Crédits en temps de crise | Une opération à haut risque

La pandémie de Covid-19 place de nombreux emprunteurs dans une situation difficile. Qu’ils soient salariés en chômage temporaire ou indépendants (artisans, commerçants ou professions libérales), le confinement et l’arrêt forcé de nombreuses activités ont eu des conséquences économiques directes sur leurs ressources. Ils seront donc nombreux à ne pas pouvoir faire face, au moins temporairement, à leurs échéances de crédit, qu’il s’agisse de crédits immobiliers personnels comme professionnels ou à la consommation. De l’autre côté, les établissements d’emprunt, en l’occurrence les banques, pourraient, eux aussi, subir les conséquences de l’arrêt de l’activité économique de certains de leurs clients déjà fragilisés auparavant. En cette période, le crédit bancaire est une opération à risques multiples aussi bien pour les clients que pour les banques.

En décembre dernier, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a annoncé que l’encours des crédits non professionnels octroyés par les banques aux particuliers a augmenté de 3,7%, soit 24,943 milliards de dinars durant la période allant du 1er janvier au 30 septembre 2020. Cette hausse intervient suite à l’application de la décision de rééchelonnement de trois à six mois du remboursement des prêts bancaires, visant à atténuer les répercussions de la pandémie sur les ménages. Par comparaison avec la même période de 2019, l’encours des crédits non professionnels est resté quasiment stable, selon des données de la BCT. Toujours entre janvier et septembre, les crédits de consommation ont augmenté de 7%, soit 9,643 milliards de dinars, alors que les crédits logement ont affiché une légère hausse de 1,6%, soit 11,463 milliards de dinars au cours de la même période. Les prêts souscrits pour financer des travaux de réhabilitation du logement ont, de leur côté, bondi de 4,8%. Les prêts automobiles ont, pour leur part, progressé de 11%, soit 334 MD durant les 9 premiers mois de l’année passée. Enfin, les prêts étudiants ont connu un repli de 5 MD pour s’établir à 2,3 MD.

Un manque à gagner

La BCT note toutefois que la croissance des prêts non professionnels octroyés aux particuliers a faibli au cours des trois dernières années. En 2017, ces prêts étaient à +10,6%, ils se sont ralentis pour s’établir à +0,3% en 2019. Une tendance qui s’explique par les multiples augmentations du taux directeur, intervenues en 2018 et 2019. D’autant plus qu’étant déjà endettée au-delà du seuil autorisé par les banques, une grande proportion de la population se trouve dans l’incapacité de contracter un emprunt.

Dans une note de réflexion sur le secteur bancaire intitulé «un mini-crash déjà attendu et qui risque de se prolonger», publié par l’intermédiaire en Bourse, MACsa, en décembre dernier, 850 MD d’intérêts non perçus sur les crédits aux particuliers ayant fait l’objet de report, dont le sort n’est pas encore clair. Cela impactera profondément le PNB des 9 premiers mois de l’exercice 2020 (de -2,4% à -19,4%). Selon l’intermédiaire, pour atténuer les retombées économiques et sociales de la propagation de la pandémie du Covid-19, la Banque centrale de Tunisie a adopté certaines mesures stratégiques, dont la baisse du taux directeur à deux reprises (qui influe positivement sur la demande globale et la capacité des ménages à assurer le remboursement de leurs dettes), une meilleure flexibilité dans le calcul du ratio des liquidité des banques (crédits/dépôts), la mise en place de programmes de refinancement auprès de la BCT…

MACsa estime qu’il existe une forte probabilité d’augmentation des prêts non productifs. D’après une étude de «S&P», «l’exposition des banques tunisiennes au segment des particuliers, le tourisme, l’immobilier et certaines industries exportatrices augmentera légèrement le coût du risque en 2020 et, de manière plus significative, en 2021-2022, pesant à terme sur la rentabilité des banques et sur leurs niveaux de capitalisation, déjà faibles».

