivent les… collectionneurs. Nous en avons connu un certain nombre, visité de nombreux musées de par le monde qui exposaient d’immenses collections qui vont des tableaux de maître aux boîtes de yaourt (glacophiles) ou de fromage. Mais, en fait, par quoi commencer pour présenter une image représentative de ces personnes, le plus souvent calmes, méticuleuses, ordonnées, débordantes d’amour face à leur nouvelle acquisition, fidèles d’entre les fidèles lorsqu’il s’agit de récupérer un objet ou un manuscrit prêté, après maints palabres pour une exposition ou une occasion exceptionnelle.

Comment devient-on collectionneur ? Il est difficile de fixer le profil d’un collectionneur. On peut le devenir d’un jour à l’autre, par héritage d’une collection, suite à une initiative individuelle subite, inexpliquée pour entamer une collection. Selon les statistiques, on compterait 73% d’hommes et 27% de femmes. 50% des collectionneurs ont commencé leur collection entre 4 et 15 ans.

Pour Sacha Guitry —auteur dramatique—, le fait de collectionner est une idée qui reflète de manière plus que parfaite ce que sont ces hommes ou femmes qui consacrent toute leur vie pour parcourir les marchés aux puces, les marchés hebdomadaires, les ruelles des souks des vieilles villes ou tout simplement emprunter l’avion pour aller découvrir un document rare mis en vente par une famille ou un particulier en quête d’argent.

Ce réalisateur et acteur du début du XXe siècle, lui-même grand collectionneur d’objets d’art et de manuscrits originaux, classait les collectionneurs en deux catégories : les «collectionneurs placard», introvertis et méfiants, qui préfèrent garder leur collection pour eux seuls, et les «collectionneurs vitrine», extravertis voire exhibitionnistes, qui ne parlent que de leur collection. Ceux-ci peuvent devenir des experts reconnus, car en plus de bien connaître leur sujet, ils apprennent à en parler à des néophytes.

Nous en avons connu un, feu Ahmed Jellouli, qui était un grand collectionneur et qui a littéralement transformé sa maison, située en plein cœur de la «ville arabe», la médina, en véritable musée.

Il collectionnait surtout les manuscrits et les selles de chevaux. Feu Ahmed Jellouli allait partout où on lui signalait la présence d’un manuscrit ancien. Du premier coup d’œil, il situait année et époque. Et le voilà parti pour de longs exposés historiques. Il n’était jamais à bout d’arguments et de sa voix douce et calme, vous faisait revivre bien des épopées. C’était, il était, devenu expert, et son trésor débordait de pièces rares qu’il rangeait jalousement. Mais contrairement à beaucoup de collectionneurs, il était très ouvert et la porte de sa maison ne se refermait jamais. De nombreux touristes, informés, demandaient à y entrer pour toucher ces selles qui ont porté d’illustres cavaliers, tout au long de leurs conquêtes, ou regardaient avec émerveillement des manuscrits centenaires.

Cette passion, nous racontait-il, lui venait de son auguste père qui l’encourageait mais pour lui «cela compensait un vide». Le vide qui s’assimile à un regret de n’avoir pas vécu ces épopées mémorables, ces époques où le savoir était à la portée et où des hommes, des érudits, éduquaient les générations montantes sans arrière-pensées ni retenue».

Une obsession

Dans la majorité des cas, cet acharnement tourne à l’obsession. Le collectionneur sacrifie tout pour l’acquisition d’un objet qu’il a attendu des années et auquel il a longtemps rêvé. Une fois le contact établi, tout est bon pour ramener l’objet de sa convoitise.

Pour le psychanalyste américain, Werner Muensterberger, ce phénomène qui mobilise un collectionneur fonde son origine dans la petite enfance. Selon lui, «se remettre du traumatisme qu’a été la séparation avec sa mère, un individu va vouloir le combler avec des objets qui vont le rendre heureux».

Certains d’entre eux ont vendu une partie de leurs biens pour avoir l’unique satisfaction de remorquer une voiture très ancienne. En l’achetant, il savait qu’il allait se saigner.jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la réparer et la remettre en marche.

C’est que certains objets de collection, les voitures surtout, ne sont pas évaluées à leur juste valeur. Alors que certains les bichonnent tous les jours, leur font tourner le moteur toutes les semaines, s’assurent que les pneus sont bien gonflés, que le niveau d’huile est dans les normes, d’autres ne s’inquiètent guère. Pour avoir la part des sous leur revenant de cet «héritage» encombrant, ils voudraient dépenser le moins possible.

Remonter le cours de l’histoire

Le collectionneur, lui, vous tiendra de longs discours pour vous affirmer que les voitures anciennes ont beaucoup de qualités et que ce qu’ils rapportent à la maison est un acquis exceptionnel. Alors que le véhicule est presque en état de décomposition, croulant sous la poussière, il vous soutiendra dans un discours fascinant, et, qui se veut convaincant, qu’il participera à la course des vieilles voitures qui aura lieu au Belvédère l’année suivante.

Cette course était suivie un peu partout dans le monde. Des voitures étrangères y participaient, mais depuis plus de dix ans on n’en entend plus parler.

