Réforme du système de compensation | Mohsen Hassen, ancien ministre du Commerce :“Eviter la suppression brutale des subventions.”

En signant l’accord-cadre sur la réforme de sept  entreprises publiques, l’Ugtt a donné son feu vert pour entamer les grands chantiers de réforme, y compris la révision du mécanisme de compensation. Le système de subvention généralisé vit, semble-t-il, ses derniers jours. Le passage vers les subventions ciblées est désormais inévitable. Une transition qui devrait, selon l’ancien ministre du Commerce Mohsen Hassen, se faire en douceur et avec beaucoup de rigueur pour éviter les couacs et obvier à la montée des tensions sociales.

“Le déficit budgétaire de l’année dernière était de 11%. Cette année, on prévoit aussi un déficit assez élevé. Avec toutes ces difficultés de financement, il est inadmissible de continuer à subventionner les produits alimentaires de base  de la même façon. Réformer le système de compensation signifie réduire le gaspillage et le dérapage budgétaire”, souligne  l’ancien ministre du Commerce. Interrogé sur le timing de la mise en œuvre de la refonte du système de compensation des produits alimentaires, M. Hassen explique qu’étant instauré depuis les années 70 comme étant  un complément de revenu pour les familles nécessiteuses, le mécanisme actuel commençait à connaître, depuis les années 2000, des dérapages énormes avec des dépenses qui n’ont cessé d’augmenter.

Dépenses faramineuses et gaspillage énorme

“ En 2010, le budget de compensation était de l’ordre de 1,5 milliard de dinars, en 2021 il s’est établi à 3,4 milliards de dinars répartis, comme suit: 2,4 milliards de dinars pour la subvention des produits alimentaires de première nécessité, 400 millions de dinars pour la subvention des hydrocarbures et 600 millions de dinars pour la subvention du transport. Les dépenses de la Caisse générale de compensation et des subventions deviennent hors norme, insoutenables et pèsent énormément sur le budget de l’Etat. A titre d’exemple,  le prix de la baguette de pain est subventionné à hauteur de 38,9%. Pour la semoule et l’huile végétale, la subvention s’élève respectivement à 55,9% et 58,8% des prix réels. Toutes les données confirment les dérapages successifs. De surcroît, la subvention des produits alimentaires censée bénéficier aux plus pauvres et les démunis profite également aux touristes, diplomates, expatriés, investisseurs étrangers. J’estime que seulement 20% à 30% des montants alloués aux subventions bénéficient, réellement, aux classes sociales nécessiteuses”, affirme-t-il.  M. Hassen ajoute, à cet égard, que plusieurs produits alimentaires de première nécessité, tels que la semoule et l’huile végétale, font l’objet du commerce de contrebande et bénéficient d’une manière illégale aux  restaurateurs, hôteliers et même agriculteurs, qui s’en  servent  pour nourrir leurs bétails.  “Continuer sur cette tendance, continuer avec le même système de compensation est un choix risqué, qui fait encourir de graves risques financiers et budgétaires au pays”, constate-t-il.

Digitaliser les circuits de distribution

Evoquant les mesures qui ont été prises auparavant, dans le cadre de la réforme du système de compensation, l’ancien ministre du Commerce explique que  des avancées ont été, en effet, réalisées en la matière. Il s’agit du mécanisme d’ajustement des prix des hydrocarbures à la pompe et le projet de digitalisation des circuits de distribution des produits subventionnés. “La digitalisation des circuits de distribution des produits subventionnés qui a été entamée en 2016, lorsque j’étais ministre du Commerce (mais qui a été suspendue après), est un outil efficace qui permet d’assurer la traçabilité des produits subventionnés. L’actuel ministre est en train de faire des avancées très intéressantes à ce niveau, et c’est un moyen de rationaliser la compensation et de lutter contre la contrebande”, précise M. Hassen. Et d’ajouter : “L’accord-cadre qui a été signé dernièrement entre le gouvernement Mechichi et l’Ugtt est, à mon sens, la meilleure voie pour amorcer la réforme. Il faut que la paix sociale soit une priorité. Donc, le fait de s’associer avec les organisations nationales, notamment l’Ugtt, est la meilleure voie pour assurer la paix sociale”. Par ailleurs, M. Hassen explique qu’il y a des préalables qu’il faut prendre en considération avant d’entamer toute réforme. Tout d’abord, il précise que les partenaires sociaux, les partis politiques, la société civile, ainsi que l’opinion publique doivent s’approprier ce changement et pousser à sa mise en œuvre.  La deuxième condition est de prévoir des mesures d’accompagnement adaptées, compte tenu, notamment  de la crise sociale qui sévit actuellement. La mise à niveau des circuits de distribution et la modernisation des systèmes de contrôle économique sont également des préalables préconisées par l’ancien ministre. “Il est indispensable aujourd’hui d’entamer un programme de mise à niveau des circuits de distribution, en partenariat avec les autorités locales et  régionales et les départements concernés. Pareil pour  le système de contrôle économique. Avec quelques centaines d’agents de contrôle au niveau du ministère du Commerce, on ne peut rien faire. J’ai proposé de créer un corps indépendant de contrôle économique, sous forme d’office, dont la mission est de lutter contre la contrebande et de contrôler les circuits de distribution.  Il faut doter ce corps des moyens humains et financiers nécessaires, afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle”, indique-t-il.

