Le 6e Congrès arabe de l’habitat, tenu à Tunis, dans une édition exceptionnelle du fait de la pandémie de Covid-19, a pris fin. Ses travaux ont débouché sur une déclaration finale, suite à laquelle les ministres arabes ont convenu de repenser leurs stratégies nationales, à même de pouvoir développer les zones anarchiques et limiter leur extension. Les solutions consistent, selon eux,  à réviser le cadre législatif et institutionnel et opter pour d’autres alternatives censées cadrer avec le paysage urbanistique général. Une nouvelle coopération interarabe basée sur l’échange d’expériences et d’expertises est aussi de mise. Voilà des out-puts constructifs, mais qui font toujours débat. 

Pourquoi n’assiste-t-on pas, ici comme ailleurs, à une gestion des réserves foncières, suivant des plans d’aménagement territorial judicieux et généralisés ? Sous nos cieux, avoir son propre logement relève du rêve. Voire un souci commun d’une large classe sociale, aussi surendettée soit-elle, qui vit au gré des jours, sans avoir à épargner pour se procurer un toit. Ceux qui croulent sous la misère n’ont pas d’idée. Forcés, ils optent pour des « alternatives » individuelles qui n’ont jamais été en harmonie avec le paysage urbanistique du pays. Force est de constater que des constructions anarchiques poussent partout comme des champignons, faisant étendre les périmètres des bidonvilles et des quartiers populaires bâtis dans des zones où le danger est bien réel (lit d’oued, zone inondable..). Ainsi, l’incommodité du choix, doublée d’un marché immobilier spéculatif et exorbitant, avait, alors, donné lieu à une carte d’habitat brouillée et de plus en plus altérée.  Depuis des lustres, on n’a jamais vu remettre sur le tapis la question du logement social. Ce dernier demeure un besoin de plus en plus pressant, reconnu pour être un attribut de la dignité humaine.

Pour Kamel Doukh, ministre tunisien de l’Equipement et de l’Habitat, deux raisons majeures expliquent ce phénomène : l’expansion urbaine accélérée et la tendance individuelle à acquérir un logement. Au fil du temps, ces constructions anarchiques ne sont plus une exception. Elles font la loi, sur des terrains agricoles non viabilisés, sans plans d’aménagement en vue. Pas si chers, ces lotissements répondent aux revenus limités. Pourquoi l’Etat n’y intervient pas? Une sorte de passivité et de laxisme qui ne fait qu’attiser les convoitises des squatteurs et d’usurpateurs. Que fait-on avec des superficies foncières publiques, longtemps, vouées à l’abandon ? Certes, nul n’a le droit de s’en emparer gratuitement. Mais de nouvelles solutions exigent que l’on s’y intéresse. Selon le ministre, la promotion de l’habitat social pour la limitation des zones anarchiques a fait du chemin sur trois étapes, du 1956-1975, 1980-1992, jusqu’à aujourd’hui. En dépit des efforts de déconstruction, de reconstruction, d’aménagement et de réhabilitation, les choses n’ont pas beaucoup évolué. Et tous les programmes et projets visant l’amélioration des quartiers rudimentaires semblent n’avoir guère porté leurs fruits. La création, en 1981, de l’Agence de réhabilitation et de renouvellement urbain (Arru) n’a pas résolu le problème. Pourtant, ses interventions avaient, alors, touché 1500 quartiers à haute densité démographique, soit le tiers de la population, rappelle le ministre. Avec un coût estimé à 1600 millions de dinars. « A cela s’ajoutent d’autres actions d’ordre social, environnemental et énergétique, favorisant des opportunités d’emploi et d’installation à son propre compte », passe-t-il en revue.

38% des constructions sans autorisations

Entre-temps, à l’en croire, le volet entretien et correctif étant aussi omniprésent. Et si cela était vrai, pourquoi n’en a-t-on pas fini avec ces constructions anarchiques ? Phénomène qui gagne encore du terrain. Il couvre près de 38% des logements construits, chaque année sans autorisation aucune. Soit, un chiffre jugé effrayant. Cela est dû, selon lui, au gap largement creusé entre le taux démographique en croissance et celui économique jusque-là en panne. Un constat ayant gravement influé sur le marché immobilier. L’ambition de posséder un logement est telle que le tunisien s’est retrouvé sous le marteau des prix extrêmement élevés et l’enclume d’un pouvoir d’achat complètement érodé. Certes, bâtir dans le noir est intolérable. Mais que faire pour juguler ce nombre exponentiel des habitations anarchiques ? La responsabilité n’incombe pas seulement au citoyen. La municipalité étant aussi mise en cause. Car pas mal de quartiers anarchiques périphériques de la capitale et bien d’autres grandes villes furent, alors, construits au grand jour. Soit, au su et au vu de tout le monde. Dans les années 80, combien de terres domaniales ont été quasiment violées ? D’autres furent cédées en tapinois. Cela dit, ce phénomène des constructions anarchiques est étroitement lié à celui de la corruption.

Trop d’outils et de mécanismes

Et si la situation était bien maîtrisée ! Le ministre avait indiqué, ici, que la politique de l’habitat en Tunisie a été révisée, depuis 2014, soit quarante ans ou presque après son élaboration. Cet état de nonchalance demeure plus qu’évident. Avec l’installation des Conseils municipaux en 2018, d’autres mécanismes d’appoint ont été créés pour venir à bout du problème. La promulgation du Code des collectivités locales vise à renforcer le rôle des communes dans le contrôle et la gestion urbains, l’actualisation des plans d’aménagement et la révision des législations propre à l’habitat. Le nouveau projet de Code d’aménagement et de développement territorial puise également dans l’essence de la décentralisation. Ce qui a permis aux communes de fournir des lotissements à bon marché. Comment ? Cela consiste à créer des lots sociaux dans la périphérie des cités résidentielles, financés par l’UE. Dix mille (10000) autres lots à caractère social décidés, depuis 2018, au profit des catégories démunies et à revenu limité. C’est l’Afh, l’agence foncière d’habitat, qui a été chargée de la réalisation de ce projet. Le Foprolos (fonds de promotion des logements pour les salariés), est aussi un vieux mécanisme de financement des logements avec facilité des crédits. Au total, 60 mille logements depuis sa création en 1977. Lancé en 2012, le programme spécifique du logement social prévoit le renouvellement de 10 mille constructions rudimentaires, s’y ajoutant 20 mille autres nouveaux logements. L’objectif est double : fixer les citoyens dans leurs régions et faire face à l’émergence des quartiers anarchiques dans les périphéries des villes. « Premier logement » et « Fonds de garantie pour les crédits à l’habitat au profit des catégories sociales à revenus irréguliers » sont deux outils de financement dont on a trop entendu parler ces deux dernières années.

Trop de programmes et de fonds qui, semble-t-il, n’arrivent pas à répondre à la loi de l’offre et de la demande. Pourquoi la crise de l’habitat persiste-t-elle encore ? S’agit-il d’un problème de gestion ou d’un soupçon de corruption ? « L’Etat y est pour quelque chose », avoue le ministre, en conclusion. Il doit changer de stratégie, mettant en avant le volet préventif comme garde-fou contre la multiplication des constructions anarchiques.

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