L’un des collectionneurs de ces voitures anciennes avoue que son hobby «remonte à très loin, depuis ma tendre enfance. C’est une façon de traverser des époques qui ont marqué l’histoire de la mécanique. J’ai appris à conduire dans notre jardin. Le frein à main de la première voiture que j’ai conduite était du côté de la portière gauche. Je devais sortir la main par la fenêtre pour l’atteindre. Le moteur démarrait à la manivelle. Cette voiture je l’ai encore et elle est en parfait état».

La Tunisie a, par ces temps qui courent, d’autres problèmes économiques et sociaux à résoudre et il serait malvenu en ces temps de pandémie de parler d’organisation ou de manifestation de masse. C’est ce qui prouve que les beaux jours ne sont pas encore près de revenir.

Manque d’encouragement

Indépendamment de cet aspect, il y a un manque d’encouragement à ce genre d’activités. Les collectionneurs agissent de leur propre initiative et se présentent en rangs dispersés. Il est difficile d’en connaître le nombre dans le pays. Et lorsqu’on en découvre, c’est avec beaucoup d’admiration que l’on contemple ces pièces réunies à grande peine, au prix de mille et un sacrifices donc par ses propres moyens, pour les acquérir.

Et l’on parle de tourisme culturel !

Chacune de nos régions est un musée en devenir, moyennant, bien entendu, des investissements pour mettre en évidence ce qui fait sa réputation. Les poteries de Sejnane ont trouvé une oreille attentive. C’est là que les femmes, depuis des siècles, réalisent des poteries naïves et originales. Leur fabrication, formes et décorations remontent à la fin de l’âge de bronze méditerranéen. Les poteries de Sejnane ont été classées sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco le 29 novembre 2018. Cette région ne mérite-t-elle pas que l’on édifie un musée à intégrer dans les circuits ? Un musée qui regrouperait des poteries d’autres régions en remontant aux sources et en effectuant des recherches ?

Ce n’est qu’un exemple, mais il y en beaucoup d’autres qui devraient éveiller l’attention de ceux qui ne font que quémander des aides pour continuer à vivre comme dans les années soixante-dix. Notre tourisme doit changer, mais c’est un autre problème.

En prenant en exemple ce qui se passe en Russie, c’est l’Etat qui encourage l’édification de musées spécialisés dans tout ce qu’on pourrait imaginer comme objets à ramener et à collecter pour faire un ensemble parfait, méritant l’attention et le soutien. On peut passer une journée entière, sinon plus pour parcourir les musées de Moscou.

Ces mots savants

De la collection des boîtes d’allumettes, «un philuméniste», à celui qui a la passion de s’entourer de vieilles chaussures «calcéologiste» pour lesquels il parcourt le monde et joue des coudes pour choisir dans les tas de chaussures de la fripe, la passion est intacte, en passant par la clopocléphile (porte-clefs), les numismates (pièces de monnaie), il y aura toujours des hobbys qui nous échapperont.

Bien entendu, les collectionneurs de timbres-postes sont les plus connus. Des «philatélistes», il y en a à travers le monde. Cette passion, née en… 1843, a connu une expansion extraordinaire et les timbres rares s’échangent, de nos jours, ou se vendent à prix d’or.

C’est aussi la collection des cafetières qui a donné naissance à un nouveau mot : le «cofféaphiliste». Ou encore celui qui ramasse tout ce qui lui tombe sous la main comme cravate et s’enorgueillit de collectionner des nœuds papillon qu’on appelle «nœudelerophiliste».

Ces mots savants ne nous feront pas oublier qu’à chaque époque, il y a eu des… vélos. Ces bicyclettes ont leurs adeptes. Le grand-bi du XIXe siècle, le dix vitesses des années 1970, le BMX des années 1980, ces vélos en matière spéciale qui pèsent quelque dizaines de grammes et que les cyclistes utilisent pour faire de la vitesse, font partie de l’histoire de la bécane. Ce moyen de déplacement, qui a vite évolué, a ses collectionneurs qui font la chasse à tout ce qu’offre le marché.

Les affiches de cinéma ne sont pas en reste. Elles connaissent un marché toujours vivace en dépit des avancées enregistrées dans le domaine de l’imprimerie et de l’informatique.

Un patrimoine à préserver

Il est évident que les collectionneurs sont des hommes et éprouvent parfois des besoins (maladie, opération chirurgicale urgente, faillite, etc.) auxquels ils ne sauraient se soustraire.

C’est la mort dans l’âme qu’ils se séparent de quelques-unes de leurs pièces rares. On en trouve aux ventes aux enchères, et les prix volent très haut.

Ces ventes, parfois pour des personnes qui n’ont rien à voir avec la passion des collectionneurs, juste pour garnir un salon, constituent une perte de mémoire d’un patrimoine. Il faut savoir le conserver.

Serait-ce trop demander à ce que le ministère des Affaires culturelles ait ses antennes et essaie de le préserver en les achetant en cas de vente ?

Dans l’état actuel des choses, cela tient de l’utopie, il faudrait le reconnaître, mais ce n’est pas une raison de baisser les bras et de regarder sans réagir ces bradages qui disloquent ce que des générations successives ont mis toute une vie à réunir.

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