Kobbet El Haoua (II): Les Berrachid prennent la parole !

L’affaire Kobbet El Haoua ne cesse de susciter des rebondissements ! Après la parution de notre reportage, dimanche dernier, les propriétaires des lieux, dont le nom a été pendant longtemps maintenu secret, nous ont contactés pour clarifier certains points…Pas moins de onze documents officiels nous ont été communiqués, dont certains sont strictement confidentiels. Dhafer Berrachid, l’un des propriétaires actuels, nous donne donc sa version des faits et un aperçu sur l’historique ainsi que la situation actuelle de ce monument emblématique de la ville de La Marsa. Un autre son cloche…

Historique foncier…

Selon le Titre de Propriété qui nous a été donné dans son intégralité, cette fois-ci, Kobbet El Haoua (officiellement appelée «La Coupole») appartenait à la Fondation Habous constituée par Ahmed Pacha Bey par un acte notarié le 12 octobre 1936. Il a été utilisé comme pavillon balnéaire.

Après l’Indépendance, le bien a été confisqué par l’Etat tunisien (domaine privé) le 22 mai 1963, selon la loi 59/27 du 5 février 1959. La même année, il a été cédé à la municipalité de La Marsa, moyennant le «dinar symbolique». En 1984, la propriété a été vendue aux enchères par la municipalité de La Marsa à M. Abdelhamid Sabagh — industriel de son état. En 1993, elle a été revendue par ce dernier à Mohamed Ridha Ben Jaâfar Berrachid (agriculteur). Suite à son décès en 1999, tout naturellement, ses enfants Denizar, Chiheb, Guldjane, Maher et Dhafer Berrachid ont hérité du bien. Leurs noms sont les derniers à figurer sur le Titre de propriété (voir document). Au temps des Berrachid, un usage privé a été d’abord fait de Kobbet el Houa, laquelle a été ensuite exploitée comme un resto-café par l’un des héritiers dans les années 90. Ultérieurement, pour des raisons familiales, elle a été louée plusieurs fois en gérance libre. La dernière location, qui a fait l’objet d’un litige juridique —suite entre autres à un arrêt de paiement—, s’est étalée de 2000 à 2016 et a pris fin suite à une décision de justice de la Cour de Cassation au profit des héritiers, mais également à une pression médiatique. Les différents locataires l’ont utilisée pour un usage commercial et touristique comme un espace de loisirs et de divertissement.

«Il n’y pas d’expropriation !»

Dhafer Berrachid nous informe, qu’en 2015, les héritiers ont découvert «soudainement» que la Coupole a été intégrée au Domaine Public Maritime (DPM) sur la base du décret 1419 de 2005 (Enregistrement dans les registres de la Direction régionale de la Propriété foncière de Tunis datant du 16 mars 2015). C’était le grand choc ! Après investigation et par comparaison de documents qui sont tombés «par erreur» sous leurs mains, ils se sont aperçus que l’opération de changement de propriété, faite suite à une «procédure accélérée», n’a pris que cinq jours alors qu’elle prendrait généralement plusieurs mois, ce qui a suscité chez eux des soupçons de malversation, et ce, à plusieurs niveaux. Dhafer Berrachid précise : «Outre la rapidité exceptionnelle de l’opération, ces soupçons sont renforcés par le fait générateur du changement du titre foncier d’une propriété aussi importante que Kobbet El Haoua : une simple lettre d’une demi-page émanant d’un service du ministère de l’Equipement (?), adressée à la Direction régionale de la conservation foncière de Tunis, et demandant le changement «rapide» de propriété dans le but de la donner en «concession» … C’est tout de même incroyable de déposséder un citoyen de son bien, objet d’un titre foncier en bonne et due forme qui lui appartient donc sans aucun équivoque, pour le donner en concession à un autre privé, mais malheureusement, c’est la réalité, documents à l’appui ! Une demande de l’ancien gérant du bien a aussi été faite dans ce sens à l’attention du directeur général de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (Apal)… Y a-t-il anguille sous roche ?».

Aussi, le décret 1419 de 2005 n’a été appliqué sur aucun autre bien selon l’héritier qui prend en exemple plusieurs restaurants de la banlieue, mais également toutes les villas, les hôtels et autres bâtiments en bord de mer.

D. Berrachid nous explique, indigné : «Contrairement à ce que tout le monde croit, il n’y a pas du tout eu d’expropriation. Cette dernière répond à des conditions et des règles bien précises dans le droit tunisien et doit faire l’objet d’une procédure en bonne et due forme impliquant les propriétaires. Personne ne nous a contactés, prévenus ou proposé un dédommagement quelconque de notre bien. Nous n’avons reçu aucune correspondance officielle. De plus, jusqu’à ce jour, aucune trace de cette dite expropriation n’existe sur le Titre foncier de la Coupole ». Une plainte a été donc déposée par les héritiers auprès du Tribunal administratif à l’encontre de plusieurs instances. Des plaintes ont également été déposées auprès de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) —14 octobre 2016— (une séance d’audition a été réalisée et enregistrée selon D.B.) et de l’Instance de lutte contre la corruption (Inlucc) —11 janvier 2019—. Deux plaintes pour lesquelles les propriétaires n’ont reçu à ce jour aucune réponse, toujours selon eux… Un autre point d’interrogation !

La municipalité de La Marsa et l’INP ?

