65e anniversaire de l’indépendance de la Tunisie (20 mars 1956-20 mars 2021): Soif de liberté, sang pour la dignité

Un peuple qui a élevé la liberté au rang de culte, qui est prêt à tous les sacrifices pour la préserver et qui, à la suite d’une âpre lutte pacifique puis armée, se libéra du joug de 75 longues années d’occupation française.

Ce fut un grand jour pour les 3.000 ans d’histoire de notre pays et de ses nombreux  millénaires d’apports à la  civilisation humaine. Jamais le peuple tunisien n’a été aussi heureux comme il l’a été ce jour-là. Le 20 mars 1956, il y a de cela 65 ans, la Tunisie venait, en effet, d’arracher son indépendance, après 75 longues années d’occupation française et se préparait, quelques jours après   (le 8 avril 1956), à élire sa Constituante. Indépendance chèrement acquise à la suite d’une âpre lutte contre la puissance colonisatrice et à de lourds sacrifices.

Ce jour-là, le peuple tunisien rêvait de concrétiser tous les objectifs adoptés par le mouvement réformiste, né au milieu du XIXe siècle, et par le mouvement national né en 1920. Tels que fonder une démocratie  pluraliste et constitutionnelle représentée par un Etat moderne, pacifiste, de droit et des institutions et au sein d’une société équilibrée, épanouie, créative et tolérante, attachée à son identité mais ouverte à toute évolution harmonieuse de celle-ci.

La fin de la colonisation a donc été l’aboutissement d’un processus ayant commencé dès l’avènement de celle-ci, le 12 mai 1881, puisque le peuple tunisien n’avait jamais accepté cet état de fait que la France lui avait imposé par les armes et qu’elle avait maquillé en protectorat.

Le peuple tunisien  avait d’abord opposé une farouche résistance malgré le déséquilibre des forces en faveur de l’agresseur. Les tribus prirent les armes partout dans le pays et purent parfois infliger de lourdes pertes à l’ennemi qui ne tarda pas à faire appel à de grands renforts d’artillerie lourde, mais aussi à saccager des villes entières, telles que la ville de Sfax, ou menacer de les saccager (Kairouan).

Quand l’occupation devint réalité, le peuple tunisien s’employa à revendiquer des réformes politiques, économiques et sociales afin de sortir de la misère dont il souffrait et enfin il déclara son intention de tout mettre en œuvre pour acquérir son indépendance.

C’est en fait l’un des traits majeurs de la personnalité du peuple tunisien, dont le sang amazigh (des Amazighs ou les hommes libres) coule dans les veines. Ne jamais abandonner son droit à la liberté et à la dignité, même si souvent il accepte à cause d’un rapport de force défavorable de se replier sur lui-même, de continuer la lutte en silence et de rebondir lorsque l’occasion se présente.

Le souffle de la liberté

Juste après l’occupation française, les revendications tunisiennes commencèrent par avoir un caractère social et économique et furent transmises au pouvoir colonial à plusieurs reprises dès la fin des années 1880, puis se développèrent en incluant des revendications à caractère politique dès 1907 grâce au mouvement des Jeunes Tunisiens dirigé par le leader Ali Bach Hamba (1876-1918).

Malgré la répression sanglante de bon nombre de mouvements sociaux pacifiques tels que ceux de 1905, 1906, 1911, 1912, 1938 et autres, le peuple tunisien, et à sa tête ses leaders, ne baissa jamais les bras ni n’abandonna les moyens pacifiques. Il finira par reprendre les armes face à un colonisateur arrogant et brutal qui s’employait à le spolier et l’exploiter.

En 1917, le leader Mohamed Bach Hamba (frère d’Ali) réclama haut et fort, de son exil en Allemagne, l’indépendance totale de la Tunisie et de l’Algérie. Il sera le précurseur de l’idée de lutte maghrébine commune pour l’indépendance, qui sera concrétisée au milieu des années 1944.

Fondé en 1920 par des représentants de l’élite tunisienne, à leur tête le cheikh Abdelaziz Thaâlbi (1876-1944), le Parti du Destour (Constitution) inaugura son action par la publication d’un réquisitoire accablant de l’action néfaste de la présence de la France en Tunisie, sous un  titre très éloquent, La Tunisie martyre. Ainsi naquit le mouvement national.

