Abdelmajid Azaiez, ancien milieu de terrain international du CSHL: «L’échec n’est pas fatal»

Pilier du Club Sportif d’Hammam-Lif des années 1950 et 1960, Abdelmajid Azaiez a eu le privilège de participer à la première phase finale de la CAN à laquelle la Tunisie s’est qualifiée. Cela se passait en 1962 en Ethiopie.

Tour à tour joueur international, entraîneur de clubs, prof d’éducation physique et sportive, instructeur CAF et Fifa, le milieu de terrain hammamlifois est également père de deux sportifs : Mohamed, qui a sauvé, en tant qu’entraîneur deux années de suite, le Sporting Ben Arous de la relégation, et Walid, qui a longtemps milité au sein du CSHL et de l’EST, et aurait pu aller plus loin en sélection n’eussent été deux blessures aux ligaments croisés.


Abdelmajid Azaiez, une question rituelle, pour commencer : comment êtes-vous venu au football ?

Tout jeune, je pratiquais le foot et l’athlétisme en même temps. On jouait place du collège Sadiki avec Rached Meddeb, Khaled Gharbi, Mohamed Gritli… En finale scolaire, notre lycée a battu à plate couture (4-1) le lycée technique de Sfax des Moncef El Gaied, Marrakchi… Cela s’est terminé par une bagarre. Le secrétaire d’Etat aux Sports, Mohamed Mzali, a refusé de nous décorer des médailles, en raison de ces scènes de violence. Il est vrai qu’on cherchait aussi à favoriser la pratique du handball. Et cela allait se faire aux dépens du foot qui disparaîtra un certain temps des championnats scolaires.

Latéral droit en sélection, avez-vous occupé régulièrement ce poste avec votre club ? 

Chez les jeunes, j’ai occupé tous les postes : attaquant ou ailier droit avec les cadets, milieu de terrain avec les juniors. De sorte que, senior, j’ai pu remplacer une fois l’arrière droit Slah Thraya qui a raccroché, une autre fois l’arrière gauche Naceur Bellagha, parti en France et une troisième fois l’attaquant Abdelaziz Zouari qui a pris sa retraite. A Bizerte, j’ai neutralisé la vedette Boubaker. En ces temps-là, un dessin paru sur les journaux le montrait tenant un filet où il y avait 23 poissons, le nombre de buts qu’il a marqués sur une saison. C’était un artificier redoutable. Notre entraîneur n’en revenait pas: pour un de mes tout premiers matches, j’ai mis sous l’éteignoir la grande vedette bizertine. Au CSHL, j’étais du reste le plus souvent pivot.

Quels étaient les piliers du CSHL où vous

avez évolué ?

Notre génération venait juste après celle mythique qui fit les beaux jours de l’équipe constituée de Slah Bey. Elle comptait Naceur Bellagha, Abdelaziz Zouari, Slah Thraya, Taoufik Slaoui, Choujaâ Hzami, le frère de Témime, surnommé Mustapha Zoubeir, du nom de son autre frangin, le gardien Mohamed Hammami, Amor Laâfif, Saâd Karmous, Jamaleddine Bouabsa, Hamadi Baha, Noureddine Ben Ismaïel dit Didine…

Votre dernière saison, était-ce l’année de trop comme cela arrive trop souvent ?

Notre président Sadok Boussofara insista afin que je revienne de Jendouba où j’étais parti entraîner. J’ai livré une saison supplémentaire où j’ai retrouvé, à vrai dire, une seconde jeunesse, sans pour autant recevoir quoi que ce fut de ce qu’on m’avait promis. J’ai dû partir sur un arrière-goût d’amertume. J’aurais pu signer pour un club pro français, mais je m’étais contenté du club amateur de Juvisy, car je menais en parallèle ma formation de conseiller technique. J’ai terminé parmi les trois premiers à Ksar Saïd. La récompense consistait à aller dans l’Hexagone poursuivre la formation.

