Dans ce recueil au titre évocatoire «Siraj Al-Qalb» (La lumière du cœur), la poète tunisienne Nefissa Triki, qui n’est pas une inconnue dans le domaine de la création poétique et qui a à son actif d’autres livres de poèmes, semble faire de la poésie une arme fabuleuse pour traquer les maux et les brisures, essayer de les écarter et atteindre à la paix intérieure et à l’épanouissement de l’être.
En effet, dès le texte inaugural intitulé paradoxalement «Blâme de la poésie», Nefissa Triki décrit, dans un langage plutôt transparent, sa relation organique, dermique, à la poésie qui est pour elle l’air qu’elle respire à pleins poumons et la voie d’ombre et de lumière sur laquelle elle marche les yeux fermés, comme l’envoûté avance vers le feu qui le transformerait en braises et cendres. A corps perdu, Nefissa Triki se jette dans la marée haute des mots et des images. On la voit qui s’y noie et s’y perd, mais c’est pour mieux remonter à la surface, pour mieux se retrouver, respirer et vivre. C’est très étonnant et très touchant à la fois ! Sur plusieurs pages entières, elle évoque des douleurs, des déceptions et des brûlures. Elle en fait un fleuve de phrases qui, dans son flux impétueux, charrie même les marques pausales (la ponctuation volontairement effacée) et arrache le lecteur à lui-même.
Mais, au sortir de ces poèmes endeuillés, blessés, révoltés, on a le sentiment que notre poète s’en tire à bon compte, dégagée et libre de ses maux et ses angoisses, libre de son mal-être et de l’insoutenable médiocrité du réel.
Cette poésie toute captivante de Nefissa Triki est sans doute un bel exutoire, un exorcisme des plus forts et des plus efficaces, une thérapeutique de l’esprit et du corps. C’est une verte contrée de sensibilité à fleur de peau, de délicatesse, de vibrations de vie. Les noirs sentiments qui apparaissent à travers les vers profus et redondants n’empêchent pas l’âme de vibrer très fort dans ces poèmes et ne l’empêchent point de les habiter comme le visage de notre poète habite son recueil, page par page, et va même jusqu’à apparaître sous forme de gouttes de sang, le sien propre (page 4), sur la couverture, dans l’illustration qui annonce ce cœur éclaté au fond d’un encrier, sous une plume bien aiguisée, richement inspirée, qui a su conduire le mal jusqu’à sa perte, c’est-à-dire jusqu’à cette création verbale qui est dépassement, délivrance et réconciliation avec l’espérance.
Dans ce joyeux «Siraj Al-Qalb», il y a des lumières qui jaillissent des interstices de la nuit, des arbres fruitiers, des parfums, des fleurs et beaucoup d’eau. Les adeptes des lectures psychanalytiques auxquelles nous ne nous sommes pas bien habilités, trouveraient ici un être qui se cherche dans son propre «Moi» en se débattant contre la désespérante misère de l’existence.
Mais au-delà de cela, il y a ces vers heureux, lumineux, souvent courts et pleins d’énergie, bien rythmés et musicalisés et où les images langagières, les tropes multiples, viennent en foule qui légitiment cette poésie et justifient sa parution éditoriale très bienvenue.
Nefissa Triki est professeur d’arabe et membre de l’«Association des écrivains tunisiens». Elle a publié, outre ce recueil de poèmes, différents livres dont «Raâd» (Tonnerre), en 1997 et «Oussaret el ibara» (La quintessence de l’expression), en 2017.
Nefissa Triki, Siraj Al-Qalb, Sousse, Dar-el-Maâref, 2003. 207 pages.