Bien qu’en contact direct et constructif avec M. Moez Bouraoui, maire de La Marsa, Dhafer Berrachid atteste que la municipalité de La Marsa n’est pas partie prenante dans le litige foncier et juridique qui se joue actuellement entre les propriétaires (les Berrachid) et l’Etat tunisien (plusieurs instances) au niveau du Tribunal administratif. Il nie par ailleurs toute relation avec l’Institut national du patrimoine (INP) et toute connaissance d’une quelconque expertise réalisée pour évaluer les risques que présente le bâtiment. L’INP n’a donc jamais contacté les propriétaires pour discuter de l’état de l’édifice, ce qui est pour le moins très étonnant…

Concernant les extensions opérées, D. Berrachid nous informe qu’elles ont été réalisées par le dernier exploitant au vu et au su de tout le monde, contre la volonté des propriétaires, sans leur autorisation et malgré l’existence d’une clause dans le contrat de location qui stipule que toute transformation aussi minime soit-elle doit subir l’aval des possesseurs des lieux. A ce sujet, il précise : «Quand nous avons constaté les dangers qui guettent l’édifice (l’état des pilotis principalement), nous avons consulté en 2009 et en 2010, des cabinets d’ingénierie de renom et nous avons demandé au gérant un arrêt momentané de son activité pour que nous puissions faire des travaux de renforcement de la structure, mais celui-ci a refusé. Nous avons donc averti la municipalité de La Marsa, la Protection civile et bien d’autres parties prenantes». Et d’ajouter : «Nous avons tout à fait les moyens de restaurer et de maintenir Kobbet El Haoua sans même l’aide de l’Etat ; soit par nos propres ressources, soit par une levée de fonds à l’échelle nationale ou internationale. Nous sommes prêts à la remettre dans l’état dans lequel nous l’avons acquise et à l’exploiter à travers un projet qui soit bénéfique pour La Marsa. Rassurez-vous, ce ne sont pas les idées qui manquent ! Nous attendons seulement que la justice rende son jugement et que notre bien nous soit enfin restitué». L’opération de restauration de la structure serait estimée à deux millions de dinars environ…

«Nous seuls détenons les  clés de Kobbet El Haoua !»

Contrairement à ce que nous pouvions croire, ce n’est pas l’Apal qui détient actuellement les clés de Kobbet El Haoua ni la municipalité de La Marsa, mais bien les Berrachid. Ce sont eux qui ont les clés du bâtiment, y ont l’accès exclusif et payent le gardien —que nous n’avons pas trouvé lors de notre visite la semaine dernière—, nous assure Dhafer Berrachid. C’est ce qui explique le fait qu’elle soit inaccessible aux experts de l’INP, entre autres, comme nous l’a affirmé, la dernière fois, Mme Sonia Slim, architecte générale et directrice du Département d’architecture, d’urbanisme et de classement à l’INP. D.B. affirme que les héritiers détiennent non seulement la propriété des murs, mais également celle d’un fonds de commerce qu’ils ont créé eux-mêmes, il y a plusieurs années.

En attente d’un dénouement…

Selon Dhafer Berrachid, l’affaire est aujourd’hui entre les mains de la justice à laquelle les propriétaires font entièrement confiance. Dans ce cadre, trois experts ont été mandatés par le Tribunal administratif afin d’établir un rapport d’expertise sur le dossier. Les différentes parties prenantes ont été convoquées par les experts et, en dehors des propriétaires qui étaient présents, aucune des autres parties n’a assisté, ce qui constitue, d’après notre interlocuteur, une preuve supplémentaire de cette injustice. D’après D. Berrachid, le décret 1419 de 2005 n’incorpore pas le titre foncier Kobbet El Haoua au domaine public maritime. Cette incorporation a été faite sur la base d’une simple lettre administrative et c’est l’objet du contentieux. Le rapport d’expertise a été remis par les experts au Tribunal administratif.

Les Berrachid, qui ne comptent en aucun cas céder ou baisser les bras, crient à la «corruption», à des «manœuvres illégales» et à un «hold-up» d’une propriété qui leur appartient de droit, mais ont confiance en la justice. Leur version semble tenir la route au vu des preuves qui nous ont été fournies. Toutefois, la rédaction de La Presse garantit le droit de réponse à toutes les parties prenantes, du moment qu’elles présentent les preuves de leurs dires…

L’affaire Kobbet El Haoua constitue, sans doute aucun, un dossier chaud, très chaud. Un dossier sensible, complexe et épineux d’autant plus qu’il est très médiatisé et qu’il implique plusieurs parties prenantes. Un dossier qui reste encore ouvert et que nous suivrons de très près… Espérons que le Tribunal administratif tranchera et ne tardera pas à rendre son jugement.

En attendant, le monument, cher à ses propriétaires et aux Marsois, partie intégrante de notre mémoire collective, risque de tomber en ruines à tout moment. Les autorités se doivent de prendre leurs responsabilités et de faire face à leurs obligations par rapport au patrimoine matériel et immatériel du pays.  Il est bien déplorable de constater que notre patrimoine est en danger ; Kobbet El Haoua n’est malheureusement qu’un exemple parmi d’autres ! Le dernier en date est le Palais Chérif sis à Mutuelleville qui vient d’être sacrifié et démoli. Les spéculations autour du patrimoine doivent être arrêtées et condamnées de toute urgence…

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