Cérémonie d’ouverture de la 20e édition du Festival de la Chanson tunisienne : En grande pompe, mais…

L’événement est de taille. Le rideau s’est levé sur la 20e édition du Festival de la chanson tunisienne… après douze longues années d’absence ! C’était avant-hier au Théâtre de l’Opéra, à la Cité de la Culture.

L’ouverture tant attendue, transmise en direct sur la Chaîne nationale 1, s’est déroulée en grande pompe : tapis rouge, tenues de soirée, orchestre imposant, scénographie travaillée, médias de tous bords, exposition rétrospective à l’entrée… Les officiels, en l’occurrence le ministre des Affaires culturelles, M. Habib Ammar, et son chef de cabinet M. Youssef Ben Brahim, les artistes et les journalistes étaient au rendez-vous.

Ce festival marque, non seulement le retour de l’une des manifestations phares et historiques de la scène artistique dans notre pays, mais également une reprise — quoique prudente — des activités culturelles et d’une vie presque «normale».

Deux allocutions, des espoirs…

Dans son mot d’ouverture, l’artiste Chokri Bouzayène, directeur technique de cette édition placée sous le slogan «Ni exclusion, ni complaisance», a présenté les grandes lignes du festival, ainsi que la démarche adoptée, essentiellement le travail de décentralisation qui a été réalisé grâce aux délégués régionaux de la culture et des différents comités de sélection. Il n’a pas, par ailleurs, manqué de remercier tous ceux qui ont veillé à ce que cette édition voie le jour, ainsi que de rendre hommage aux femmes qui ont assuré les volets logistique et administratif. Pour Chokri Bouzayène, ce festival constitue une lueur d’espoir pour moderniser la chanson tunisienne, renforcer notre appartenance et identité nationales et découvrir de nouveaux talents…

Dans le même sens, dans son allocution, M. Habib Ammar a insisté sur l’importance de la reprise de cette manifestation qui ne peut être qu’une forme de défi et de résistance dans le contexte actuel. Une manifestation qui offre l’occasion de redorer le blason de la chanson tunisienne à tous les niveaux et d’instaurer de nouvelles traditions. Il a, de même, souligné le rôle de la musique dans les sociétés en tant que vecteur d’identité, révélant le passé, le présent et l’avenir des peuples et formant sa mémoire collective. Il a terminé par rendre hommage aux pionniers et piliers de la musique et de la chanson tunisiennes et de donner le coup d’envoi officiel de cette 20e édition !

La soirée : entre hommages, compétition et guest stars…

C’est au maestro Mohamed Lassoued, directeur de l’Orchestre national tunisien, violoniste de renom et maître-assistant à l’Institut de musique de Tunis de son état, qu’est revenu l’honneur de lancer la première note jouée dans cette édition spéciale du Festival de la chanson tunisienne.

La soirée a commencé par un bouquet de chansons primées dans les éditions précédentes, à l’instar de «Ibak», «Sabri ala rouhi», «Hamss el mouj», «Andekch essbr ?», «Ghaddar», «Enti chamssi» et bien d’autres qui ont laissé une empreinte dans les annales de la musique tunisienne. Des titres interprétés par la chorale et arrangés à l’occasion par Abdelbasset Belgaied. Ensuite, des candidats, qui sont en lice dans la catégorie «Musique watariya» (nous optons pour la transcription pour éviter toute traduction abusive), ont successivement présenté leurs «œuvres». Il s’agit de Moncef Adhoum, Sourour Hammami et Aymen Ben Attia. Pour clôturer en beauté cette première partie, la grande Soulef, chanteuse de la première heure, a fait une entrée majestueuse sur la scène du Théâtre de l’Opéra, interprétant «Matfakkarnich» et «Assmar mossrar» qui font partie de ses nombreux succès. Une présence riche en symboliques et en reconnaissance…