Les jeunes d’aujourd’hui n’ont aucune idée des circonstances dans lesquelles la Tunisie a disputé en 1962 en Ethiopie sa première Coupe d’Afrique des nations. Racontez-nous cette première historique à laquelle vous avez pris part…

Oui, j’ai disputé les deux matches de cette CAN, organisée dans la capitale éthiopienne Addis Abeba qui est la capitale la plus élevée d’Afrique, la 4e du monde, puisqu’elle se trouve entre 2.300 et 2.600 m d’altitude. Cela conditionne inévitablement la performance sportive. En ce temps-là, la médecine du sport n’était pas très développée. On joue en altitude sans prendre suffisamment de précautions. Pourtant, dès que nous montions les escaliers de l’hôtel, nous arrivions dans nos chambres avec le souffle coupé. Le tournoi est retardé d’un an en raison d’un coup d’Etat avorté. L’Addis Abeba Stadium accuse du retard avant d’ouvrir ses portes. L’empereur Hailé Selassié est présent dès le premier jour, celui des demi-finales car le tournoi réunissait quatre pays seulement, et se jouait selon la formule de Coupe (demies puis finale).

Ironie du sort, vous êtes opposés en demi-finale au pays organisateur. Mission impossible, non ?

D’autant plus que l’arbitrage africain met du sien. C’était folklorique: vous renvoyez le ballon de la tête, l’arbitre siffle penalty…Le 14 janvier 1962, après une demi-heure de jeu, nous menions au score (2-0) grâce à des buts de Ammar Merrichko et Moncef Cherif. L’arbitre était comme impatient, car deux minutes après, il a décrété un penalty pour le team local, réussi par Luciano. La suite: une cruelle défaite (4-2). D’ailleurs, en finale, le scénario a été presque identique : les locaux ont eu raison de l’Egypte (4-2) après prolongations non sans avoir été menés au score par deux fois dans le temps réglementaire. L’altitude a eu raison d’une superbe équipe égyptienne qui comprenait Fanaguili, Sarih, Salim… En match de classement, la Tunisie a dominé l’Ouganda (3-0), buts de Mohamed Salah Jedidi, Chedly Laâouini et Rached Meddeb. Deux enseignements à retenir. D’abord, cela préfigurait le folklore de l’arbitrage africain. Ensuite, le corps de l’athlète finit par s’adapter à tout, y compris à l’altitude. Mais durant cette 3e CAN de l’histoire, je dois avouer que cette adaptation a mis beaucoup de temps.

Sur un plan personnel, êtes-vous satisfait de votre prestation durant cette CAN ?

Je crois avoir disputé là-bas mes meilleures rencontres en sélection. On doit y ajouter une rencontre amicale remportée (2-1) face au Dinamo Moscou. Poussé par son élan offensif, le Marsois Hamadi Chihab, au lieu de m’épauler à la récupération, m’a abandonné entre deux grands joueurs russes, dont l’avant-centre Kohl, auteur d’un but. Je l’ai complètement anéanti malgré ce but inscrit. Chihab a d’ailleurs réussi ce jour-là un but.

Pourquoi n’avez-vous pas été convoqué pour la CAN suivante en Tunisie ?

Il y avait sans doute le désir d’infuser un sang neuf à la sélection, et de meilleurs joueurs sur lesquels pouvaient compter Mokhtar Ben Nacef et Ballogh. Il n’en demeure pas moins que les sélectionneurs ont voulu me relancer après cette CAN, mais j’ai décliné leur convocation pour un stage en Hongrie. Jendouba Sport venait de m’engager comme entraîneur. Son offre financière était alléchante, et cela tombait à pic, car j’allais me marier, et j’avais besoin d’argent.

Des regrets, tout de même ?

Arrêter sa carrière à 26 ans, au pic de la forme, a été très, très dur pour moi. J’aurais pu faire une meilleure carrière sans cet arrêt brusque. Mais je ne regrette rien, car j’avais besoin d’argent, et cette proposition d’entraîner JS me garantissait les frais du mariage. Ainsi, j’ai épousé Chedlia en 1967. Nous avons eu quatre enfants : Lamia, 52 ans, prof de sport ; Mohamed, 51 ans, ancien international cadets, juniors… du CSHL, CAB, JSK et Anvers, en Belgique; il a entraîné le CAB, CSHL, ASG, SCBA… ; Walid, 44 ans, homme d’affaires, ancien joueur du CSHL et de l’EST, et avec lequel j’allais partager la plus grosse déception de ma vie; et Rim, 39 ans, fonctionnaire.

Pourquoi dites-vous qu’avec Walid, vous partagez la plus grosse déception de votre vie ? 

