L’invité | Driss Haddad, ancien milieu de terrain du CAB : «Je ne me vois pas ailleurs»

A l’heure où les sportifs ne parlent plus à Bizerte que des défaillances de l’infrastructure sportive et de la vétusté des stades mis à la disposition du CAB, Driss Haddad, figure de proue du foot nordiste, établit un constat sans concession : «Nous n’avons pas de stade digne du standing du CAB, déplore-t-il. Dans ces conditions, il est inutile d’exiger l’impossible de nos joueurs qui continuent d’évoluer sur une pelouse indigne. Heureusement qu’une solution est visiblement trouvée, et que le tartan va, d’ici le mois d’avril prochain, supplanter un gazon ressemblant à un champ de patates».
Ayant côtoyé trois générations différentes, le chemin de Haddad était souvent barré par l’Etoilé Abdelmajid Chetali puisqu’ils occupaient le même poste. Il raconte pour nos lecteurs ses souvenirs de sportif amateur.
Autres temps, autres mœurs…

Driss Haddad, commençons par l’actualité. Vous avez évolué sur la terre battue du stade Ahmed-Bsiri. Le stade 15-Octobre donne la migraine aux sportifs de la région. Est-ce le bout du tunnel ?

Le plus malheureux dans l’affaire, c’est que cette enceinte n’est plus viable. Sa pelouse ressemble à tout sauf à du gazon. C’est un champ de patates.  L’infrastructure sportive de Bizerte reste insuffisante et obsolète. Dr Rachid Terras, maire de la ville et président du CAB entre 1958 et 1964, a tout tenté pour développer cette infrastructure. Des présidents comme Mohamed Belhaj et Hamadi Baccouche ont beaucoup apporté au club. Ahmed Karoui a fait de son mieux. Depuis, on ne fait que gérer la crise. Bizerte mérite de meilleures installations sportives car nous n’avons pas de stade digne du standing du CAB. Dans ces conditions, il est inutile d’exiger l’impossible de nos joueurs qui continuent d’évoluer sur une pelouse indigne. Heureusement qu’une solution est visiblement trouvée, et que le tartan va, d’ici le mois d’avril prochain, supplanter un gazon teigneux.

Sui vous a convaincu de pratiquer le football ?

Mon frère Boubaker, mon aîné de onze ans. Un attaquant hors pair. Il a inscrit neuf buts au cours d’un seul match. En 1957-58, il a été sacré meilleur buteur du championnat (28 buts), ex æquo avec la tête d’or de l’ESS, Habib Mougou. En 1959-60, il a été quatrième meilleur buteur avec 13 réalisations. Décédé il y a onze ans en France dans un accident de la circulation avec son fils Ali, il a été inhumé là-bas. Boubaker a joué en sélection avec un autre Cabiste, Chedly Bouzid. Il lui arrivait de me corriger à coup de claques quand je ratais un but tout fait. Pour moi, c’était le père, le frère, l’ami.

Il aidait notre famille composée de cinq frères, et nous versait de l’argent à partir de la France où il a joué à Nancy et Epinal. 

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?

Je n’ai pas vraiment connu mon père Mohamed, officier dans l’armée française, et décédé dans l’Hexagone alors que je n’avais que neuf ans. Quant à ma mère, Founa Bent Boubaker Ben Nacef, cousine de Mokhtar Ben Nacef, l’ancien défenseur du CAB, passé pro à Nice, puis sélectionneur national, elle ne comprenait rien au sport. Ce n’était pas sa tasse de thé.

A quel poste avez-vous joué ?

En ce temps-là, on évoluait avec deux demis et cinq attaquants. J’étais l’organisateur et le distributeur du jeu. Je servais les Zoraï, Larbi et Youssef Zouaoui, Chakroun, Ben Gouta… J’étais un spécialiste des balles arrêtées. Nos buteurs avaient pour noms Boubaker, Zoraï et Youssef Zouaoui.

Quel a été votre premier entraîneur ?

Mohamed Chetouane qui m’a tout appris. Donc, mon frère Boubaker et le futur président Mohamed Belhaj qui jouait avec lui dans l’équipe m’ont piloté vers le CAB. Je pratiquais le foot dans notre quartier El Gaied, à Bizerte, et m’efforçais de répondre aux attentes de mon frère et à celles de Si Chetouane, un ancien grand joueur. Grâce à une hygiène de vie impeccable, j’ai pu côtoyer trois générations: d’abord celle de Habib Mahouachi, Chedly Bouzid, mon frère Boubaker… Ensuite, celle des frères Zouaoui, Joulak, Jerbia… Enfin, celle de Abdeljelil Mahouachi, Moncef Ben Gouta…

Et après Chetouane ?

L’Algérien Salah, qui a rajeuni l’équipe, le Hongrois Frank Loscey qui nous a fait revenir en D1, le Yougoslave Ozren Nedoklan.

Et vos dirigeants ?

Rachid Terras, Abdelmajid Almia, Ali Maâmer, Sadok Belakhoua, Mohamed Belhaj et Mohamed Fatnassi, un secrétaire général très dynamique.

Quel a été votre meilleur souvenir ?

Tout simplement, côtoyer d’aussi grands joueurs que Chetali, Taoufik, Kanoun, Hamadi Henia, Abdelmajid Azaiez… Attouga et Tahar Chaïbi venaient passer la nuit chez moi. Mohamed Salah Jedidi et moi, on ne se quittait pas. A la mort de mon épouse, en 2011, ils étaient tous là pour partager ma douleur.

Depuis, vous vivez tout seul ?

