Soupçons de dépassements et de favoritisme entachant la campagne de vaccination contre le coronavirus: Pour une équité vaccinale !  

Partant de l’hypothèse qu’une vaccination généralisée de la population contre le coronavirus n’est pas possible immédiatement, l’ordre de priorité fixé en Tunisie tient compte de l’effet sur le risque de complications et de mortalité par tranche d’âge, ainsi que sur le besoin de maintien des activités sanitaires et autres activités essentielles. Cependant, cette échelle de priorisation est aujourd’hui au cœur du débat et des critiques en raison de soupçons de dépassements et de favoritisme.

La stratégie de vaccination contre le coronavirus posait, dès le départ, problème. Si la Tunisie, à l’instar de plusieurs autres pays, a procédé par priorisation des catégories vulnérables, l’application des règles fixées était, et l’est toujours, au cœur des critiques. C’est notamment l’ONG I Watch qui, dès le début de la campagne nationale de vaccination contre le coronavirus, ne cessait d’alerter contre des dépassements et des soupçons de corruption au niveau de la vaccination de certaines personnes, dans des cas confirmés par le ministère de la Santé qui avait ouvert une enquête restée sans suites.

C’est dans ce contexte qu’une autre polémique a éclaté alors que la campagne de vaccination est toujours à la traîne. Pour certains, il s’agit même d’un scandale dans la mesure où plusieurs personnes vulnérables ou hautement exposées aux risques de contamination attendent toujours leur tour pour se faire vacciner. En effet, plusieurs associations et ONG, comme I Watch et Al Bawsala, ont révélé que de nombreux membres du gouvernement, des députés, et des responsables de l’Etat ont reçu les premières doses de vaccin contre le coronavirus, ce qui fait fi de l’échelle de priorisation fixée pour mener à bien la campagne nationale de vaccination.

Face à la polémique, le conseiller du Chef du gouvernement chargé du secteur de l’information, Mofdi Mseddi, a réagi confirmant que «l’ensemble des membres du gouvernement, ministres et responsables, a été vacciné», mais tout en respectant l’échelle de priorités. «Le processus a été effectué de manière transparente conformément au programme national de vaccination décidé par le ministère de la Santé», a-t-il précisé.

Il a rappelé que les membres du gouvernement et les conseillers sont des parties prioritaires dont la vaccination était préprogrammée après celle du cadre médical et paramédical, et il n’y a aucune violation à ce sujet.

Des déclarations qui ont été confirmées par Hechmi Louzir, président du comité de pilotage de la campagne de vaccination anti-Covid-19, qui a également expliqué que les membres du gouvernement sont inscrits sur la liste des personnes prioritaires pour la vaccination contre le nouveau coronavirus. «Les membres du gouvernement viennent à la troisième place dans le classement des catégories prioritaires après les professionnels de santé et les personnes âgées», a-t-il souligné.

Il a précisé que la vaccination des ministres et des hauts-fonctionnaires d’État s’inscrit dans le droit fil de cette stratégie qui cible en priorité le personnel des secteurs vitaux, citant, à titre d’exemple, le corps sécuritaire et militaire.

Sauf que selon la stratégie nationale de vaccination disponible sur le site du ministère de la Santé, la troisième catégorie évoquée par Hechmi Louzir concerne les «Professionnels des services essentiels», une catégorie qui reste ouverte à toutes les interprétations. Peut-on qualifier les ministres et les responsables gouvernementaux comme «professionnels des services essentiels» ? Dans ce sens, le cadre enseignant, les employés des municipalités et des autres services de l’administration, le personnel du secteur financier et de la Poste, les journalistes, le personnel du tourisme, les agents municipaux… devraient faire également partie de cette catégorie.

Favoritisme au profit d’une députée ?

Les éclaircissements n’ont pas fait taire la polémique. Dans un communiqué rendu public, I Watch révèle qu’une députée du mouvement Ennahdha a reçu le vaccin contre le coronavirus sans qu’elle ne figure sur la liste des personnes prioritaires. « Arwa Ben Abbès, députée du mouvement Ennahdha, a bénéficié de la première dose du vaccin contre le coronavirus, en dépit du fait qu’elle ne fait partie ni des cadres médicaux et paramédicaux ni des personnes âgées », indique I Watch dans son communiqué. I Watch ajoute que l’élue, dont l’amie ayant facilité sa vaccination a été limogée, a tenté en vain de recevoir sa deuxième dose du vaccin avant le déclenchement de cette polémique.

Ces informations ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux mais aussi dans la classe politique. D’ailleurs, plusieurs voix commencent à crier au scandale d’Etat. Le secrétaire général du Mouvement Echaab et député du Bloc démocratique, Zouhair Maghzaoui, a critiqué, dans ce sens, les membres du gouvernement pour avoir été vaccinés contre le coronavirus. Maghzaoui affirme même disposer d’informations qui laissent croire que « 60 mille citoyens nécessitant une vaccination ont été retirés de la liste et que les membres du gouvernement, leurs beaux-parents et leurs familles ont été vaccinés à leurs places ».

Pour sa part, le député Yassine Ayari a rappelé avoir mis en garde contre le non-respect de l’échelle de priorité dans la stratégie de vaccination. « La stratégie de vaccination du ministère de la Santé n’est qu’une manière polie pour vous dire que votre vie n’a pas d’importance et que les vaccins seront administrés à des personnes plus importantes que vous », a-t-il écrit.

Idem pour le député et chef de la commission parlementaire de la Réforme administrative, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, Baderddine Gammoudi, qui qualifie cette affaire de scandale d’Etat appelant même à la chute du gouvernement. 

Le nombre total de personnes ayant été vaccinées contre le coronavirus depuis le début de la campagne nationale de vaccination, le 13 mars dernier, a atteint 372.083 dont 13.337 vaccinées au 29 avril. 286.387 personnes ont reçu leur première dose de vaccin et 85.696 ont reçu la deuxième dose. 61,1% des personnes âgées de plus de 75 ans et inscrites sur la plateforme Evax ont reçu la première dose du vaccin contre le Covid-19 depuis le démarrage de la campagne nationale de vaccination. Par ailleurs, 41,5% des personnes âgées entre 60 et 75 ans, également inscrites sur la plateforme Evax, ont aussi reçu leur première dose du vaccin.

Par ailleurs, le nombre de personnes inscrites sur la plateforme Evax.tn s’élève à 1.423.367 à la date d’hier, vendredi 30 avril 2021 à 09h30.


Photo : Abdelfattah BELAID

Laisser un commentaire