Dans une étude de juin 2020, Arab Financial Consultants estime, pour sa part, que le report par les banques tunisiennes des échéances de crédits aux particuliers sur une période de trois mois (d’avril à juin 2020) entraînera une perte d’intérêt pour l’ensemble du secteur bancaire tunisien de l’ordre de 595,3 millions de dinars, soit 211 millions de dollars. Ce manque à gagner a été calculé sur la base d’une estimation des crédits accordés par les banques aux particuliers en 2019, (crédit à l’habitat, crédit aménagement, crédit véhicule, crédit à la consommation hors découverts, crédits aux particuliers hors découverts, découverts). En collectant les données sur l’encours des crédits 2019 des banques tunisiennes cotées en Bourse, Arab Financial Consultants donne des indications sur les établissements bancaires qui seront les plus affectés. Ainsi, la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat), dont les encours de crédits aux particuliers ont atteint 10,3 milliards de dinars en 2019, représentant 28% du total de ses engagements, pourrait subir un manque à gagner de 75 millions de dinars sur son produit net bancaire. La Banque nationale agricole (BNA), dont les encours de crédits aux particuliers en 2019 étaient de l’ordre de 10,4 milliards de dinars, avec une proportion de crédits aux particuliers représentant 20% du total de ses engagements, subira, quant à elle, un manque à gagner sur son produit net bancaire d’environ 55 millions de dinars tunisiens. Certaines banques, dont les crédits aux particuliers ont été moins importants durant l’année 2019, pourraient être moins affectées par cette situation.

Face à cette situation, le secrétaire général de l’Observatoire tunisien des services financiers, Tarek Ben Jazia, a appelé, en décembre 2020, à accélérer l’examen de la loi relative au surendettement des personnes, soumis actuellement à l’ARP, tout en introduisant les amendements nécessaires.

Pour rappel, le projet de loi relatif au traitement des situations d’endettement excessif des personnes physiques vise à fixer les mécanismes de traitement de cet endettement et les conditions à remplir pour bénéficier de ces mécanismes.

Loi relative au surendettement des personnes

Selon ce projet de loi élaboré par le gouvernement de gestion des affaires courantes, et lors du conseil des ministres tenu le 6 août 2020, la situation d’endettement excessif désigne la non-capacité du débiteur à payer les dettes non professionnelles échues et non échues. Le projet de loi vise à aider les personnes physiques qui sont endettées vis-à-vis des banques et qui se trouvent dans l’incapacité de régler leurs dettes, à condition que ces crédits ne soient pas à caractère professionnel. Ces personnes sont en outre appelées à prouver leur incapacité à honorer leurs engagements financiers. Il s’agit de mettre en place des mécanismes, dont ceux relatifs au règlement à l’amiable, au traitement judiciaire et à la liquidation. Le projet de loi propose également la mise en place de certains principes relatifs à la possibilité de demander le traitement et la régularisation de la situation de surendettement pour les différentes catégories sociales, à condition de vérifier la situation de bonne foi et de limiter la régularisation aux dettes non professionnelles, et de favoriser la régularisation à l’amiable. Des commissions, dans chaque gouvernorat du pays, seront chargées de l’examen des situations de surendettement. Le règlement à l’amiable passera par la conclusion d’un accord entre le débiteur et le créancier, et prévoit le rééchelonnement des dettes, quelle que soit leur nature, le report de remboursement de la totalité ou d’une partie de ces dettes ( principal et intérêt) pour une période qui ne dépasse pas 6 mois, avec la suspension des intérêts de retard et l’annulation des intérêts contractuels de la marge bénéficiaire et des intérêts de retard déjà rééchelonnés. S’agissant du règlement judiciaire, le tribunal fixe un programme d’exécution, détermine sa période et désigne un contrôleur pour son exécution.

Le 4e chapitre du projet de loi, qui comporte 46 articles, porte sur les procédures de liquidation et permet au tribunal, en cas d’incapacité du débiteur à rembourser ses dettes, de liquider ses biens et de nommer un liquidateur judiciaire conformément à la législation en vigueur.

Faciliter les retraits sur le compte

L’Observatoire tunisien des services financiers avait aussi recommandé, en décembre dernier, de veiller à l’application de la mesure de rééchelonnement du remboursement des crédits mise en place, durant le mois de mars, étant donné qu’un certain nombre de banques a refusé de l’appliquer. Selon M.Ben Jazia : «Il est primordial de présenter des facilités à certaines personnes, en leur accordant des crédits à la consommation à court terme, avec une période de grâce, et de faciliter les retraits sur le compte pour aider certains clients en difficulté économique». Tarek Ben Jazia a appelé l’Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers à geler le coût des commissions sur les services bancaires, pendant une certaine période, rappelant que ces coûts ont augmenté de 87%, par rapport à l’année de base 2010.

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