Rappelez-vous la finale de la Ligue des champions : Espérance Sportive de Tunis-Raja Casa, le 12 décembre 1999. Dans un stade d’El Menzah plein à craquer, Walid rate un penalty dans le temps réglementaire. 0-0 à l’aller, 0-0 au retour. Les Marocains s’imposent à la loterie des tirs au but (4-3), Kanzari et El Ouaer ratant leurs tirs. Je n’ai jamais ressenti une telle douleur. J’en suis devenu malade pour Walid qui n’avait pourtant jusque-là jamais raté un penalty. Il a exécuté celui-là comme il faut, mais les Marocains avaient un excellent gardien.

Quel est votre meilleur souvenir ?

La cérémonie organisée en 2008 par la Confédération africaine pour me remercier des années passées à entraîner les arbitres internationaux des différents pays africains. C’était une immense fierté pour moi.

Quelles étaient vos qualités de joueur ?

Athlétique et rapide, je jouais des deux pieds. Récupérateur, je savais distiller à nos attaquants Mongi et Kamel Henia des passes décisives. J’étais coriace, opiniâtre et dur sur l’homme. Je me distinguais aussi par ma vitesse.

De quels joueurs vous méfiez-vous le plus ?

Des Clubistes Mounir Kebaïli et Mohamed Salah Jedidi, deux  attaquants tellement véloces et costauds qu’ils ne vous laissent jamais le temps d’intervenir ou de les neutraliser.

Quels sont les meilleurs footballeurs tunisiens de tous les temps ?

Noureddine Diwa, le maestro, Tahar Chaïbi, le plus grand parmi les grands, Hamadi Henia, un dynamiteur des deux pieds, Hamadi Agrebi, l’artiste, Abdessalam Chammam, un véritable sportif, Haj Ali, un talent extraordinaire, Mongi Dalhoum, Témime, Tarek, Mohieddine, Mejri Henia, Saâd, Slaoui, Jedidi…

Et le plus grand joueur hammamlifois ?

Abdelaziz Zouari, un joueur de poche certes, mais très athlétique. C’est un peu Diwa et Braiek réunis. Sur le terrain, il corrigeait mes fautes de débutant beaucoup mieux que ne le faisaient les entraîneurs.

Quels furent vos entraîneurs ?

Gaetano Chiarenza, Mustapha Bessaies, Mohamed Boucetta, le père du dirigeant du CSHL, Fayçal, Larbi Soudani… En sélection, Ben Nacef, Ballogh et Matosic.

Etes-vous satisfait de votre carrière d’entraîneur ? 

Elle me laisse un goût d’inachevé. J’aurais bien aimé accomplir dans mon club, le CSHL, un projet où j’aurais accompagné les mêmes joueurs à partir de la première année minimes jusqu’aux juniors. Formateur dans l’âme, j’ai travaillé avec les minimes du CSHL, aidant à l’éclosion de six ou sept joueurs qui allaient percer avec les seniors : Noureddine Aouiriri, Lotfi Guizani, Zallahi, Khiari, Kamel Seddik, Jomni, Imed Maâouia. Au Club Africain, j’ai participé à la formation de Lotfi Rouissi, Sami Touati, Sami Boukhris, un très bon gaucher qui a été contraint d’abréger sa carrière suite à une blessure à l’œil…

En quoi le football a-t-il changé ?

Jadis, nous portions beaucoup plus rapidement le danger dans le camp adverse. Il y avait davantage d’espaces, de tirs au but et un jeu de tête plus costaud. Les gardiens étaient très sollicités à telle enseigne qu’ils ne trouvaient pas le temps de respirer. A présent, la circulation de la balle est exaspérante et ennuyeuse.

Quels sont vos hobbies ?

Avant, c’était un footing avec Saâd et Slaoui, et le cinéma, car j’aime regarder un film policier.  A présent, c’est le foot et la famille. Mes petits-enfants me procurent un grand bonheur.

Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de la Tunisie ?

Le laisser-aller a pris des proportions alarmantes, les valeurs n’ont plus cours. Ce qu’il nous faut, c’est la sévérité, la rigueur et la discipline. Les phases post-révolution sont partout pénibles et mettent un temps fou pour voir un pays se remettre sur les rails. Il ne faut pas pour autant perdre son optimisme. Rappelez-vous ce que disait le leader britannique Winston Churchill surnommé «Le Vieux Lion» : «Le succès n’est pas final, l’échec n’est pas fatal: c’est le courage de continuer qui compte».

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