Maladies rares en Tunisie: Mais qu’est-ce qui a réellement changé depuis ?

En Tunisie, elles représentent un enjeu majeur de santé publique, car les 400 maladies rares identifiées à ce jour — dont la grande majorité (environ 80%) sont d’origine génétique, entraînant souvent un risque de handicap ou de décès — touchent plus de 600.000 personnes.


A l’occasion de la Journée internationale des maladies rares, qui coïncide avec le dernier jour du mois de février de chaque année, Sanofi Tunisie et l’Association tunisienne des maladies lysosomales (Atml) ont organisé, vendredi, une conférence de presse en ligne, sur le thème : “Prise en charge des maladies rares en Tunisie : état des lieux” afin de sensibiliser la communauté scientifique, le grand public et les autorités concernées au sujet des maladies rares et de leurs particularités en Tunisie.

Une marginalisation qui dure

La maladie rare se définit comme une affection qui touche moins d’une personne sur 2.000, soit 0,2% de la population. Pour mériter cette appellation, elle doit être évolutive et chronique, engendrant des handicaps lourds, une exclusion sociale et des décès. La plupart de ces affections sont qualifiées de “maladies orphelines”, car il n’existe pas de thérapie dédiée et elles sont souvent délaissées par la recherche médicale. En Tunisie, des milliers de personnes sont touchées et celles qui en sont atteintes, ainsi que leurs parents ont peu d’espoir de traitements.

Oussama, papa de Zeinab (10 ans) et Essia (5 ans), toutes les deux atteintes d’Alpha mannosidose (qui est une maladie héréditaire de surcharge lysosomale, caractérisée par une immunodéficience, des anomalies faciales et squelettiques, une déficience auditive et un déficit intellectuel et qui touche généralement les enfants), dit avoir perdu l’espoir de voir les autorités concernées prendre en charge ses deux filles et mettre fin à leur calvaire et à cette situation qui dure depuis des années.

«Il est vrai qu’à ce jour, il n’existe aucun traitement de l’Alpha mannosidose. Mais même en l’absence de traitement, une prise en charge médicale régulière et ciblée pourrait apporter à mes filles les soins, ainsi que les soutiens nécessaires et nous orienter au mieux vers les professionnels concernés pour avoir une prévention et un traitement des infections, afin de pouvoir utiliser un éventuel appareillage auditif, recevoir une aide éducative précoce…, ce qui permet de prévenir ou retarder l’aggravation de la maladie et d’améliorer l’espérance de vie de mes filles», précise-t-il.

Ce père, triste et en colère, raconte aussi comment il a passé des années dans les couloirs du ministère de la Santé et celui des Affaires sociales, sans avoir une réponse claire et précise. Il raconte, également, comment ses deux filles souffrent d’injustice au niveau de la protection sanitaire comparativement avec les autres malades et du refus de la prise en charge par la Cnam des frais de leur traitement.

«A quoi servent les responsables élus s’ils ne peuvent pas nous garantir une santé optimale sur tous les plans ! Depuis des années, c’est toujours la même chose… La Cnam n’accepte pas la prise en charge du traitement et les deux ministères font la sourde oreille face à cette situation… Au lieu de ne laisser personne de côté, malheureusement, ceux atteints des maladies rares sont complètement délaissés, puisque les médicaments spécifiques pour eux étaient et sont toujours quasi inexistants.

Aujourd’hui, et après des années de combat, je baisse les bras… Puisque le diagnostic et le traitement ne sont pas disponibles dans notre pays, j’ai essayé de contacter plusieurs organismes internationaux de santé en Europe. Actuellement, le dossier médical de mes filles est traduit en 5 langues et je n’hésiterai pas à quitter le pays et à aller vivre ailleurs si je trouve une réponse favorable au sein du gouvernement français ou autre… Je ne vois pas une autre solution pour sauver leurs vies», regrette-t-il.

L’Atml essaie, mais c’est compliqué…

Créée en 2019 par des patients et parents de patients atteints de ces maladies orphelines et rares, qui sont engagés dans un combat quotidien pour lutter contre ces maladies, l’Atml est une association qui essaie d’améliorer les conditions de vie des personnes atteintes de ces maladies, en appelant les autorités concernées, à leur tête le ministère de la Santé, à accorder plus d’importance au traitement préventif qui peut alléger les frais de traitement en prenant en charge ces malades.

«En Tunisie, le manque d’informations sur ces maladies est réel aussi bien pour les patients que pour les professionnels et décideurs de la santé. Pour ce faire, on a essayé de mener des discussions avec toutes les parties prenantes pour mettre les points sur les “i” et pouvoir expliquer à nos décideurs les dangers, ainsi que les risques de ces maladies et leur impact sur la vie des personnes concernées… Mais au fil des années, la situation est aggravée par un accès difficile aux traitements, due notamment à une absence de prise en charge et à un manque de structures adaptées… Jugés trop élevés pour les caisses de l’Etat, les autorités refusent la prise en charge médicale et l’accès au traitement pour ces malades qui ont le droit de grandir et de s’intégrer dans la société. Aujourd’hui, à cause de la réticence de la Cnam et celle de tout un Etat, ces malades ont le sentiment d’être exclus et d’être des laissés-pour-compte», explique Mouadh Saied, trésorier de l’Atml.

Il ajoute que si on continue sur cette voie, la situation ne tendra pas à s’améliorer et a tendance à s’aggraver. «D’ailleurs, en 2020, on a enregistré le décès de trois bébés à cause d’un retard d’accès aux soins et aux examens. Aujourd’hui, ce scénario pourrait se reproduire si on ne change pas de vision…Ainsi, quelle que soit la maladie, plus la prise en charge est précoce, régulière et suivie, mieux elle prévient l’aggravation de la maladie. D’où l’obligation de faciliter l’accès aux soins pour ces malades en leur garantissant un accès au diagnostic et une prise en charge», souligne-t-il.

Quel engagement ?

Pour sa part, Dr Bouchra Aneflous, directrice générale médecine de spécialité Sanofi Maroc, Tunisie & Libye, est revenue sur l’engagement de Sanofi pour l’accompagnement du patient tunisien et sur l’innovation dans le domaine des maladies rares.

«Au sein de Sanofi, nous travaillons sur l’amélioration d’accès à un diagnostic précoce et à un traitement approprié, tout en favorisant les collaborations de recherche avec d’autres laboratoires. Pour ce faire, la R&D est pleinement engagée dans un processus de transformation majeur, capable de concentrer la recherche sur les aires thérapeutiques prioritaires en médecine de spécificités et vaccins, de tirer parti des nouvelles plateformes et modalités de drug discovery, et d’accélérer le développement pour fournir aux patients des médicaments et des vaccins novateurs», souligne-t-elle.

Dr Aneflous ajoute que les maladies rares ont des caractéristiques particulières et se caractérisent par des taux de prévalence très faibles, ce qui se traduit par des taux d’investissements mondiaux en recherche et développement qui sont rares, comparativement à d’autres pathologies à prévalence plus importantes. «Les coûts de traitement disponibles et futurs sont élevés et nécessitent l’intervention des systèmes de prise en charge et de couverture médicale, ainsi que des actions de solidarité pour soulager les patients et leur familles. Pour ce faire, il est indispensable de consacrer des efforts à l’évolution des traitements, soutenir les efforts de recherche, renforcer l’information et la formation, améliorer le diagnostic à travers une formation et un soutien aux outils, améliorer la prise en charge, favoriser les rencontres et les échanges…», affirme-t-elle.

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