La lutte revêtira plusieurs aspects, engouement pour le savoir, sauvegarde de l’identité, lutte contre le fatalisme, lutte pour l’amélioration de la condition féminine et ouvrière, développement du tissu associatif, édition de journaux, amélioration des méthodes de travail agricoles et de l’artisanat, création d’entreprises économiques, etc.

Mais la volonté de réactiver la constitution de 1861 et de l’amender et l’élection d’un parlement tunisien restaient  au centre de toutes ces revendications, comme un pas décisif vers l’indépendance totale du pays. Dans le sud du pays, la résistance armée se poursuivait jusqu’en 1924 (mort en martyr du fameux résistant Mohamed Daghbéji).   

Dirigé depuis 1934 par le Néo-Destour, parti né de la scission d’avec la formation mère, le mouvement national va devenir plus agressif envers  un pouvoir colonial réfractaire aux revendications les plus élémentaires. Sous le leadership du jeune avocat Habib Bourguiba (1903-2000), ledit parti va entamer de nouvelles méthodes de lutte basées sur la mobilisation du peuple et la confrontation des masses avec l’occupant.   

D’importants mouvements sociaux se déclarèrent fin  1934 puis début  1938. Ces derniers  seront couronnés par la grande manifestation du 8 avril 1938 à Tunis qui  réclamait la création d’un parlement tunisien. Le lendemain, les forces armées de l’occupant tireront avec sang-froid  sur des de contestataires tunisiens regroupés devant le Palais de Justice à Tunis. Résultat,  plusieurs martyrs (pas moins de 22 dont trois enfants) et près de 150 blessés.

L’accession de Moncef Bey au trône, en juin 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, donna un nouveau souffle au mouvement national car ce souverain montra une volonté ferme d’affirmer son indépendance envers l’occupant. Il sera destitué par la France sous le régime de Vichy, en mai 1943, ce qui provoquera la colère du peuple tunisien.

En février 1944, le leader Tahar Ben Ammar (1889-1985), cofondateur du mouvement national, parvint à réunir autour de lui les dirigeants des différents partis politiques tunisiens ainsi que ceux des organisations nationales, à fonder et à présider une instance qui sera nommée «Front national» dont le secrétaire général sera Habib Bourguiba. Instance qui s’ouvrira à d’autres mouvances et structures nationales et comprendra,  parmi ses membres, des Tunisiens juifs et aussi des savants de la Zitouna.

Le Front réclamera en novembre 1944, pour la Tunisie, une Constitution, puis en février 1946 demandera à la France d’accorder à notre pays son autonomie interne. Doléances qui seront publiées dans les journaux et envoyées à tous les partis politiques français.

Avant cela et en janvier 1946 Farhat Hached, jeune leader du mouvement syndical réussit à unifier tous les syndicats des travailleurs. Ainsi naquit l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt) qui va jouer un rôle décisif dans la lutte pour l’indépendance du pays, aussi bien au niveau national qu’auprès des instances internationales dont l’ONU et donnera à la jeune Tunisie indépendante son premier programme économique et social.

Tout cela rendit facile le regroupement, en août 1946, de l’ensemble des composantes du mouvement national  en un congrès qui formera un tournant décisif dans la lutte pour la libération du pays du joug de la colonisation. Les représentants du mouvement national revendiquèrent publiquement et sans équivoque l’indépendance du pays comme étant la priorité des priorités. Ils furent poursuivis par les autorités coloniales et une partie d’entre eux furent jetés  en prison. Le peuple réagit en observant une grève générale.

Le décès, un peu louche, en septembre 1948, de Moncef Bey, mort en exil en France, enflamma la rue tunisienne et ses obsèques ravivèrent la flamme patriotique et rendirent plus solidaires les différentes composantes du mouvement national.

Le Front national soutiendra en août 1950 le nouveau gouvernement  qui venait d’être formé par M’Hamed Chenik. Il fera de même pour les revendications, pourtant moins radicales que celles adoptées en 1946, que ledit gouvernement adressera, en octobre 1951, à son homologue français.