Progressivité et passage en douceur

L’ancien ministre du Commerce met, en outre, l’accent sur la nécessité de s’inspirer des expériences internationales réussies, notamment indonésienne, marocaine, indienne et mexicaine.

“A mon sens, l’expérience mexicaine présente beaucoup de similarités avec le cas tunisien. Le programme de subvention mexicain n’était pas efficace, il souffrait pratiquement des mêmes problèmes que le nôtre. Le gouvernement mexicain a mis en place un programme ciblé de transfert conditionnel monétaire qui a permis à l’Etat d’économiser plus de 30% du budget consacré aux subventions. L’expérience iranienne, en matière d’hydrocarbure,est aussi un modèle à étudier en vue de trouver et choisir la meilleure stratégie de réforme, de notre système de compensation”, affirme-t-il. Et d’ajouter : “Compte tenu de la situation sociale actuelle du pays, mais aussi des recommandations des institutions financières internationales, consistant à réviser le système de subvention généralisé, voire le supprimer et le remplacer par un système  basant sur la réalité des prix, je pense que la réforme du système de compensation devrait être réalisée d’une manière progressive.

En premier lieu, il faut établir une campagne nationale  de sensibilisation pour conscientiser les gens sur les limites et les défaillances du système actuel. Les gens ne sont pas conscients du gaspillage qui en découle. Il faut bien mettre l’accent sur l’impact budgétaire de cette réforme qui vise la rationalité. Il faut dire aux gens qu’on ne va pas supprimer la subvention mais on va changer le mode de subvention, pour passer vers un transfert monétaire”. A cet égard, M. Hassen précise qu’il est indispensable de rassurer l’opinion publique autour de la mise en place progressive  du nouveau système et qu’il faut éviter de se hasarder à annoncer la suppression brutale des subventions.

Parachever la base de données des personnes nécessiteuses

Revenant sur la question des transferts sociaux, qui ont été effectués lors du confinement général, décidé en 2020 au profit des couches sociales vulnérables, l’ancien ministre du Commerce souligne qu’il s’agit d’une expérience réussie sur laquelle il faut capitaliser pour parachever la base de données des familles nécessiteuses. “ Lors du confinement général, les transferts sociaux ont été réalisés via la monétique.  C’est une avancée importante. Il faut rappeler, dans ce contexte, que la semaine dernière, la BCT a octroyé l’agrément pour une société de mobile paiement.

Cela  va permettre d’effectuer les transferts monétaires. D’un autre côté, il y a des progrès importants qui ont été réalisés au niveau du système de l’identifiant unique et  de la digitalisation des transferts sociaux. Aujourd’hui, on a des acquis”, note-t-il. Il estime que pour éviter tout nouveau dérapage, il est judicieux d’opter pour les transferts sociaux conditionnés, notamment, par des exigences, comme la scolarisation des enfants. Il conclut: “ Ce que demande le FMI ou la BM n’est pas vraiment la suppression de la subvention, mais plutôt  un passage tranquille graduel, progressif, d’un système de compensation généralisé, vers un autre se basant sur  la réalité des prix.

On a un problème de communication énorme au niveau du gouvernement, mais aussi au niveau de la société civile. Il faut se rappeler de ce qui s’est passé en 1984. On ne peut pas résoudre les dérapages d’un demi-siècle en une seule fois”.

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