Hamadi Chiheb, ancien milieu de terrain de l’ASM et de Fortuna Cologne: «Il ne reste que les souvenirs…»

Pionnier parmi nos footballeurs expatriés qui se comptaient alors sur les doigts d’une seule main (et encore !), Hamadi Chiheb était parti chercher fortune dans le difficile  football allemand, à Fortuna Cologne, entre 1966 et 1970, où il a croisé le chemin de l’incomparable Wolfgang Overath dans le derby de la ville de la Rhénanie-du Nord-Westphalie. Avant d’évoluer au SC Bonn, Duisburg et Munster. 

Véritable force de la nature, l’enfant terrible de l’Avenir Sportif de la Marsa regrette qu’on en arrive aujourd’hui au règne sans partage des intrus. 

«La majorité de ceux qui gouvernent le sport-roi n’ont jamais caressé un ballon de foot», déplore-t-il.

Hamadi Chiheb, racontez-nous d’abord dans quelles conditions vous étiez parti vers l’aventure professionnelle en Allemagne. 

Le 20 mars 1966, j’ai joué avec l’équipe nationale dans un match amical contre Dynamo Moscou. J’ai marqué le premier but, puis j’ai tiré sur la barre, l’attaquant stadiste, Moncef Cherif, reprenant alors la balle pour signer le deuxième but. Nous avons gagné (2-1). Le 25 juillet de la même année, nous avons effectué un déplacement en Allemagne pour un match amical contre Cologne. La Tunisie a gagné (3-2) grâce à un doublé de Moncef Cherif et un but de Tahar Chaïbi. Après ce match, le kinésithérapeute de la sélection, Hmid Dhib, vient nous dire que l’émissaire d’un club allemand présent à ce match voulait engager les numéros 8 (Tahar Chaïbi) et 10 (moi-même). Je gagnais alors 29 dinars qui me suffisaient à peine pour les frais de l’essence de mon scooter, les casse-croûtes… Je venais de terminer un stage dans une société d’impression à Tunis. L’offre était forcément alléchante afin d’améliorer ma situation. J’ai dit oui à cet agent. Une fois dans l’ancienne République fédérale allemande, à partir du moment où j’étais qualifié pour Fortuna Cologne, un club de Bundesliga 2, je n’ai plus quitté l’équipe titulaire. J’ai énormément souffert lors des deux premiers mois en raison du rythme infernal des entraînements. Cela exige de grandes ressources physiques. Mais, par la suite, j’ai gagné le pari au point que la presse allemande a écrit que «Chiheb avait quatre poumons». Sans un physique de fer, vous ne pouvez pas réussir en Allemagne.

Avez-vous reçu d’autres offres ?

Oui. Arminia Bielefeld, le PSV Eindhoven et le Standard Liège voulaient m’engager. Toutefois, mon président au SC Fortuna Koln ne voulait pas me donner mon bon de sortie. Lors de la dernière saison de mon contrat quadriennal, le club avait accédé en Bundesliga 1, mais je n’ai pas joué car j’étais en conflit avec mon président et avec mon entraîneur Hans Loring. Le patron du club a engagé Gerd Zimmerman qui arrivait de Borussia Moenchengladbach. Les gens disaient à notre patron que le nouveau coach ne voulait pas de Chiheb. Il leur rétorquait: «L’argent est mien, j’en fais ce que je veux !». Par la suite, je suis parti au SC Bonner, on a échoué aux barrages d’accession en première division. Ensuite, deux saisons à Duisburg. Pour ma dernière saison, j’ai signé à Munster. A mon retour en Tunisie, j’aurais pu continuer durant cinq bonnes saisons, surtout que j’observais une hygiène de vie rigoureuse. Mais j’avais déjà mis sur pied un petit projet, un bain maure. 

Comme tout cela doit vous sembler très, très loin, n’est-ce pas ?

Ah oui. La vie court à perdre haleine. Il ne reste que les souvenirs. Il y a quelques années, j’ai demandé à mon fils Khaled, qui travaille neurologue en Allemagne, de me faire visiter les locaux de Fortuna Koln. 45 ans après, j’y ai retrouvé mes anciens coéquipiers Karl Lambertin et Wolfgang Fahrian, le gardien de la sélection allemande entre 1962 et 1964 qui s’est reconverti en agent de joueurs. Il a été d’ailleurs à l’origine du transfert de Nabil Maâloul à Hanovre. Grandes accolades, un grand moment d’émotion. 

Comment êtes-vous venu au football ?

J’ai vu le jour à Halfaouine. Je me suis entraîné sans licence avec l’Espérance Sportive de Tunis, avant que ma famille n’émigre à Jebel Lahmar où habitait l’entraîneur Rachid Turki. Ce dernier m’invita un jour à signer avec l’Avenir Musulman (actuel Avenir de La Marsa). D’ailleurs, je n’ai pas traîné parmi les jeunes catégories, rejoignant aussitôt l’équipe senior où il y avait Kechiche et Ferjani Derouiche comme gardiens, Ali Klibi, Mokhtar Chelbi, Hedi Douiri, Tahar Aniba, Ali Selmi, Taoufik Ben Othmane… Mon premier match, je l’ai disputé au Kram, car le terrain de La Marsa était en travaux. Contre El Makarem Mahdia, l’Avenir a mené (3-0) avant d’être battu (4-3).

Vos parents ont-ils encouragé votre choix ?