Celles-ci seront rejetées le 15 décembre 1951. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Le peuple tunisien se prépara donc au pire. Et une grève générale de trois jours fut observée. Le Néo-Destour, représenté au sein du gouvernement par le leader Salah Ben Youssef,  monta alors au créneau  et réclama le recours aux Nations  unies.

Ce sera Ben Ammar qui convaincra son ami M’hamed Chenik, le chef du gouvernement,  de l’opportunité et de l’efficacité de ladite proposition. Ce dernier était hésitant pour plusieurs raisons, dont le refus de bon nombre de ces équipiers.

Il parvint, aussi, à réunir l’ensemble des composantes du mouvement national et à faire signer la requête par les représentants de chacune d’entre elles. Et le précieux réussit enfin à atterrir au bureau du secrétariat des Nations unies, à Paris.

Vers la pleine souveraineté

En avril 1950, Bourguiba proposa à la France une série de revendications du peuple à même de mettre fin à la présence effective de cette dernière en Tunisie. Tout en préservant quelques-uns de ses intérêts. Propositions qui provoquèrent  le courroux des colons français, mais annonceront, quelques semaines plus tard, une nouvelle politique française en Tunisie avec la perspective du lancement d’un processus qui devrait mener notre pays vers l’indépendance.

Contrairement aux usages qui voulaient que le discours du bey soit transmis à l’avance à la résidence générale, Lamine Bey déclara, 15 mai 1951, que le peuple tunisien «a acquis le droit de respirer l’air de la liberté, d’étancher sa soif aux sources de la justice, de jouir de tous ses droits individuels et collectifs, de vivre dans la paix et la dignité dans le cadre de la souveraineté nationale intégrale».

Le 16 octobre 1951, le gouvernement français annonça timidement son intention d’envisager une forme d’autonomie interne pour la Tunisie, mais fit volte-face fin décembre 1951. Entre-temps, les Tunisiens maintenaient la pression contre l’occupant au prix d’une répression ayant fait plusieurs martyrs.

Les autorités françaises nommèrent alors Jean de Hauteclocque nouveau résident général de France en Tunisie. Celui-ci inaugurera dès son arrivée à Tunis, le 13 janvier 1952, une politique de la terreur. Le peuple répondra à cette attitude belliqueuse et les mesures coercitives qui la concrétisèrent par des manifestations houleuses et déclenchera la résistance armée.

De Hauteclocque entreprit alors l’arrestation de plusieurs leaders du mouvement national, dont Habib Bourguiba, ce qui finira par faire entrer tout le pays en ébullition. Commencera, quelques jours après, l’oppression musclée du peuple et elle se poursuivra plusieurs jours pour atteindre son paroxysme au Cap Bon, qui sera victime du déchaînement sauvage et  criminel des forces de l’occupation, contre les populations civiles.

Ben Ammar parvint à réunir le Front national qui adoptera  une série de revendications,  dont la pleine autonomie interne de la Tunisie, l’élection d’un Parlement qui sera composé exclusivement de Tunisiens, un gouvernement formé exclusivement par des Tunisiens et la tunisification de l’administration publique.

Le mouvement national intensifia alors son action sur le double front intérieur et extérieur et commença à tout mettre en œuvre pour internationaliser la cause tunisienne et la lier à celle du reste des pays du Maghreb et même à celle de tous les peuples encore sous le joug de la colonisation. Eclatèrent alors, fin janvier 1952, l’insurrection du peuple tunisien et sa résistance armée. Les principaux leaders du mouvement national, en prison, la direction de la lutte politique et armée fut confiée au leader Farhat Hached, dirigeant du mouvement syndical national et porte étendard de la cause tunisienne auprès des instances internationales.

Encore une fois, le colonisateur feint d’ignorer les revendications légitimes du peuple tunisien et contre-attaqua par la proposition de réformes qui projetaient d’instaurer, en Tunisie,  d’une manière officielle et définitive,  la co-souveraineté.

