Mes odyssées en Méditerranée | Nous est-il encore permis de vivre ensemble ?  

La Sicile arabo-normande, exemple d’un syncrétisme presque parfait (IXe-XIIe siècles). Cette semaine, on va de l’autre côté de la Méditerranée et plus précisément en Sicile.

Je vous parlerai brièvement de la domination arabo-musulmane (827-1061) sur la plus grande île du Mare Nostrum, mettant ainsi en exergue l’apport très riche de cette civilisation, dans une terre qui a été, depuis la nuit des temps, carrefour de toutes les dominations. La richesse laissée par les arabes en Sicile dépasse toute forme d’imagination : de l’art à l’astronomie, des sciences aux lettres…                                         

Tombé aux mains des Chrétiens normands en 1061, la Trynacria (la Sicile fut appelée ainsi par les Grecs) renforcera la présence musulmane, tout en latinisant et christianisant les peuples. Plusieurs poèmes écrits par des musulmans de Sicile révèlent l’amour que ces voyageurs témoignent pour ce triangle de terre situé en plein centre de la Méditerranée. Un triangle, jamais ignoré par les plus grandes et anciennes civilisations : Phénicienne, Grecque, Romaine, Arabes, Normande, Espagnole…

La Sicile, grâce à sa position géographique stratégique entre l’Europe et l’Afrique, à son climat méditerranéen et à sa terre féconde, s’est attiré la sympathie, mais aussi la convoitise de tous les peuples qui ont sillonné la Méditerranée. D’un point de vue mythologique, la Sicile reste également légendaire. «L’Odyssée» d’Ulysse en est un parfait exemple. Sous les rois normands (1061-1169), une cohabitation pacifique et intelligente s’était instaurée non sans difficultés, et les trois grandes communautés, la musulmane, la chrétienne et la juive, ont vécu ensemble, partageant leurs fêtes et s’adonnant aussi à la construction des différents lieux de culte. Fusion culturelle et affinités religieuses ont instauré un dialogue, devenu la devise et le cheval de bataille du roi Roger II de Sicile (22 décembre 1095-26 février 1154), second fils du grand comte Roger de Hauteville. Ce grand empereur normand, doué d’une si grande intelligence, comprit que le secret du succès de son royaume était celui de la cohabitation pacifique et du syncrétisme culturel et linguistique ( latin, arabe, grec et judéo-arabe ) entre Chrétiens, Musulmans et Juifs, invitant ainsi ces deux derniers à ne pas quitter la Sicile malgré leurs diversités culturelles très prononcées. Le souverain voyait dans cette cohésion le fondement de son succès. Al-Idrîsî, Ibn Djubayr, Ibn Hamdis, Ibn al Qattâ… découvrent ce syncrétisme dans les usages alimentaires des trois communautés et en font des descriptions anthropologiques passionnantes. Tous décrivent leur peine et l’amour pour leur terre, la Sicile, désormais chrétienne :

*Ma Sicile. La douleur désespérée se renouvelle pour toi dans la mémoire, Jeunesse.
Je revois les bonheurs fous perdus et les splendides amis. Ô paradis dont j’ai été chassé! 
A quoi bon se souvenir de son éclat?
Mes larmes. Si vous n’aviez pas connu trop d’amertume, vous seriez à présent des rivières…  
…La pénombre se dissipe en altitude agitée par les voiles de la lumière
Mais cette lumière est un moyen de se détruire 
Envoie chercher de la lumière qui perd sa vie.                                                                                                                                 
Ibn Hamdis

Cette période, la plus riche de l’histoire de la Sicile, a été  balayée beaucoup plus tard, en 1414, par la domination espagnole aragonaise, qui a vu la dégradation économique de l’île, devenue un vice-royaume et le triomphe du tribunal de l’inquisition au nom de l’hypocrisie religieuse. Une période noire de l’histoire de Sicile, un exemple funeste d’une décadence obscurantiste lorsque l’Etat se mêle de la foi de ses ouailles et que le religieux et le politique se confondent, toujours au nom de la religion, un retour au Moyen-Age…                                                                                     

Désormais, ces dialogues interculturels, complètement absents de nos jours dans les sociétés modernes, occidentales comme orientales, gangrenées par le pouvoir, étaient pourtant la base vitale de la réussite économique, culturelle et civilisationnelle.                                                

Un vide intellectuel caractérise toutes les sociétés modernes, sans aucune exception. Le cerveau humain a donc été spolié intentionnellement par le Pouvoir et réduit à un cumul de détritus désordonnés. La crise économique, les incertitudes et les désespoirs, ainsi que la perte de toute sorte de valeurs pourraient en être une explication.

*Alfonso Campisi, «Voyageurs arabes en Sicile normande» (XIe-XIIe siècles )  MC éditions, Tunis 2017

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