Pour la seconde partie de la soirée, c’est le talentueux compositeur Kais Melliti, plusieurs fois primé pour ses musiques de films, qui a pris les rênes de la direction de l’orchestre. Et c’est au tour de Nabil Ben Mohammed, Abir Klai et Seif Eddine Tebbini de concourir dans la compétition «Musique watariya». Place ensuite à un interstice poétique avec Habib Mahnouch, l’un des paroliers et poètes les plus importants de la scène nationale, avec son poème « Kallek ib», traitant de la Tunisie, de ladite «révolution» et du pouvoir… Le duo Jihen Jelassi/Amine Said suivi d’Amine Ben Zina ont clôturé la compétition pour ce premier concert inaugural pour céder la place à la guest star tant attendue par le public : Saber Rebai ! Un artiste tunisien de notoriété arabe, produit de l’industrie musicale libanaise, qui a fait son passage par le Festival de la chanson tunisienne à ses débuts. Il a interprété deux de ses tubes à savoir «Yé lella» et «Sarkha», ainsi qu’un bouquet de chansons les plus connues de l’illustre Saliha…au grand bonheur du public !

Mais…

La cérémonie d’ouverture de cette 20e édition du Festival de la chanson tunisienne a été une réussite sur le plan organisationnel. Un staff technique, artistique et médiatique impressionnant a veillé à ce que ça le soit. Le défi a bien été relevé, surtout dans le contexte exceptionnel dans lequel nous vivons. Le choix de deux jeunes maestros aussi remarquables que talentueux pour la direction de l’orchestre de 52 musiciens triés sur le volet est plus que judicieux ; les hommages aussi. Mais comme d’habitude, il y a toujours un «mais», voire plusieurs…

Nous regrettons d’abord la présence de seulement deux femmes parmi les musiciens. Cela n’est en aucun cas représentatif de la place de la gent féminine dans la sphère musicale nationale qui regorge de musiciennes confirmées. Du travail sur ce plan reste à faire…

L’arrangement du premier bouquet rétrospectif a été marqué par une certaine surcharge. Les arrangements ont souvent dominé la mélodie principale. S’y ajoutent quelques problèmes au niveau de la sonorisation, bonne dans l’ensemble, mais qui nous a empêchés de bien déchiffrer les paroles des chansons par moments ; ce qui n’était guère agréable…

Il s’agit, certes, d’une cérémonie d’ouverture, ce n’est point le moment de faire le bilan sur la qualité et le niveau des «œuvres» présentées, mais les premiers candidats semblent donner le ton. Nous ne l’espérons pas ; nous restons tout de même optimistes… En effet, mis à part la chanson «Yé ness rani nhebbeha» d’Aymen Ben Attia qui se dégage plus ou moins du lot, les autres titres semblent avoir pris le moule de ce qui caractérisait justement le Festival de la chanson tunisienne et a marqué son arrêt : cette espèce d’«insipidité», ces rythmes monotones, ces paroles sans recherche. Aucune mélodie ne berce, aucun mot ne titille, aucun rythme ne fait vibrer, … Nous nous demandons sérieusement s’il s’agit d’un problème de sélection, d’orientation artistique ou tout simplement d’offre et d’état de fait de la musique et de la chanson tunisiennes… Ce que nous pouvons dire, c’est qu’au-delà de toutes ces hypothèses, le statut étatique de cette manifestation pose, en partie, problème à certains artistes qui cherchent d’autres circuits, d’autres tremplins. Un point à prendre en considération. Quoi qu’il en soit, les compétitions ne font que commencer et que le meilleur gagne !

Pour terminer, nous ne pouvons que saluer le retour du Festival de la chanson tunisienne, surtout avec des objectifs ambitieux déclarés, ceux de dépasser l’aspect purement événementiel, de réfléchir, d’étudier et de trouver des issues aux impasses et de hisser d’un cran au-dessus, sinon plus, l’art de la chanson et de la musique tunisienne.

Nous y reviendrons…

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