Mes odyssées en Méditerranée | Décret de 1932 et naissance des syndicats indépendants: «Revendiquons», le journal des ouvriers en lutte 

Après le décret de 1932, une quinzaine de syndicats verront le jour, surtout dans l’artisanat et dans certains métiers typiquement tunisiens. Il faut souligner que ces syndicats naissent indépendants et qu’ils ne se rattachent ni à la C.G.T., ni à la C.g.t.u.

Parmi ces syndicats créés entre 1929 et 1934, on compte celui de : «Chéchias», «Bransas», «Teinturiers», «Selliers-bourreliers», «Tailleurs», «Tisserands», «Fabricants de babouches» (Tunis, Kairouan et Sfax), «Parfumeurs», «Maçons tunisiens», «Agents et employés tunisiens de l’Office des Ports».

La création de ces mouvements syndicaux indépendants est due essentiellement à une conviction très ancrée chez les travailleurs tunisiens, celle que les mouvements ouvriers d’origine européenne ne peuvent pas résoudre les problèmes spécifiques liés essentiellement aux travailleurs tunisiens et plus particulièrement à la crise qui frappe les activités traditionnelles. On prend de plus en plus conscience que pour un syndicaliste français, il est difficile de prendre en charge les problèmes des travailleurs tunisiens, à cause des problématiques culturelles, matérielles et de langage. Les discours du secrétaire de la C.G.T. Duriel en étaient la preuve. En effet, Duriel affirmait que «l’artisanat tunisien avait si peu de chances pour être sauvé si les travailleurs refusaient en bloc l’introduction de nouvelles technologies et du progrès».

La presse nationale se pose au contraire en défenseur des organisations tunisiennes, marquant une certaine distance de la C.G.T et de la.,  et ce, à cause de la conviction que «ce syndicalisme n’a pu aujourd’hui se développer avec tant de rapidité dans ce pays qu’en perdant une partie des caractères particuliers qu’il possède en Occident, en s’adaptant aux aspirations profondes et aux besoins réels du pays, ces syndicats…ne traduisent nullement le phénomène de la lutte des classes, la volonté des prolétaires de se grouper en vue de se défendre contre la force ou la rapacité d’un patronat inexistant… le Tunisien est un homme pratique qui sait tirer parti des instruments d’émancipation qu’on met à sa disposition et les adapter aux besoins réels qui existent en lui…»

La question qui se posait était donc la suivante : «Peut-il (un mouvement tunisien) se développer indépendamment de la C.G.T. ou sous la direction d’une organisation politique ? ».

Beaucoup de questions ne trouvaient pas de réponses. La gauche tunisienne s’intéressait de près, invitant les ouvriers à s’exprimer à travers un journal syndical qui verra le jour le 25 septembre 1933. Il s’agissait d’un bimensuel tirant à 2.000 exemplaires, mais, hélas, avec une durée assez courte. Ce journal, «Revendiquons», disparaîtra le 25 février 1934.

«Revendiquons» avait tout pour réussir, son titre sonnait si bien en français comme en arabe lors des ventes à la criée et il avait comme objectif le souci de coller aux masses ouvrières, de connaître, de diffuser leurs aspirations et de combattre pour les satisfaire, il se voulait «le drapeau des ouvriers en lutte». A la masse ouvrière tunisienne, s’ajoutait aussi la classe ouvrière maltaise et sicilienne, revendiquant elle aussi ses droits et l’amélioration de ses conditions de travail. D’ailleurs, c’est dans des contextes assez particuliers comme les revendications du droit au travail, que les classes prolétaires des Tunisiens, Siciliens, Sardes, Maltais… s’unissent pour lutter tous ensemble contre les patrons. Une solidarité ouvrière, à différentes échelles, bien évidemment, entre les classes les plus démunies ayant un seul et unique objectif.

«Revendiquons » est présenté tout d’abord comme l’organe des syndicats des cheminots, de l’arsenal… et à partir du numéro 4, il deviendra le numéro de la C.G.T.U., mais aussi du Parti communiste car en Tunisie, encore plus qu’en France, les deux organisations étaient plus étroitement liées. Le P.C. fournit des fonds, des rédacteurs, dont font partie aussi certains Italiens du Parti communiste, et ses militants assurent la diffusion du journal à la gare, à Bab Saâdoun, à Bab Souika, à Bizerte et plus rarement à Sousse et à Sfax. Les syndicats unitaires de l’arsenal et du bâtiment de Ferryville, aujourd’hui Menzel Bourguiba, seront dissous le 21 février 1934 par le Tribunal et les militants cheminots seront victimes de sanctions. Ainsi s’explique la disparition précoce du journal «Revendiquons », et de l’organe de langue arabe «Al Amal At-Tûnisî», suspendu par arrêté le 5 septembre 1934. 

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