L’acteur Riadh Hamdi à La Presse : «Il y a toujours quelque chose de magique dans un rôle réussi»

Acteur de théâtre, de télévision et de cinéma, Riadh Hamdi nous a aussi marqués par son interprétation très remarquée du personnage de Majid dans «Harga». Entretien.

Le feuilleton Harga, selon vous, doit son succès à son discours audacieux?

Oui, essentiellement puisque certains se demandent comment cette audace a pu passer à la télévision nationale. C’est une création qui porte un profond discours critique, mettant à nu une réalité sociale effrayante et qui pousse tout le monde à se remettre en question. D’autre part, je dirais que la force de «Harga» était sa capacité à allier la fiction et la réalité dans un très bon dosage.

Le jeu des acteurs y était aussi pour quelque chose. Était-ce difficile de porter le rôle de Majid ?

Ce n’était pas l’un de mes rôles les plus difficiles sincèrement. Je dirais que l’un des rôles les plus difficiles que j’ai eu à interpréter était au théâtre comme celui de «Zaz» dans «Khamsoun». Cela dit, le personnage de Majid dans «Harga» est un personnage tragique dans le sens grec du terme. C’est un personnage dont l’interprétation nécessite beaucoup de sensibilité et de prise de conscience de ce destin tragique, et il fallait communiquer cette douleur cuisante d’un père au public. Mais le personnage de Majid refuse de s’avouer et d’avouer qu’il a été trahi par son fils. Cela fait appel à d’autres mécanismes que l’acteur doit développer pour communiquer cette idée autrement. Ce sont des motivations internes inhérentes au personnage. Sur un autre plan, mon personnage dans «Harga» est un témoignage pour mes étudiants sur le thème de la construction d’un personnage et de la manière de l’interpréter. Mais je crois toujours qu’il y a toujours quelque chose de magique dans un rôle réussi.

Vous venez d’écrire et de mettre en scène une pièce de théâtre «L’Avocat du diable» où vous imaginez un possible retour en Tunisie de Lafif Lakhdar, penseur et philosophe tunisien.

C’est une pièce inspirée du parcours du penseur tunisien Lafif Lakhdhar qui vit à l’étranger. J’ai donc imaginé ce retour en Tunisie après sa décision de rompre totalement avec la Tunisie. Je suis parti de cette hypothèse qui n’est pas sans source puisqu’en 2012, la faculté du 9 avril a voulu l’inviter, lui rendre hommage et baptiser un département qui porte son nom. Mais un groupe de professeurs s’est opposé à cette initiative à l’époque. Ils ont évoqué son côté athée et qui est contre la religion de l’Islam. Je suis parti d’un article que Lafif Lakhdhar a publié et qui porte le titre «Euthanasie». Cet homme, qui a trop souffert du cancer et de la maladie de Parkinson, a fini par faire le choix de ce genre de suicide, l’Euthanasie, à l’âge de 78 ans. Cela m’a vraiment interpellé. L’idée de la pièce est que l’un de ces professeurs a créé une Association qui porte le nom de «Partisans de l’esprit» qui invite «Takyou Allah al Mokrizi» pour donner une conférence sur les raisons de la décadence de l’esprit arabo-musulman. C’est ainsi que démarre la pièce.

On croit savoir qu’il n’y a eu qu’une avant-première au Kef puis le cycle s’est arrêté. Pour quelles raisons ?

Parce que le sujet de la pièce a créé un conflit entre certains acteurs qui ont trouvé que les propos étaient très durs et très forts. Certains d’entre eux m’ont dit que j’étais en train de diaboliser les islamistes . Et pourtant l’un de ces acteurs incarne le rôle de Takyou Allah Al Mokrizi. Puis, par appréhension, ils n’ont pas voulu présenter le spectacle au Kef. Tout s’est arrêté ensuite après une représentation au 4e art. Je me suis retiré de ce groupe. Et puis la direction du théâtre a décidé de ne pas nous accorder des spectacles subventionnés. C’est aussi une manière détournée de freiner le spectacle. J’étais également choqué de voir des gens cultivés qui produisent un discours qui milite contre la médiocrité et l’absurdité du système mais, en leur for intérieur, ils pensent le contraire pour la simple raison qu’ils trouvent leur intérêt dans le système…

Pensez-vous que la figure de l’homme de culture est en pleine déliquescence surtout après la Révolution?

Je pense qu’il n’y a pas eu malheureusement une passation entre la génération des années 70 avec leur conscience politique et sociale, avec leur profond back ground et leur formation solide et les générations qui ont suivie. Il y a eu une rupture énorme. D’autre part il y a ceux qui se sont «transformés» face à la puissante dictature que vivait la Tunisie.

Même après la dictature et avec la liberté d’expression acquise, nous n’avons pas vu des «foudres de guerre» sur le plan culturel….

Après les années de la dictature, ceux qui ont pris le pouvoir n’avaient aucune relation avec le fait culturel et aucune idée sur la manière de créer un fondement qui donne à la culture un rayonnement et un rôle social, identitaire et économique à jouer. Ces nouveaux décideurs ne croient tout simplement à rien ni à l’État, ni à la culture, ni aux institutions. Cette question est profondément liée aux décisions politiques… C’est pour cela que lorsqu’une création originale touchante voit le jour, cela est considéré aujourd’hui comme un miracle.

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