L’entreprise autrement | Processus grippé, rêve brisé (X)

A cause des effets néfastes d’un régime autoritariste né en 1956, à la suite d’une décolonisation à la va-vite et d’une courte guerre de clans politiques, et devenu rapidement policier, qui a provoqué son propre isolement au sein de la population puis devenu  mafieux à partir du milieu des années  1990, le pays s’est retrouvé, depuis 2011, victime de conflits parfois très violents qui le conduisent inexorablement vers à la faillite totale. Effets néfastes dus, entre autres, à l’accumulation de problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels resté en suspens tout au long de la période indiquée. Problèmes ayant donné naissance à d’énormes contradictions et à ce que nous pouvons appeler des « monstres » sociaux (en empruntant le terme  à l’embryologie).   

Ainsi, nous sommes allés du paradigme Etat-providence, vers celui de Parti-providence, puis, à partir du début des années 1970, c’est venu s’ajouter celui de l’entreprise-providence. A partir des années 1990, c’est la solidarité familiale qui est venue supporter le fardeau des échecs des soi-disant politiques de développement (famille-providence). Puis nous nous sommes rapidement retrouvés en plein dans le paradigme «Mafia-providence» pour découvrir, à partir de 2011 qu’une nouvelle entité est venue rejoindre les autres,  la rue-providence (grèves, sit-in, contestations violentes, centres productifs en otage, vandalisme, affrontement …)Pour schématiser d’une manière grossière le processus de destruction de notre économie, ce sont des salariés (toutes catégories confondues) ou voulant le devenir ainsi que des rentiers et  des criminels financiers qui ont empêché les non salariés de travailler comme il se doit, qui, eux, n’ont aucun choix que celui de produire pour vivre,  donc de procurer du travail à ceux qui en ont besoin  et de participer ainsi à alimenter le trésor public.    

Il faudrait rappeler ici, qu’à cause de plusieurs siècles de décadence, de despotisme et de dépendance héritée, acquise et voulue, notre Etat est resté omniprésent, et notre société est, hélas, restée encore incapable de se prendre en charge. Deux grands obstacles devant la créativité et  l’initiative.

La culture dominante étant fortement imprégnée du conflit profond qui existe entre Etat et société, le citoyen, statut quasi-inexistant en Tunisie, a été conditionné pour, à la fois, craindre et haïr l’Etat, ce qu’il incarne comme pouvoir castrateur et ceux qui veillent à entretenir son pouvoir.

L’Etat tunisien n’est, en effet, pas perçu seulement comme un mal nécessaire, mais comme un corps étranger, du fait des accumulations historiques, qui pompe les capacités de la société et qui veille à la redistribution injuste de ses biens, à elle (Voir notre chronique du 27-12-2017). D’où la revanche que la société semble chercher à prendre vis-à-vis de l’Etat, et d’où l’acheminement de celle-ci vers la délinquance. De plus, le régime, qui, à première vue, semble avoir été décapité début 2011, a continué à vivre puisque il n’a été décapité qu’en apparence, la tête a tout simplement changé de place et a ainsi continué à agir en mettant le paquet afin de se venger,  sauf qu’il n’est plus seul maître à bord. Cela sans oublier les facteurs extérieurs, devenus  très puissants, tellement sont énormes les enjeux dont notre région immédiate fait l’objet. Ainsi, les réseaux qui formaient ce régime se sont retrouvés un moment abandonnés à eux-mêmes et ont cherché à se rallier, chacun à la puissance montante, pour se réorganiser un peu plus tard et se reconnecter à leur ancienne tête. En même temps  chaque force politique, soutenue en cela par des forces économique, sociale ou culturelle et souvent des puissances étrangères, a essayé de profiter de la situation pour imposer ses idées et ses programmes qui, pour certains, se résument à un seul objectif: prendre le pouvoir e s’y maintenir. La démocratie et les libertés et le développement étant le dernier de leurs soucis. Résultats : montée au pouvoir de formations qui n’ont aucun lien avec les idéaux de la «Révolution tunisienne» encore moins avec son déclenchement ni avec son déroulement et durcissement des positions de la masse des salariés au détriment des catégories vivant dans la précarité ou sans travail, le tout pris dans le tourbillon des promesses de manipulation et les revendications excessives.

Fragmentation des mécanismes de prise de la décision politique, éparpillement des pouvoirs dont celui de l’usage de la force et de la violence, naissance d’autres réseaux mafieux, qui essayent chacun de contrôler l’économie du pays et donc de sa vie politique. Voilà comment l’on pourrait décrire la situation   

Masquer les crimes de l’ancien régime, permettre aux mafias de continuer à contrôler l’économie du pays  et à pomper les richesses de celui-ci ont été, par ailleurs, l’un des terrains de conflits les plus violents, à côté de celui du conflit autour du modèle de société à adopter, avec au centre le statut de la femme et pour être plus précis celui de son corps.      

Laisser un commentaire