«Martyr» de Fadhel Jaïbi : Livres, béances et violences

«Martyr» de Fadhel Jaïbi est comme un prolongement de ses «Peurs», «Violences» et «Tsunami»… La métaphore du prolongement d’une gangrène qui s’étire sur tout le corps et s’immisce dans toutes ses failles… nullement inquiétée… 

Au commencement était le son ! A-t-on envie de dire… tout a commencé par le son de l’eau d’une piscine où le personnage principal, Benjamin, trempait ses mains. On y est dès le départ car force est de croire que parmi les éléments de mise en scène les plus frappants et les plus réussis est l’univers sonore de «Martyr» qui nous met le pied dans l’étrier. Une mise en scène où la conception des espaces évolue par l’univers sonore… de la piscine essentiellement mais, aussi, de l’ascenseur qui «nous rentrent» dans la tête de prime abord. Ces mécanismes sonores déjà présents dans nos neurones sont ainsi réveillés et c’est comme ça que le metteur en scène commence à installer le spectateur par ces bruits au quotidien et continue à le faire dans le reste de la pièce. Fadhel Jaïbi était conscient de la distance du public et sa conception de l’acoustique et du son arrive à toucher le spectateur quelle que soit sa place dans la salle. Côté visuel, les scènes sont d’une composition minutieuse des images presque cinématographiques dans certaines séquences ! Une dramaturgie et une scénographie de très haute facture.

«Martyr» est, en fait, la dernière pièce mise en scène par Fadhel Jaïbi, produite par le Théâtre tunisien, d’après Marius Von Mayenburg. Elle a été interprétée par le jeune Théâtre national 2020 dans un casting composé de Aws Al Zubaidy, Nouha Naffeti, Malek Chafroud, May Al Salim, Clara Fetouie el Hawa, Mahdi Ayed, Siwar Abdaoui, Amen Allah Atrous et Hamza Ouertatani.

En voici le synopsis :

Benjamin, héros de «Martyr», est un adolescent qui ne jure que par les Ecritures Saintes. La crise existentielle et religieuse qu’il traverse vient rapidement influer sur le quotidien du lycée : par les questions qu’il soulève, Benjamin révèle les failles de tout un système d’éducation, qu’il soit familial, scolaire ou même théologique.

Les adultes sont vite dépassés par sa force de conviction. Seule sa professeure de biologie tente de le raisonner en l’emmenant sur son propre terrain : celui de sa lecture de la Bible.

Marius Von Mayenburg nous interroge sur la révolte à l’adolescence et sur le fanatisme religieux – Où la parole est le moteur le plus puissant…

«Martyr» est un prolongement des œuvres précédentes de Jaïbi, à savoir «Violences» «Peur» et «Tsunami», toutes produites après la révolution. C’est à croire que l’homme de théâtre, mais aussi l’homme tout court semble déchanter… Son Benjamin est l’incarnation de la lutte idéologique et morale sur la sphère publique qui est de retour via le paysage politique. L’écriture évite le piège du manichéisme simple, c’est vrai, et nous renvoie à notre propre vision face au fanatisme religieux et transmet cet effet de retour vers les idéologies toxiques. La religion est basée sur l’idée de la violence et de l’envahissement. En choisissant un personnage chrétien, Jaïbi semble vouloir dire aussi que la menace existe partout où il y a une religion qui attise la haine et semble poser la question «où réside le problème, dans la religion ou dans l’être humain lui-même ?». Dans «Martyr», l’école étrange est présentée comme un espace décousu et désorganisé… Une béance pour tous les courants… et c’est justement par cette béance que Benjamin s’infiltre… Il y a des failles partout dans le système éducatif, le système social ou familial et les «directeurs d’écoles», comme s’ils étaient «castés» pour la mission, laissent faire…

Laisser un commentaire