Tribune | Les exigences de la culture

Par Mohamed KOUKA

Quels rapports peut-il y avoir entre culture et tourisme ?

Le mot tourisme désigne le fait de voyager à des fins de loisir, pour le plaisir, hors des lieux habituels de vie, en quête de dépaysement, de distraction pour changer d’air et d’y passer un moment limité. Cependant, il est devenu un des secteurs essentiels de l’activité économique de nombreux pays, la Tunisie en fait partie. Le tourisme mobilise aujourd’hui d’énormes capitaux dans des domaines aussi variés que l’hôtellerie, le transport, l’hébergement, l’agro-industrie, les services où son incidence économique est telle qu’il s’impose désormais comme un secteur stratégique à part entière, comme moteur de développement, que la corruption et le blanchiment d’argent n’épargnent malheureusement pas…

Mais la culture ?

La culture au sens ontologique recouvre tout ce par quoi l’existence humaine apparaît comme s’élevant au-dessus de la pure animalité, et plus généralement au-dessus de la simple nature. La culture n’est ni un luxe ni un gadget. Élément essentiel du développement de la personne, ses formes d’expression offrent un autre regard tant sur le monde que sur soi-même. S’enquérir et apprendre, telle est la fonction de la culture. Apprendre est la capacité de penser clairement, sainement et sans illusion, c’est se fonder sur des faits et non sur des croyances et des idéologies. Libérer l’homme de l’emprise des superstitions et des préjugés mortifères afin de lui donner les moyens de maîtriser son destin par l’exercice de la raison en favorisant la formation de la faculté critique, le jugement. L’homme n’est pas né libre, il est né pour se libérer (Hegel) grâce à la culture. 

Et quelle est la fonction de l’art alors ?

Le but de l’art, outil culturel par excellence, est aussi de se battre contre l’ignorance ambiante, contre la bêtise de la société…Le but de l’art n’est pas la fuite éperdue dans l’illusion et le fictif…  La question de fond est de savoir quel rapport l’art entretient-il avec la réalité, s’il est de son essence de chercher à la montrer sous un autre jour, ou si, peut-être, l’art cherche à agrandir notre perception du réel. L’art doit-il nous détourner de la réalité sachant qu’il est essentiellement une participation déterminante à la signification du monde?  Nous vivons dans un monde de lutte, de rivalité, de violence où l’art s’assume comme exercice parfois désespéré de lucidité. Il faut reconnaître à l’art une puissance d’éveil de notre sensibilité, il n’est certainement pas fait seulement pour nous procurer des illusions et une évasion hors du réel. Lisons André Malraux, philosophe et ministre français de la Culture sous le général De Gaulle au milieu du siècle dernier : « Je dis que «la culture» est une aventure dans  le domaine de l’esprit parce qu’il faut que l’on comprenne bien que le mot loisir devait disparaître de notre vocabulaire commun. Oui, il faut que les gens aient des loisirs. Oui, il faut les aider à avoir les meilleurs loisirs du monde. Mais si la culture existe, ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent, parce qu’ils peuvent aussi s’amuser et peut-être bien davantage avec tout autre chose et même avec le pire… Et ce qu’on appelle la culture, c’est l’ensemble des réponses mystérieuses que peut faire un homme lorsqu’il regarde dans une glace ce que sera son visage de mort ». Dois-je rappeler que feu Chedli Klibi s’était beaucoup inspiré de la politique d’animation culturelle de Malraux, avec la fondation des maisons de jeunes,  des maisons du peuple (dour echchaâb) instituant ainsi une décentralisation tous azimuts, y compris dramatique. 

Depuis cinq siècles avant l’ère commune, la condition humaine pose plus que jamais problème. Le Sphynx n’a pas fini de nous questionner, l’art sert à historiciser le drame humain… Dans l’œuvre d’art se rassemblent tout à la fois la sensibilité la plus haute et l’intelligence la plus déliée, ce qui, présentement, nous manque cruellement ! Le présent aussi bien que l’avenir de l’action culturelle, le déploiement de la culture est tributaire de l’engagement fort de l’Etat. Il y a un moment déjà, on pouvait lire dans une publication de «Libre-Echange» ceci de Pierre Bourdieu : «Nous devons attendre (et même exiger) de l’Etat les instruments de la liberté à l’égard des pouvoirs économiques, mais aussi politiques, c’est-à-dire à l’égard de l’Etat lui-même. Lorsque l’Etat se met à penser et à agir dans la logique de la rentabilité et du profit en matière d’hôpitaux, d’écoles, de radios, de télévision, de musées ou de laboratoires, ce sont les conquêtes les plus hautes de l’humanité qui sont menacées : tout ce qui ressort à l’ordre de l’universel, c’est-à-dire de l’intérêt général, dont l’Etat, qu’on le veuille ou non, est le garant officiel.

La culture n’est ni un luxe ni un gadget. Élément essentiel du développement aussi bien de la personne que de la société bien évidemment. Les formes d’expression de la culture nous rendent libres en offrant un autre regard émancipé tant sur le monde que sur soi-même… «La culture est l’héritage de la noblesse du monde», dixit André Malraux.   

On aurait mieux fait d’associer le ministère de la Culture à celui de l’Education. Ma foi, cela tombe sous le sens.

M.K.

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