Farhat Hached, leader du mouvement syndical et chef secret de la résistance nationale ainsi que d’autres leaders, Ben Ammar et de personnalités issues de la société civile tunisienne se mobilisèrent contre le projet de l’occupant.

Une commission ad hoc dite «Conseil des quarante» verra  alors le jour, le 1er août 1952, et s’emploiera à  soutenir le roi afin qu’il refuse ledit projet. Le monarque résistera, ainsi,  farouchement aux desseins encore plus hégémoniques de la France en Tunisie.

Une action qui coûtera à Ben Ammar et Hached et le Dr Abderrahmane Mami, médecin personnel du roi, et l’un des dirigeants du vieux-Destour, de figurer sur la liste des leaders à éliminer, établie par les autorités françaises. Le premier faillit être liquidé le 4 décembre 1952 et il échappa à la mort par miracle. Ce ne sera pas le lendemain le cas du leader Farhat Hached qui, lui, tombera en martyr. Le Dr Mami sera quant à lui assassiné le 14 juillet 1954.

L’assassinat de Hached signera l’arrêt de mort de la colonisation, provoqua l’indignation de l’opinion internationale et aussi des émeutes dans plusieurs pays colonisés et annonça le ras-le-bol de ces derniers face à la colonisation.

Autonomie interne puis indépendance

Humiliée à la suite de sa défaite, en mai 1954 lors de la fameuse bataille de Dien Bien Phu au Vietnam, harcelée par la résistance tunisienne armée, coriace et performante, la France envisagea de remettre totalement en question sa politique coloniale. C’est ainsi que le 31 juillet 1954, Pierre Mendès-France, chef du gouvernement français, annonça devant le bey à Tunis la décision de son pays d’octroyer l’autonomie interne à la Tunisie. Décision applaudie par le mouvement national en tant que pas sérieux vers l’indépendance.

Un nouveau gouvernement tunisien vit alors le jour, le 7 août, sous la présidence du leader Tahar Ben Ammar, personnalité très respectée sur le double plan national et international, dans le but de mener les négociations avec le gouvernement français. Celles-ci débutèrent  le 4 septembre, à Tunis.

Houleuses et parfois dans l’impasse, les négociations aboutirent enfin. Et c’est ainsi que le 22 avril 1955, le protocole d’accord sur les conventions instituant l’autonomie interne de la Tunisie fut signé. Lesdits textes seront quant à eux signés le 3 juin de la même année.

La décision fut immédiatement rejetée par le leader Salah Ben Youssef, le très populaire secrétaire général du Néo-Destour et principal bâtisseur dudit parti à partir de 1945, et ce, après avoir pourtant bien reçu, à l’époque, l’annonce de Mendès-France déjà citée.

Une véritable crise éclata alors entre Ben Youssef et Bourguiba et  fit couler beaucoup de sang essentiellement du côté des youssefistes.  Une dangereuse situation qui faillit emporter le mouvement national. Le Néo-Destour trancha enfin en faveur de Bourguiba lors de son congrès extraordinaire, à Sfax, en novembre 1955.

La crise se poursuivit et participa ainsi à accélérer le processus de l’indépendance. De nouvelles négociations furent alors inaugurées, le 29 février 1956, entre le gouvernement tunisien dirigé par le président du Conseil, Tahar Ben Ammar, et  le gouvernement français dirigé par le président du Conseil, Guy Mollet, et aboutirent, quelques jours plus tard, non sans certains achoppements à la signature, le 20 mars vers 17h45, à Paris du protocole d’indépendance de la Tunisie.

Mais la Tunisie dût affronter à la fois les défis de la construction du nouvel Etat, ceux du développement et ceux imposés par la France non pressée d’évacuer totalement le pays. Après plusieurs batailles durant lesquelles jeune armée nationale et résistance  avaient enregistré de spectaculaires exploits, le dernier soldat français quitta le pays le 15 octobre 1963.

Quelques mois après, soit à la date symbolique du 12 mai, la Tunisie promulgua la fameuse loi nationalisant les terres agricoles, jusque-là encore occupées par des colons français, mettant ainsi définitivement fin à toute occupation étrangère de son sol.

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