Justice transitionnelle: La société civile lance un plaidoyer pour réparer et réhabiliter les victimes

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Même si l’ex-bâtonnier Abderrazak Kilani a été nommé président du Comité de gestion du Fonds de la dignité et de réhabilitation des victimes de la tyrannie, la structure peine à démarrer ses travaux. Lors d’une rencontre sur le thème « Les défis du Fonds de la dignité », les participants ont constaté que la crise sanitaire et le conflit persistant entre les deux têtes de l’exécutif font partie des blocages qui se répercutent également sur la dynamique du Fonds.

L’ancien bâtonnier Abderrazak Kilani préside depuis le mois d’octobre l’Instance générale des résistants, des martyrs et des blessés de la révolution et des victimes des opérations terroristes et depuis le mois de décembre le Comité pour la gestion du Fonds de la dignité et de réhabilitation des victimes de la tyrannie. Abderrazak Kilani avait annoncé le 24 décembre qu’un compte de dépôt  dans la trésorerie générale de la Tunisie a été ouvert afin d’y verser les ressources prévues par le décret  gouvernemental tunisien n° 211 de 2018 au profit du Fonds. La crise entre les deux têtes de l’exécutif et les blocages qu’elle entraîne au sein des structures de l’Etat ainsi que l’urgence sanitaire actuelle se répercutent négativement sur les victimes dont « la réparation du préjudice subi est un droit garanti par la loi et l’Etat a la responsabilité de procurer les formes de dédommagement suffisantes, efficaces et adéquates en fonction de la gravité des violations et de la situation de chaque victime. Toutefois sont prises en considération les moyens dont dispose l’Etat lors de la mise en application», stipule l’article 11 de la loi sur la justice transitionnelle de décembre 2013. Pour tenter de trouver des alternatives possibles aux défis liés au financement du Fonds, un atelier a été organisé lundi sur ce thème par l’Alliance tunisienne pour la dignité et la réhabilitation en partenariat avec la Coalition civile pour la défense de la justice transitionnelle. Y ont pris part plusieurs associations de victimes, une ancienne commissaire de l’Instance vérité et dignité (IVD) et un représentant du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.

Réparations contre réconciliation : une transaction dangereuse

«Nous avons organisé une première réunion pour définir nos objectifs concernant la gestion du Fonds. Il nous faut trouver un lieu pour travailler, d’autant plus que le siège de l’Instance générale des résistants, des martyrs et des blessés de la révolution et des victimes des opérations terroristes est occupé depuis plusieurs semaines par les blessés de la révolution », a déclaré Abderrazak Kilani à l’ouverture de la rencontre.

Il a ajouté : «Les campagnes actuelles de dénigrement de l’IVD compliquent notre mission ainsi que le problème du remaniement ministériel non encore résolu. Nous voulons  construire sur les résultats et les recommandations de l’IVD, bien que nous nous interrogions sur l’idée de l’insertion et la réinsertion professionnelles dont parle la loi cadre relative à la réparation et à la réhabilitation incluse dans le rapport de d’Instance vérité et espérons que la non-publication de cette loi sur le Jort ne sera pas pour nous une source de complications».

Intervenant également à la séance d’ouverture, Khayem Chamli, coordinateur de la coalition civile pour la défense de la justice transitionnelle, a alerté sur les menaces qui planent sur le processus. Des menaces liées à la montée dans les sondages d’un courant politique, qui cherche à faire table rase de la JT, mais également en rapport avec les critiques acerbes  visant l’IVD dont l’objectif est d’effacer tout ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire quant à cette justice des temps de transition.

«J’appelle les victimes à n’accepter aucune des transactions, qui se concoctent actuellement, des transactions de type réparations contre réconciliation. L’Etat tunisien ne peut pas se départir des accords internationaux qu’il a signés pour finaliser le processus de la JT. Fermer les chambres spécialisées équivaut à un déni de la justice », affime Khayam Chamli.

Commencer par définir une stratégie claire pour la justice transitionnelle

29.950 victimes disposent de décisions de réparations, dont 18.000 sont concernées par des indemnisations financières et 15.000 par une réhabilitation morale. D’autre part, 220 régions ont présenté leurs dossiers en tant que régions ou zones victimes. Selon le décret  gouvernemental n° 211 de 2018, l’État  alloue 10 millions de dinars au Fonds pour la dignité. Le reste des ressources va provenir, comme le préconise le décret, des revenus de l’arbitrage de la commission arbitrage et conciliation de l’IVD et enfin des dons, donations et legs inconditionnels qu’ils soient nationaux ou étrangers. Dans une des annexes de son rapport final, l’IVD avait proposé de renflouer cette caisse par des réparations que la Tunisie demanderait à plusieurs parties, dont la France, un pays impliqué dans la mort de milliers de Tunisiens, ceux en particulier tombés lors de la guerre de Bizerte en 1961,mais également la Banque mondiale et le FMI, responsables des répercussions de plusieurs conflits sociaux parmi lesquels les émeutes du pain de 1983-1984. L’annulation de la dette bilatérale de la Tunisie, «étant donné qu’il s’agit d’une dette illégitime», a affirmé l’IVD, est une autre proposition de l’Instance citée dans un mémorandum dédié aux réparations provenant de l’étranger.

Pour Ahmed Aloui, représentant du Haut-commissariat aux droits de l’homme des NU, les compensations financières ont représenté dans les quarante expériences de justice transitionnelle dans le monde une grande problématique. Rares ont été les expériences comparées où ce pilier de la JT n’a pas entraîné des promesses non tenues et des frustrations chez les victimes.

« Il n’y a pas que l’argent. La réhabilitation morale des victimes, leur réintégration dans la vie sociale et économique, le dévoilement de la vérité, les excuses officielles du chef de l’Etat, la réforme des institutions et la préservation des mémoires représentent une autre manière de réparer les victimes et de garantir le non-retour aux anciennes pratiques», explique Ahmed Aloui.

L’expert du haut-commissariat fait remarquer que la société internationale pourrait adhérer à un plaidoyer lancé par la société civile tunisienne pour financer le Fonds de la dignité à une condition, celle de constater chez le pays demandeur une stratégie claire et une volonté politique visible en matière de justice transitionnelle.

«La Tunisie préside cette année le Conseil de sécurité des NU. C’est là une opportunité pour le Président de la République d’engager une initiative internationale au profit du Fonds», suggère Aloui.

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