Fethi Hajri, ancien basketteur de l’EOGK et du CA: «La discipline avant tout»

Pivot à l’efficacité étonnante au sein de l’EOGK puis du CA, Fethi Hajri raconte comment les entraîneurs étaient, à son époque, de véritables éducateurs qui apprennent aux jeunes sportifs la discipline et le sérieux. Des leçons pour la vie, tout court. «Notre entraîneur Ahmed Charfeddine me dit que 14h00, c’est 14h00, et que le respect des rendez-vous est un gage de réussite dans la vie. Je lui dois tout, Ridha Laâbidi et lui. Ils ont été de véritables éducateurs pour moi».


Fethi Hajri, pour commencer, à qui devez-vous une carrière sportive aussi intense et pleine ?

A deux entraîneurs: Ahmed Charfeddine et Ridha Laâbidi. Ce dernier me prenait avant l’Aïd à Tunis pour m’acheter de sa bourse d’étudiant des habits neufs. J’étais alors très jeune, et j’étais issue d’une famille pauvre. Ces deux messieurs m’ont beaucoup marqué. Ils furent de véritables éducateurs pour moi.

Quel est le joueur le plus proche de vous ?

Nejib Beskri qui reste un frère pour moi. On était tout le temps ensemble. Les célèbres photographes, les frères Hmima, nous appelaient Hassen et Houcine tellement nous étions inséparables. 

Qu’est-ce qui a changé entre le basket d’hier et celui d’aujourd’hui ?

Dans le passé, on pratiquait le sport pour le sport. Regardez le budget dédié ces dernières années à l’équipe de basket de l’Etoile Sportive Radésienne. Mon fils Mohamed, qui y a joué, me parle souvent des salaires servis aux joueurs qui sont disponibles tout le temps. En plus de l’argent, la violence a fait irruption, touchant désormais la balle orange. Les jeunes qui étaient brimés découvrent soudain la liberté. Les parents n’assument plus convenablement leur rôle. Tout comme les dirigeants  qui ne jouent plus  leur fonction d’éducateurs. Lorsque j’étais junior, je ne pouvais pas aller passer du temps à la Maison des jeunes ni y jouer du ping-pong ou des échecs sans passer avertir ma mère Beya, décédée en 1995. Elle a tenu un rôle très important dans mon éducation. Quant à mon père Mohamed, il est décédé alors que je n’avais pas dix ans. Ma mère s’est énormément sacrifiée car nous étions pauvres. Elle m’a encouragé à percer dans le basket. Une fois, l’EOGK effectuait le déplacement à Sousse, et je m’étais présenté au départ de l’équipe pour la perle du Sahel avec un petit retard. Le bus ne m’a pas attendu . Tout de suite, je suis rentré chez moi, les larmes aux yeux. Ma mère m’a demandé ce que je faisais là alors que je devais me trouver avec l’équipe sur le chemin de Sousse. Je lui ai raconté ce qui s’était passé. Elle m’a demandé d’aller voir Am Hedi, un ami de la famille, marchand de poissons afin qu’il me prête dix dinars, ce qui fut fait. Je me suis de suite précipité vers «Garage Ellouh» où j’ai pris une voiture de louage en direction de Sousse. J’y suis arrivé bien avant notre bus, près de la Corniche de Boujaâfar. Pour sauver notre place en division nationale, nous devions ce jour-là l’emporter par au moins 16 points d’écart. Eh bien, nous avons fait mieux en gagnant par 28 points d’écart. J’ai inscrit la moitié des points de mon équipe. Notre entraîneur, Ahmed Charfeddine, m’avait dit que 14H, c’est 14h, et que le respect des rendez-vous est un gage de réussite dans la vie. Je lui dois tout,  Ridha Laâbidi et lui. Ils ont été de véritables éducateurs pour moi. La discipline avant tout !

Comment êtes-vous venu

au basket ?

Au départ, j’étais footballeur dans la catégorie écoles de l’Etoile Olympique de Goulette-Kram. Amor Jebali et Abdelbaki Sboui étaient avec moi dans cette équipe. Abderrahmane Ben Ezeddine et son adjoint Béji Bouachir nous ont entraînés en sélection nationale Ecoles. On m’a surnommé Habacha, du nom de l’athlétique défenseur central de l’Etoile Sportive du Sahel. Un jour, en sortant du marché du Kram, Ridha Laâbidi m’a demandé ce que je devenais. Je lui ai répondu que je jouais avec les Ecoles de football de l’EOGK. Il m’a demandé gentiment: «Venez avec moi au basket, vous pourriez ainsi voyager au Maroc, en France… Non, si vous y réfléchissez bien, vous n’avez pas d’avenir dans une équipe de football». L’après-midi même, je jouais avec l’équipe de basket contre l’Avenir de la Marsa.

Comment s’est effectué votre transfert de l’EOGK

au CA ?

En accord avec Raouf Manjour, président de l’Etoile Sportive Radésienne, j’allais au départ quitter l’EOGK pour Radès après un an que je devais passer à la Cimenterie de Bizerte, mais j’ai dû abandonner cette idée. Mon club m’a engagé comme transitaire, Am Mustapha m’a dit que mon avenir se situe au CA. En signant, le club de Bab Jedid m’a embauché au Magasin général et à la société Stil, assurant de la sorte mon avenir.

Quels furent

vos entraîneurs ?

A l’EOGK, Ridha Laâbidi et Ahmed Charfeddine. Puis, au CA, Laâbidi de nouveau, Faouzi Madhi, Mohamed Toumi, Mehrez Gomri, Aziz Ketatni, Vislav et Ali Karabi. Le Russe Veligoura, Mohamed et Khaled Senoussi en équipe nationale où je n’ai raté qu’une seule saison, en 1981-82 quand j’ai été opéré du pied, sans oublier Taoufik Badda en sélection cadets.