Ils ne m’en voulaient pas vraiment même si tout le monde considérait le foot une occupation malsaine. La famille de mon père, Ali, avait beaucoup de terrains à La Manouba. Mon grand-père était garde-corps du Bey. Son père dressait les chevaux du Bey. Ma mère Khedija est pure tunisoise. Je n’ai pas mené très loin mes études, arrêtant au cycle primaire. Maintenant, ma famille composée de deux enfants est également sportive. Ma fille Yosr, 47 ans, est prof de sport. Sabri, l’enfant de Khaled, le neurologue de 50 ans, installé depuis huit ans en Allemagne, est joueur cadet à Cologne.

Quels furent vos entraîneurs ?

A l’Avenir, Rachid Turki, Pazmandy et Hmid Dhib.

L’ASM pratiquait-il déjà le hors jeu qui allait devenir sa marque de fabrique ?

Oui. Sauf que, si tout le monde s’accorde à dire que Sandor Pazmandy a installé cette stratégie, je dois préciser qu’avant d’être institué par ce technicien hongrois, il y eut un arrière central, Youssef Zguenni, qui faisait adopter à notre défense le hors jeu. Il venait de l’US Maghrébine, je crois. Lors des présentations, avant chaque finale de coupe que nous avons disputée, le président Bourguiba nous lançait, un peu amusé : «Voilà donc l’équipe qui pratique le hors jeu !». Avant la finale perdue devant le Club Africain, en écoutant Bourguiba faire cette remarque, Foued Mbazaâ, clubiste notoire, en a ri à pleine gorge… Une façon comme une autre de nous mettre la pression.

Quel a été votre meilleur match ?

Contre l’EST en demi-finale de la coupe de Tunisie 1960-61. Nous avons gagné 3-0, et j’ai marqué nos trois buts. Nous étions quatre juniors dans la formation de l’Avenir Musulman : Hedi Douiri, Ammar Merrichko, Ali «Toto» Klibi et moi-même. Nous allions remporter le trophée en étrillant le ST (3-0) lors de la deuxième édition de la finale (0-0 lors de la première). Il y a également le match de coupe face à l’ESS à La Marsa. Nous étions menés (1-0) jusqu’à la dernière minute. Je prends devant nos 18 mètres le ballon de notre gardien Kechiche, j’amorce un slalom où j’élimine deux ou trois joueurs. Avant de passer le ballon à Merrichko qui sert en retrait Anniba. Et c’est l’égalisation inespérée.

A votre avis, quels sont les meilleurs footballeurs tunisiens ?

A notre époque, il y avait beaucoup de grands joueurs: Chetali, Haj Ali, Chaïbi, Delhoum, Aniba, Refai… On jouait sur terre battue. Mais cela n’empêchait pas de produire du spectacle.

Si vous n’étiez pas dans le foot, quelle carrière auriez-vous épousée ?

Celle de chanteur. Lors de nos stages, mes coéquipiers s’arrachaient Chiheb afin qu’il leur chante Oum Kalthoum, Abdelwahab, Ferid, Abdelhalim, Karem Mahmoud, Chafik Jalel, Mohamed Faouzi… Je partageais ma chambre avec Taoufik ou Derouiche. Ils en avaient plein de chant : El Hobbi Kida, El Awila fil Gharam, Habibi Yessaâd Aoukatou… que je reprenais avec amour.

Quels sont vos hobbies ?

J’aime bricoler, j’ai mon garage de réparation de voitures chez moi. J’aime aussi les vieux films égyptiens en noir et blanc. Et les randonnées à Aïn Draham ou ailleurs.

Un dirigeant qui vous a marqué ?

Incontestablement, l’ancien président du Club Africain, feu Azouz Lasram. Il a rendu service à tous les joueurs de n’importe quel club qui sollicitaient son aide ou son intervention. Il le faisait sans attendre quoi que ce soit en retour. Tous les sportifs du pays lui doivent cette générosité désintéressée. Je voudrais également saluer la mémoire de notre président d’honneur, Taieb Mhiri.

Comment jugez-vous notre football

aujourd’hui?

Il va mal, et ne décollera jamais tant que des intrus le commandent, aussi bien au niveau des clubs que de la fédération. Ils ont le beau rôle. S’ils réussissent, ils se prennent pour des génies qui ne peuvent jamais se tromper. S’ils échouent, ils jettent toute la responsabilité sur le dindon de la farce, le pauvre entraîneur. Où sont passés les anciens joueurs, ceux qui savent ce qu’est suer sur un terrain ? Pourquoi, depuis la nuit des temps, sont-ils marginalisés et écartés des postes de décision ? En 1988-89, j’ai entraîné les Espoirs de l’Avenir de La Marsa. Je n’acceptais aucune intrusion dans les vestiaires ou les joueurs que je devais aligner. Un technicien doit être seul maître à bord.

Pourquoi n’avez-vous pas continué à entraîner?

J’ai fini par comprendre que ce n’était pas un métier fait pour moi. Avec les Espoirs de l’ASM, nous avons pourtant été sacrés champions de Tunisie, avec la meilleure attaque et la meilleure défense à la clé. Il y avait les Khabir, Mourad Mejdoub, El Euchi, Anouar Ben Abdallah, Sahraoui, Fhal, Ben Zine… qu’on allait vite retrouver parmi les seniors.

Enfin, que vous inspire la situation de l’ASM aujourd’hui qu’il est en Ligue 3 ?

L’union sacrée autour du club n’est plus là. Des étrangers au foot l’ont conduit là où il est. Cela fait vraiment mal au cœur.

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