Impact des changements climatiques sur l’économie tunisienne | Quels risques ? Quelles issues ?

La Tunisie fait partie des pays les plus fortement exposés aux changements climatiques qui constituent un défi sans précédent pour l’humanité, dans un monde où la croissance rapide de la population, des modes de production et de consommation non durables entraîne des pressions croissantes sur les écosystèmes et les ressources naturelles. Les changements climatiques impactent rudement  le sol, l’eau, l’air et la biodiversité et l’impact de ces  changements se fait ressentir de plus en plus en Tunisie : incendies, canicules, inondations, déficit hydrique, raréfaction de certaines espèces, perte de la biodiversité, fragilisation des écosystèmes terrestres et marins…

Selon les experts, la Tunisie est le pays méditerranéen le plus impacté par le changement climatique. D’après les analyses réalisées dans ce sens, la Tunisie va être confrontée, d’ici 2030, à un réchauffement climatique de 1,1 degré et de 2 degrés d’ici 2060. Ce réchauffement se traduira par l’émergence de phénomènes climatiques extrêmes plus fréquents et plus accentués, ayant des conséquences économiques et sociales alarmantes. Stress hydrique, érosion des côtes et pollutions industrielles sont autant de freins au développement.

Les ressources naturelles tunisiennes sont, d’ores et déjà, affectées. Eau et sol subissent une intense pression de la part des activités humaines à savoir l’agriculture, les mines, l’industrie et le tourisme. Ces activités, majoritairement concentrées dans les zones côtières, engendrent des pollutions diverses.

Selon une synthèse des vulnérabilités et des mesures prioritaires pour l’adaptation aux changements climatiques en Tunisie, réalisée par le ministère de l’Environnement en mai dernier, la Tunisie risque gros, et ce, à plusieurs niveaux.

Changement climatique et ressources en eau

Pour les ressources en eau, les changements climatiques pourraient se traduire par des impacts à plusieurs niveaux ; l’augmentation de l’érosion hydrique, l’augmentation des besoins en eau, la dégradation de la qualité des eaux, la surexploitation des nappes souterraines. Selon le ministère, l’augmentation des besoins en eau est beaucoup plus ressentie au centre de la Tunisie, au niveau des régions de Kasserine, Sidi Bouzid, Kairouan. Du fait que la Tunisie se trouve déjà en situation de pénurie d’eau et que le taux de mobilisation des ressources en eau conventionnelles est de 92 %, différentes mesures d’adaptation ont déjà été initiées.

Tout d’abord, pour ce qui est du développement et de la mobilisation des eaux non conventionnelles, plusieurs unités de dessalement de l’eau de mer sont actuellement actives, ou en cours de construction. Ces investissements devront permettre de sécuriser l’alimentation en eau potable jusqu’à l’horizon 2030.  Egalement la valorisation du potentiel des eaux usées traitées, évalué à environ 300 Mm3, est également un axe en cours de développement en Tunisie. Ensuite, un transfert d’eau et recharge artificielle a été engagé en Tunisie, et ce, à travers l’étude de la possibilité de transférer une partie des eaux excédentaires, évaluées à 400 Mm3 par an, de l’extrême nord vers le centre du pays au niveau de la région de Kairouan. Cette mesure prévoit le renforcement des infrastructures par la connexion des barrages, le dédoublement des conduites de transfert, et la création de nouveaux ouvrages de stockage. Le montant global de l’investissement est estimé à 1.400 MD. Aussi, un programme national de recharge artificielle des nappes est également initié, selon la même source.

Au niveau de la gestion de l’eau agricole, des mesures d’adaptation sont, par ailleurs, initiées dans le secteur agricole pour réduire la demande en eau, comme le recours à l’agriculture de conservation. Pour ce qui est du cadre institutionnel, le Code de l’eau est en cours de révision et la possibilité de créer une instance de régulation est en cours d’étude. Aussi, la loi de création des GDA est en cours de révision afin de tenir compte de nouveaux enjeux de gestion.

Agriculture et pêche…

Toujours d’après le ministère de l’Environnement, l’agriculture et les écosystèmes tunisiens sont fortement impactés par les changements climatiques et cela est visible à plusieurs niveaux, à savoir  la surexploitation des nappes, la baisse des rendements et la réduction de la superficie destinée aux  cultures arboricoles et aux cultures céréalières, l’augmentation du risque d’incendie, la dégradation des écosystèmes alfatiers, la réduction des parcours et des fourrages, la perte de la fertilité des sols, la diminution des revenus issus de l’agriculture…

A ce niveau-là, plusieurs initiatives ont été adoptées pour  assurer une meilleure adaptation du secteur agricole. D’abord, l’Etat a pensé au renforcement des capacités d’observation et des connaissances scientifiques, et ce, à travers le suivi météorologique et climatique, dans le but de pouvoir anticiper les évènements extrêmes. Ensuite, il y a eu l’adaptation des systèmes agricoles face à la raréfaction des ressources en entamant, depuis 1995, le Programme National de l’économie d’eau. En 2015, l’irrigation goutte-à-goutte est appliquée à environ 46 % de la surface totale des périmètres irrigués, contre 30 % pour l’irrigation par aspersion et 24 % pour l’irrigation gravitaire améliorée. D’autres mesures ont également été mises en place comme l’éducation des agriculteurs à la réutilisation des savoir-faire ancestraux.

