Selon Mustapha El Haddad, expert en énergie, le secteur de distribution des produits pétroliers sera impacté par le développement de l’électrification du parc de véhicules et le recours aux énergies renouvelables. Il recommande la mise en place d’une feuille de route qui vise à préparer le secteur aux transformations à venir.
Intervenant dans le cadre de la 6e édition du Forum de la gouvernance, qui s’est tenue récemment à la Maison de l’entreprise et qui a abordé cette année le thème de la distribution dans le secteur de l’énergie, Mustapha El Haddad, consultant en énergie, a dressé un état des lieux du marché des produits pétroliers en Tunisie.
Le gasoil ordinaire est le principal produit pétrolier consommé
Évoquant le mode de fonctionnement du marché, le panéliste a rappelé que, selon les réglementations en vigueur, la Stir détient le monopole des importations et l’exclusivité des ventes aux distributeurs des produits pétroliers. Si le marché tunisien est partagé entre cinq sociétés de distribution, des opérateurs de renom se sont retirés au cours des dernières décennies, a-t-il précisé. Il a ajouté que la société étatique, Sndp, détient 40% du marché domestique. Elle souffre cependant d’une sévère dégradation de son compte clients. Chiffres et graphiques à l’appui, M. Haddad a mis l’accent sur les tendances de consommation des produits pétroliers, mais aussi sur le coût de leur subvention. Les statistiques de 2019 montrent que les produits pétroliers ont représenté 44% de la consommation d’énergie primaire et 60% de la consommation d’énergie finale. Le gasoil ordinaire, qui représente près de la moitié des produits pétroliers consommés, constitue le principal produit demandé sur le marché. Après un ralentissement de la consommation du gasoil qui a été observé entre 2000 et 2010, la demande du gasoil a connu depuis 2011 une forte fluctuation qui serait probablement due à la prolifération de la contrebande dans le secteur, a expliqué l’expert.
Le déficit commercial des produits
pétroliers s’aggrave
Il a ajouté que les importations de produits pétroliers ont particulièrement détérioré la balance du commerce extérieur du pays. Il a souligné, qu’au cours des deux dernières décennies, le marché tunisien des produits pétroliers a été impacté par le développement du gaz naturel et par les ventes illicites de carburants alimentées par la contrebande. Le marché risque d’être fragilisé à l’avenir, par l’électrification du parc des véhicules de transport et par le développement des énergies renouvelables. L’analyse de l’évolution de la consommation par groupe de produits révèle une tendance à la hausse de la consommation du GPL et de l’essence, contre une chute de la consommation du fuel qui est substitué par le gaz pour la production de l’électricité et par le coke de pétrole dans les cimenteries.
Les secteurs du transport et de l’industrie sont les principaux consommateurs de produits pétroliers. Faisant une analyse de l’évolution du solde de la balance commerciale des produits pétroliers, M. Haddad a fait savoir que le déficit commercial des produits pétroliers s’est accéléré au fil des années. Depuis 2005, il a connu de fortes fluctuations, dues à plusieurs raisons, notamment, l’augmentation de la consommation, la baisse de la production la dépréciation du dinar, les fluctuations à l’échelle mondiale du prix du baril et la prolifération de la contrebande.
L’inefficience de la subvention
S’agissant de la tarification, le consultant en énergie a fait savoir que l’administration des prix des produits pétroliers dans le détail (depuis leur reprise en raffinerie jusqu’à la vente au consommateur final) ne favorise pas une saine émulation entre les opérateurs. “La structure des prix des produits pétroliers comprend une double distorsion : celle de la subvention du prix de reprise par les distributeurs et celle des taxes, dont les niveaux varient sensiblement selon les produits. Ces distorsions contribuent au détournement des produits de leurs utilisations optimales tout en pénalisant la mise en valeur d’autres ressources énergétiques”, a-t-il précisé.
Au sujet de la subvention, M. Haddad a fait savoir qu’elle a atteint des niveaux records au cours de cette période (2,5 milliards de dinars en 2018). Le gasoil ordinaire et le GPL domestique sont les principaux produits subventionnés. Ils représentent les deux tiers de la subvention des produits pétroliers. “ Comme démontré par l’étude Esmap de 2008, la subvention de l’énergie n’est pas en faveur de l’économie et n’incite pas à l’utilisation rationnelle des ressources”, a-t-il indiqué. Il a ajouté que depuis la fin des années 90, des organisations nationales et des institutions internationales n’ont cessé de signaler les effets néfastes de la subvention sur les comptes de la Nation et appellent à une utilisation optimale des ressources. Pour mettre l’accent sur l’inefficience de la subvention des produits pétroliers, le consultant en énergie a affirmé que le bilan [taxes–subventions] a été souvent négatif et que seule l’essence dégage régulièrement un bilan positif. Levée progressive de la subvention, libéralisation du commerce des produits pétroliers, amélioration de la gouvernance des entreprises publiques… autant de recommandations pour pérenniser le secteur.M. Haddad a conclu son intervention par un ensemble de recommandations qui visent à instaurer une meilleure gouvernance du secteur de distribution des produits pétroliers. Selon le consultant en énergie, plusieurs mesures doivent être mises en place pour améliorer la gouvernance dans le secteur de l’énergie, notamment des produits pétroliers. Il estime, dans ce sens, que la libéralisation du commerce des produits pétroliers ayant peu d’impact sur les catégories sociales les plus fragiles peut booster le marché des produits pétroliers. Il a également recommandé d’autoriser l’import aux distributeurs, et ce, dans le cadre d’un cahier des charges conforme aux standards internationaux.
La levée progressive de la subvention du gasoil ordinaire, du GPL domestique et du pétrole lampant à usage domestique et l’amélioration de la gouvernance des entreprises à participation publique dans le sens des propositions du Centre tunisien de gouvernance d’entreprise et du Haut comité du contrôle administratif et financier sont également des pistes de réformes préconisées par l’expert. Enfin, la mise en place d’une feuille de route pour préparer le secteur de distribution des produits pétroliers au développement de l’électrification du parc de véhicules et au recours aux énergies renouvelables et la lutte contre le commerce illicite des produits pétroliers de contrebande à travers la mise en application de la loi relative à la sécurité des installations et la qualité des produits sont, également, des mesures qui ont été proposées afin de préserver la pérennité du marché des produits pétroliers.