Oui, et la maison avec ses cinq pièces me paraît bien grande depuis la disparition de mon épouse, Néjia Fouchali. Mariés en 1965, nous avons eu  trois enfants: Ryadh, 54 ans, chirurgien dentiste, Afef, 52 ans, prof d’arabe, et Hajer, 42 ans, prof universitaire de français. Heureusement que ma fille Hajer habite au palier supérieur. Mes sept petits-enfants rendent ma vie plus gaie.

Et votre plus mauvais souvenir ?

Notre relégation en D2. Cela a coïncidé avec la Bataille de l’Evacuation. Nous avons passé des moments très difficiles. Les paras français nous arrêtaient quand nous nous déplacions pour nous entraîner. Ils nous rassemblaient dans une salle et nous battaient. D’ailleurs, Mohamed Salah Bejaoui en a eu les jambes cassées. Il fallut l’intervention de notre SG, Mohamed Fatnassi, pour nous relâcher.

Que représente pour vous le CAB ?

C’est toute ma vie. Quand on attrape ce virus-là, pas celui du Covid-19 que Dieu nous en préserve, il ne nous lâche plus. Chaque dimanche, je me déplace au stade pour suivre les rencontres de mon club. Je ne vois plus beaucoup d’anciens joueurs pour continuer de le faire. Le CAB a été pour beaucoup dans ma formation d’homme. Notre président Rachid Terras nous imposait d’aller nettoyer la plage de Bizerte avant la saison estivale. Une association sportive représentait une école de civisme. Est-ce toujours le cas ?

A votre avis, quels sont les meilleurs footballeurs cabistes ?

Abdelhamid Ben Ahmed, Chedly Bouzid, Boubaker Jemili, Othmane Bejaoui, Youssef Zouaoui, Joulak, Moncef Ben Gouta, Othmane Jerbia, et l’immense Hamda Ben Doulet que j’apprécie énormément pour ses qualités techniques, et surtout pour son éducation. C’est un joueur modèle.

Et les meilleurs joueurs de l’histoire du football tunisien ?

Feu Noureddine Diwa au-dessus de tous, c’est le maestro. Il y a également Abdelmajid Chetali, Taoufik Ben Othmane, Tahar Chaibi, Ahmed Sghaier, Mohamed Salah Jedidi, Abelwahab Lahmar, Aleya Sassi…

Quelles sont vos idoles ?

Le milieu de terrain du CAB, Abdelhamid, mais aussi Diwa que j’adorais et avec lequel j’ai fini par jouer en sélection. Chetali, Agrebi et Ben Doulet, aussi.

Pourquoi n’avez-vous pas fait une grande carrière en sélection ?

Tout simplement parce qu’il y avait quelqu’un de plus fort que moi : l’immense Abdelmajid Chetali. Les sélectionneurs Kristic et Gérard m’alignaient plutôt dans les matches amicaux: contre Malte et l’Armée irakienne en 1961, contre Dynamo Moscou, la France B, les tests disputés au stage de Hongrie et d’Allemagne… La plupart du temps, j’étais remplaçant.

C’était le cas en phase finale de la Coupe d’Afrique des nations en 1965 à Tunis. Pourquoi la Tunisie a-t-elle perdu la finale face au Ghana ?

A la mi-temps, dans les vestiaires, j’ai entendu Attouga et Chaibi se quereller, je ne sais pas pourquoi. Cela n’a sans doute pas arrangé les choses.

Pourquoi le CAB n’a pas eu un grand palmarès de votre temps ?

Nous étions confrontés aux retombées de la Bataille de l’Evacuation, puis du complot ourdi contre le président Bourguiba… De plus, les autres clubs disposaient déjà de moyens supérieurs. Pourtant, nous avons disputé deux demi-finales de la coupe de Tunisie perdues face au CA (2-0 a.p., buts de Jedidi et Gattous) et devant le SRS des Chakroun, Madhi et Romdhane (3-0).

Une fois les crampons rangés, vous êtes resté dans les milieux footballistiques en devenant entraîneur…

En réalité, durant trois saisons, j’étais en même temps joueur au CAB et entraîneur de Stir Zarzouna. Après avoir fait le tour des petits clubs de la région, j’ai été chargé de former les cadets et juniors du CAB. Les Salah Chellouf, Hosni Zouaoui, Mansour Shaiek, Briouza, Sahli, Jebali et consorts… furent formés par mes soins. Je suis titulaire du 2e degré. J’ai mené une bonne petite carrière d’entraîneur dont je dois me sentir fier. Tout comme lorsque j’étais joueur, j’ai tout donné, je crois.

Quelle comparaison feriez-vous entre le foot d’hier et d’aujourd’hui ?

On ne joue plus pour le maillot, comme on dit. En sélection, lorsque la fanfare jouait les airs de l’hymne national, nous en avions les larmes aux yeux. Et puis, l’amitié était souveraine.

On effectuait les stages à Bir El Bey, on profitait du temps libre qu’on nous accordait pour aller à Hammam-Lif boire un café. Abdelmajid Chetali nous payait ce café. Mais les temps ont changé. L’égoïsme l’emporte à présent.

Quels sont vos hobbies ?

J’ai arrêté de travailler depuis 2009. J’ai intégré la Stir en 1965. A la télévision, je regarde tous les sports. Les programmes diffusés par les chaînes tunisiennes ne m’intéressent pas. On n’y voit que d’interminables et ennuyeux rounds de pugilat verbal sur des plateaux qui ronronnent à n’en plus finir. Le matin, je rencontre les amis au café. Autrement, c’est la prière et El Omra que j’ai effectuée plusieurs fois.

Enfin, si vous n’étiez pas dans le foot, quel autre domaine auriez-vous suivi ?

J’aurais tout simplement opté pour le domaine sportif. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été séduit par cet univers magique. Non, franchement, je ne me vois pas ailleurs…

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