Pour faire face à l’impact du changement climatique sur l’agriculture et les écosystèmes, l’Etat à œuvré pour la mise en place de plans et stratégies d’adaptation au changement climatique à l’échelle nationale, à travers la Stratégie nationale de gestion durable des forêts et parcours en Tunisie (2015-2024).

Du côté de la pêche et de l’aquaculture, et d’après les constations du ministère de l’Environnement, il en résulte que ce secteur est très vulnérable aux changements climatiques. Leurs impacts se traduisent à plusieurs niveaux ; la réduction de la production primaire et secondaire, des pêcheries fixes, de pêche lagunaire, la réduction  des activités halieutiques et la réduction du rendement de la pêche à pied de la palourde et de l’activité aquacole. Les initiatives d’adaptation du secteur de la pêche aux changements climatiques restent très timides, hormis quelques tentatives comme l’exploitation des espèces invasives comme le crabe bleu qui menace sérieusement l’activité de pêche côtière dans le golfe de Gabès.

… Et le tourisme

Pour le tourisme, les changements climatiques engendreront la dégradation de l’activité des hôtels front de mer. La Tunisie a choisi un modèle de tourisme de masse, mais qui a un coût environnemental très élevé, notamment en terme de consommation d’eau et de pollution. Avec le changement climatique, ce secteur-clé pour l’économie tunisienne sera particulièrement impacté. Le secteur pourrait perdre 300.000 lits d’hôtels d’ici 2030. La solution serait d’adopter un tourisme plus écologique et moins massif, selon les experts.

Toujours selon le ministère de l’Environnement, plusieurs impacts potentiels du changement climatique sur le secteur du tourisme en Tunisie peuvent être identifiés à savoir l’évolution des conditions de confort et impacts sur les flux touristiques, la perturbation du tourisme littoral suite aux impacts de l’élévation du niveau de la mer, l’augmentation du coût d’exploitation des hôtels, le conflits d’usage sur les ressources naturelles et tensions accrues sur l’approvisionnement alimentaire, la diminution de la biodiversité et dégradation des écosystèmes et des paysages marins et terrestres, la dégradation de la qualité de l’eau de mer et de l’eau douce en plus de l’augmentation des risques sanitaires et des risques liés aux événements extrêmes.

Dans une note publiée, également en mai dernier, par le ministère de l’Environnement sur les engagements et les priorités de la Tunisie en vertu de l’Accord de Paris sur le climat, les principales mesures prévues dans le domaine du tourisme se résument essentiellement à la réhabilitation du littoral touristique tunisien et à la protection des zones touristiques contre l’avancée de la mer, la définition de régions climato-touristiques et l’adaptation de la répartition de circuits éco-touristiques. Il est également prévu de développer une offre à la fois alternative et complémentaire au tourisme balnéaire, en particulier sur les thématiques de santé, culture, sport et écologie. Le lancement et la promotion du concept de « l’hôtel écologique » compte également parmi les actions à entreprendre en plus de l’optimisation de la gestion des ressources en eau par le secteur touristique et la réalisation de mini-stations de dessalement de l’eau de mer utilisant les énergies renouvelables.

Sur le plan sanitaire, les impacts du changement climatique sur la santé humaine sont à la fois directs ou indirects : propagation des maladies à transmission vectorielle, augmentation des maladies infectieuses d’origine hydrique et alimentaire, risque accru de crises d’asthmes, accentuation des maladies cardiovasculaires et respiratoires et risque d’accroissement de la mortalité, accroissement des maladies cutanées…

Pour faire face à ces risques, le ministère de l’Environnement parle du renforcement de capacités et d’appui institutionnel à travers l’évaluation des risques et la prévention de l’augmentation des pathologies respiratoires liées aux changements climatiques, la mise en place d’un réseau d’épidémio-surveillance des principales maladies vectorielles, la mise en œuvre et le renforcement du réseau de surveillance entomologique, la mise en place d’un programme d’adaptation du système de santé aux changements climatiques, basé sur une formation adaptée du personnel médical en plus de la mise en place d’une stratégie de communication sur les risques sanitaires découlant des changements climatiques.

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