Au CA, vous avez réussi l’accession en D1. De qui se composait cette équipe-là ?

Néjib Beskri, Arbi Jammali, Ferid El Kateb, Béchir Ghenia, Anouar et Hamouda Jartouh, Hachemi Ayari, Ali Frej, Hassen Toumi et moi-même.

Quel est votre meilleur

souvenir ?

La coupe de Tunisie 1982, le premier titre de l’histoire du Club Africain. Cela a du reste donné l’appétit à mon club. Sous la conduite de notre coach Ridha Laâbidi, nous avons travaillé comme des forcénés pour y parvenir.

Et le plus mauvais ?

Avec le CA. Après un match gagné à Nabeul en 1979-80, il y eut des violences qui ont nécessité que nous soyons retenus au poste de police de Nabeul de 20H jusqu’à 4H du matin. Nejib Beskri avait les yeux tuméfiés. Le Stade Nabeulien comptait alors de très grands joueurs: Mounir Garali, Lotfi El Banna, Rachid Belhassen… qui ne pensaient pas au fond que nous puissions les battre. Notre entraîneur était Mehrez Gomri qui allait être remplacé par Abdelaziz Ketatni. Depuis, nous avons réussi à aligner une série de onze victoires qui nous ont permis de passer de la 11e à la 3e place. Ce jour-là, donc, il aura fallu l’intervention de notre président, Ferid Mokhtar, auprès du gouverneur de Nabeul pour nous permettre de rentrer le lendemain à l’aube à Tunis.

Quel est le meilleur match de votre carrière ?

Contre l’Espérance Sportive de Tunis, au Palais des Sports. A l’aller, le CA a perdu par plus de 40 points d’écart. Notre président de section, Chedly Younsi, voulait une revanche. On l’a emporté par 25 points d’écart. J’ai inscrit ce jour-là 45 points. Avec l’EOGK, j’ai réussi 52 points face à l’EST qui l’a toutefois emporté d’un petit point. J’avais alors tout juste 17 ans. 

Avez-vous été toujours pivot ?

La plupart du temps, notamment en équipe nationale. Il y avait une entente parfaite avec mon ami Nejib Beskri. Quand je marque 50 points, soyez certains qu’au moins 30 points ont été donnés par Beskri, un joueur très intelligent. Avec le temps, j’ai fini par être polyvalent.

Quelles sont les qualités d’un bon pivot ?

La technique individuelle sous le panier, l’agressivité, la puissance et bien évidemment la taille. Je mesure 1,90m, ce qui était énorme à l’époque.

Que vous a donné

le basket-ball ?

Tout, à commencer par une solide culture sociale. Dans mon club, j’ai aussi appris les choses les plus élémentaires: par exemple, à table, comment tenir une fourchette et un couteau, comment me comporter dans la société … Mes dirigeants suivaient également ma scolarité. Si j’ai réussi dans la vie, c’est grâce au sport qui m’a donné l’amour des gens et m’a apporté plein de relations enrichissantes. Pourtant, que de sacrifices ! Je n’oublierai jamais la saison passée en tant qu’entraîneur à la Jeunesse Sportive Kairouanaise. Je n’avais pas encore de bagnole. Je partais de mon foyer à 15H pour Kairouan pour ne rentrer que vers 3H du matin, parfois en faisant du stop. Je terminais la séance d’entraînement vers 22H. Après avoir dîné, je devais chercher un moyen de transport pour revenir à Tunis. Malgré tout, je n’ai raté aucune séance, je n’ai accusé aucun retard. Cette saison-là, mon club a accédé en division nationale.

Etes-vous satisfait de votre carrière d’entraîneur ?

Pas vraiment. Je suis titulaire d’un 2e degré décroché en 1989.  Tout en jouant pour le CA, j’entraînais la ZS et l’ASF. Mon caractère réservé m’a sans doute pénalisé. Je ne sais pas frapper aux portes comme le font couramment la plupart des entraîneurs. 

A votre avis, quel est le meilleur basketteur tunisien de tous les temps ?

Le Radésien Taoufik Bouhima. J’ai rejoint l’équipe nationale juste après les Jeux africains de Lagos. J’étais encore cadet. Rached Zahi avait fait cette remarque: «Bientôt, l’équipe nationale ressemblera avec Mohamed Senoussi à un jardin d’enfants!». J’ai eu la chance d’y côtoyer les monstres sacrés du basket: les Bouhima, Zahi, Bouchnak, Kais Mrad, Habib et Rachid Belhassen, Ben Ali, Bessaâd…

 

Parlez-nous de votre famille

J’ai épousé Rakia Zemni en 1979. J’ai deux enfants: Mohamed, 40 ans, un ex-basketteur qui a évolué à l’ESR, au CA et au SN, et Souha, 34 ans, détentrice d’une maîtrise mais qui préfère se consacrer à ses enfants au foyer. 

Vos hobbies ?

En bon Goulettois, les sorties en mer à bord d’une barque avec mon fils, Mohamed. Le foot international à la télé, notamment les matches du Real, mon club préféré, la musique de Beethoven et Oum Kalthoum, la poésie de Chebbi et Abou Nawas, et la marche.

Enfin, à votre avis, peut-on concilier sport et études ?

Cela devient de plus en plus difficile, surtout pour des jeunes dont le foyer se trouve au pire des cas à 800 mètres du stade. Ceux-là ne peuvent pas échapper à l’attrait magique du sport. Dans mon cas personnel, pour aller au lycée de Carthage, il me fallait faire des kilomètres à pied. Cela n’a sans doute pas aidé à concilier les deux.

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