Les entreprises publiques face au spectre de la faillite : Qui arrêtera l’hémorragie ?

Le lourd fardeau financier que traîne l’Etat depuis plusieurs années risque d’exploser à tout moment. Les entreprises publiques ne connaissent pas leur âge d’or, elles sont toutes, ou presque, à la merci des interventions et des aides de l’Etat, autrement elles mettraient la clé sous la porte. A quand la fin de cette situation ? Que faut-il faire pour sauver ces entreprises budgétivores et surtout pour les restructurer ?

Le dossier de Tunisair ne serait que l’arbre qui cache la forêt. Cette entreprise publique qui, jadis, faisait les beaux jours de l’économie tunisienne s’enfonce dans une crise financière sans précédent mettant en péril même son activité et sa viabilité. Sur une flotte de 27 avions, moins de cinq appareils sont opérationnels alors que la saison estivale et celle du retour des Tunisiens résidant à l’étranger est à nos portes. En effet, le transporteur national est actuellement au cœur de la tourmente. La polémique autour du limogeage de sa PDG Olfa Hamdi a détourné le débat public qui devait porter plutôt sur les moyens de sauver la compagnie d’une faillite qui commence à se profiler à l’horizon.

Dettes inestimables, difficultés à payer les salaires et les fournisseurs, saisie de comptes bancaires annulée suite à une intervention de l’Etat, absence de leadership et de visibilité, Tunisair semble être livrée à elle-même dans cette phase critique, alors qu’un plan de sauvetage puis de restructuration tarde à se mettre en place.

A en croire les différents responsables syndicaux du transporteur national, Tunisair serait incapable de payer les salaires de plus de 8.000 employés, une véritable bombe sociale à retardement. A chaque fois, ce sont les interventions et les aides étatiques occasionnelles qui sauvent la situation, mais jusqu’à quand ?

Encore faut-il rappeler qu’à l’instar de toutes les compagnies aériennes mondiales, Tunisair est en proie à une crise de l’aviation mondiale et à une baisse vertigineuse du trafic aérien. Mais pour la compagnie tunisienne qui connaît déjà des difficultés financières et de gestion, les conséquences sont désastreuses avec une chute de 97% du nombre de passagers transportés durant le deuxième trimestre 2020 par rapport à la même période de 2019, à cause de la crise sanitaire. Ces indicateurs affichent aussi une baisse des revenus du transport de 95%. Durant le deuxième trimestre de 2020, Tunisair a transporté environ 23 mille passagers, contre 864 mille passagers durant la même période de 2019.

Les caisses sociales ou le flou total !

Tunisair n’est qu’un exemple très médiatisé de la détérioration de la situation des entreprises publiques. Au fait, tout le danger réside dans les caisses sociales, compte tenu de leur effet d’entraînement. Largement impliquées dans le système sanitaire et notamment dans les régimes des retraites et de la couverture sociale, ces caisses sont au cœur d’une crise sans précédent. Un cumul de plusieurs années de mauvaise gestion et d’absence de plans de modernisation et de restructuration a fait qu’elles se transforment en un fardeau financier pour l’Etat.

Selon le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, les dettes des caisses sociales pour les secteurs public et privé seulement auprès de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) ont atteint cinq milliards de dinars. Les arriérés de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (Cnrps) sont estimés à deux milliards de dinars alors que ceux de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) sont évalués à trois milliards de dinars auprès de la Cnam. Cumul de dettes insoutenables, fragilité financière et manque de visibilité, les caisses sociales peinent, en effet, depuis plusieurs années, à sortir d’une situation de crise financière qui met en péril leur viabilité. Alors qu’une éventuelle faillite de l’une de ces caisses entraînera un effet dévastateur sur tout le système de protection sociale en Tunisie, un plan de restructuration s’impose aujourd’hui plus que tout pour éviter un tel scénario.

La CPG livrée au blocage

La Compagnie des phosphates de Gafsa ne fait pas mieux. Il y a quelques années, elle contribuait en masse à l’économie nationale et aux apports en devises au profit de la trésorerie publique; aujourd’hui, elle est lourdement endettée, elle peine même à payer ses salaires. Au bord de la faillite, la CPG est à l’arrêt depuis six mois et sa situation financière ne cesse de se détériorer. Aujourd’hui, elle est, en effet, dans l’incapacité de payer les salaires de ses agents. D’ailleurs, ces derniers ont organisé récemment un rassemblement de protestation devant le siège de l’entreprise pour protester contre cette situation de blocage et contre la mauvaise gestion des affaires de la compagnie.

En tout cas, pour résumer la situation de la compagnie, il faut rappeler que l’Algérie est devenue, il y a quelques semaines, le fournisseur de la Tunisie de phosphate, une première historique qui marque la descente aux enfers du secteur de production de cette matière, connu pourtant comme principal pilier de l’économie nationale. Les différents experts et même observateurs s’accordent sur ce fait : la séquence de mauvaise gestion de la Compagnie à défaut de volonté politique de redresser ce secteur hautement porteur en matière de devises explique parfaitement cette dégringolade dont les répercussions financières et économiques commencent à se faire sentir aussi rapidement que prévu.

Réorganisation au niveau des ressources humaines

A Kasserine, la Société nationale de cellulose et de papier Alfa (Sncpa) inquiète aussi les autorités. La Sncpa fait face à une situation financière difficile. Et ce à cause de l’accumulation des dettes, de la vétusté des équipements de production et de l’arrêt des opérations d’investissement nécessaires. D’ailleurs, un Conseil ministériel étudiera prochainement le dossier de restructuration de cette société qui a toujours eu un rôle fondamental à Kasserine et dans les régions avoisinantes, notamment en ce qui concerne l’employabilité et l’absorption du chômage.

En résumé, la plupart des entreprises publiques, à des exceptions près, affichent des pertes qui s’accumulent et grèvent dangereusement les équilibres financiers de l’Etat. Ces pertes sont dues en grande partie à la mauvaise gestion et ne sauraient être arrêtées sans une série de réformes rapides, propose, à cet effet, Amine Ben Gamra, expert-comptable et commissaire aux comptes.

Pour lui, la stratégie gouvernementale de réforme des entreprises publiques doit s’articuler autour de la réorganisation au niveau des ressources humaines et l’optimisation des processus de ces entreprises, mais aussi autour d’un plan de mise à niveau afin d’améliorer leur rendement et de limiter leurs risques financiers.

En tout cas, tous les observateurs s’accordent sur le fait que l’économie nationale est lourdement impactée par la situation des entreprises publiques. Car les fonds qui sont destinés à promouvoir l’investissement sont en grande partie absorbés par ces budgétivores. 

L’économie nationale est d’ailleurs doublement sanctionnée par la situation des entreprises, mais aussi par les conflits et crises sociaux interminables. Alors qu’on pensait que la crise d’El-Kamour est résolue, la tension reprend à Tataouine. La coordination El Kamour a décidé de décréter une grève de trois jours à partir d’aujourd’hui mercredi dans toutes les délégations de Tataouine pour dénoncer le non-respect des termes de l’accord signé au mois de novembre 2020. Cette coordination accuse le gouvernement de revirement de positions quant aux accords signés. La grève annoncée vient à la suite d’une réunion qui s’est tenue en présence d’une délégation gouvernementale pour discuter de la situation dans la région.

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