Le rêve a tourné court. Après neuf ans, plusieurs inaugurations, de multiples négociations et des reports, de cette ville finalement « onirique » n’a été concrètement bâti qu’un complexe de villas de luxe. Hors de portée. Rien d’autre !

Sur fond de commémoration du décès de Habib Bourguiba, survenu le 6 avril, l’an 2000, évoqué par quelques députés sous la coupole du Bardo, la séance publique s’est tenue hier dans de bonnes conditions de travail. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais  les tentatives de déstabilisation, s’immisçant presque toujours à travers les points d’ordre, sans lien direct avec le programme, ont été maîtrisées. Les députés, énergiquement rappelés à l’ordre, que ce soit par Tarek Fetiti, deuxième vice-président, ou par Samira Chaouachi, première vice-présidente de l’Assemblée, la plénière a pu se dérouler sans heurts majeurs. C’est le stratégique secteur de l’eau qui était au menu, en présence du ministre de l’Agriculture par intérim, Mohamed Fadhel Kraïem.

Les interventions des représentants du peuple portaient sur les multiples déficiences affectant l’approvisionnement en eau potable dont souffre le pays tout entier, à commencer par le Grand Tunis, les grandes villes, en passant par les zones rurales. Le manque d’entretien des barrages et des réservoirs ainsi que les fréquentes et durables coupures d’eau ont été relevés par l’ensemble des élus. Le vrai problème réside, selon eux, dans la mauvaise gestion des ressources hydriques. Une gestion défaillante repérée à tous les niveaux. Le raccordement à l’eau potable de régions entières qui en sont encore privées à ce jour, la réalisation de barrages, de stations de dessalement de l’eau de mer et le forage de puits, des projets publics qui accusent d’importants retards.

Le rêve a tourné court

Mais le cœur de la séance se trouve ailleurs. Il porte sur un projet de loi faussement anodin. Un accord de prêt, conclu en octobre 2020, entre la République Tunisienne et la Banque européenne d’investissement, pour la contribution au financement du projet d’approvisionnement du port financier en eau. Ce texte a fait l’objet de virulentes contestations d’une partie de l’hémicycle. La pomme de discorde étant « le port financier ».

L’opposition parlementaire a crié à la manipulation, pointant du doigt un dysfonctionnement institutionnel. Ledit port, situé dans la région de Raoued, gouvernorat de l’Ariana, a fait l’objet d’un premier accord qui commence à dater, en 2012 précisément. Il se compose, du moins sur le papier et sur un modèle réduit arboré pompeusement devant les caméras à chaque fois que de besoin, d’un terrain de golf, d’un « mall », une marina, une clinique, un pôle technologique, une université, un centre d’affaires, un centre financier. Bref, une ville devait surgir de terre, aménagée sur 217 hectares pour une superficie globale de 523 hectares. Des gratte-ciel aux façades de verre, des points d’eau et de magnifiques tours embelliront la capitale. Un port financier ou une nouvelle cité qui rappellerait les somptueux sites implantés dans le désert d’Arabie, à coups de millions de dollars.   

Le rêve a tourné court. Après neuf ans, plusieurs inaugurations, de multiples négociations et de reports, de cette ville finalement « onirique » n’a été concrètement bâti qu’un complexe de villas de luxe. Hors de portée. Rien d’autre !

Réclamer la restitution des terres

Les députés, notamment du Bloc démocrate, se sont interrogés sur l’utilité de ce crédit, à hauteur de 14 millions d’euros, pour financer le raccordement à l’eau de ces chics demeures, alors que le cocontractant, en l’occurrence la Banque islamique de Bahreïn, n’a pas rempli sa part du contrat. Pourquoi la Tunisie ira-t-elle s’endetter (une fois de plus), alors que le projet initialement annoncé n’a pas été réalisé dans sa majeure partie ? Dans la foulée, l’Etat tunisien a été accusé de jouer au promoteur immobilier par procuration. Certains députés ont donc contesté la présence du ministre de l’Agriculture, alors que c’est celui des Finances qui aurait dû être auditionné, étant directement concerné par ce controversé texte de loi.

Ce n’est pas le seul grand projet inachevé ou carrément en suspens, explose Mohamed Ammar, président du Bloc démocrate, « Sama Dubaï » ainsi que « Sports City » n’ont toujours pas vu le jour. Le député a demandé aux autorités de réclamer la restitution de ces immenses terrains. « Cela relève de la souveraineté nationale ». Des terres tunisiennes acquises gratuitement, réquisitionnées depuis longtemps par ces parties et restées inexploitées. A quoi bon ?

Si le projet de loi a été finalement voté à 76 voix pour, 2 contre et 25 abstentions, et le crédit sera donc accordé, il conviendrait de rappeler à cet égard que la Tunisie a perdu son aura et son poids diplomatique dont les bases avaient été jetées par le leader et président Bourguiba décédé comme hier.  Comment taper du poing sur la table des négociations, alors que le sommet de l’Etat renvoie cette piètre image à l’intérieur comme à l’extérieur ? Tant que le pays donne l’impression d’être non tenu, et ce n’est pas qu’une impression, tant que les Tunisiens avancent en ordre dispersé et ne parlent pas d’une seule voix sur la scène internationale, tant que la Tunisie ne sera pas prise au sérieux par ses partenaires d’abord. Et, son pouvoir de négociation est réduit à presque zéro. Il ne faut pas s’étonner donc que des mégaprojets promis, les Tunisiens n’en obtiennent que les maquettes.

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