Ferjani Derouiche a dû attendre pratiquement la dernière rencontre d’une longue carrière (de 1964 à 1977) pour remporter une finale de coupe de Tunisie, 3-0 face au CS Sfaxien après quatre essais improductifs: 1965 contre le CA 0-0 et 2-1, 1966 contre le ST 1-0, 1970 contre le CA 0-0 AP, 0-0 AP et 5 corners à 3, et 1973 contre le CA 1-0.
L’ancien keeper remplaçant de la sélection nationale a vu son chemin barré par un dinosaure, l’immense Attouga. Depuis sa retraite, il a consacré tout son temps au métier fort exaltant d’entraîneur des gardiens, à Nadi Ettaâwon, en Arabie Saoudite, à l’ASM, puis à l’EST depuis 1995.
Ferjani Derouiche, revenons tout d’abord à plus d’un demi-siècle en arrière. Comment êtes-vous venu au football ?
Par le moyen le plus simple, les matches du quartier. A Houmet Lahouech de la Marsa, je jouais tout jeune avec Tahar Aniba, Ali Selmi, Chedly Ben Dadi, Mouldi Mazghouni… Nous avons été admis à l’Avenir Musulman (l’appellation de l’époque de l’Avenir Sportif de La Marsa). Les recruteurs avaient pour noms Omar Ghadhoum, El Beji Bouachir, Abdelkader «Fakarett». J’ai signé en 1959 une licence minimes, je jouais attaquant. Un jour, le gardien s’est absenté. Notre entraîneur Ghadhoum lance soudain : «J’ai trouvé mon gardien, ce sera Ferjani !». Cela n’empêche que le côté ludique, de plaisir, prédominait. Dans les matches considérés faciles, il m’alignait ailier droit. J’ai aussi été ramasseur de balle lors de la finale de la coupe de Tunisie 1960 ST-ESS (2-0). C’était la récompense offerte aux lauréats du concours du Jeune footballeur. J’y ai terminé une fois 7e, une autre fois 9e.
L’Avenir passait en votre temps pour un grand spécialiste de la coupe. Vous-même avez disputé cinq finales, dont une seule victorieuse où vous étiez pour la première fois remplaçant. N’est-ce pas le comble de la malchance ?
On ne peut pas dire le contraire. Il nous arriva même de perdre une coupe aux corners, devant le CA en 1970. Pourtant, en 1965, j’ai joué la première édition devant le Club Africain, et on a fait (0-0). Dans la 2e édition, Kechiche a été aligné et nous avons été battus (2-1). Car il faut rappeler qu’en débarquant parmi les seniors, j’ai pris la relève de Kechiche et de Salah Farhat. Notre entraîneur, dans cette double confrontation de 1965, était le Hongrois Sandor Pazmandy.
Le nom de Pazmandy colle à la stratégie du hors jeu piège dont l’ASM allait devenir un spécialiste, n’est-ce pas ?
Oui. Le Président Bourguiba nous a dit même un jour, lors de la présentation des joueurs avant une finale de coupe: «L’Avenir de La Marsa, encore une fois en finale ? Vous allez jouer comme d’habitude le hors jeu, non» ?
Quel est votre meilleur souvenir ?
Indiscutablement, la finale victorieuse du 25 juin 1977. Personne ne misait un sou sur notre succès tellement le Club Sfaxien grouillait de talents. Nous avons démenti les pronostics, nous imposant (3-0). Ce fut d’ailleurs mon dernier match. Y a-t-il plus beau couronnement d’une carrière de 17 ans, dont une dizaine avec les seniors ?
Et votre plus mauvais souvenir ?
En 1976 contre le Club Africain lorsque Ridha Boushih me blessa à la main. J’ai sur le coup envisagé de mettre un terme à ma carrière. J’ai dû attendre un peu, soit un premier sacre en coupe pour tirer ma révérence. Notre relégation en D2 alors que j’entraînais les gardiens de l’ASM (dont Khabir qui était titulaire) constitue un autre mauvais souvenir.
Votre meilleur match ?
Contre l’Etoile du Sahel à El Menzah. Quel spectacle ! Malgré le nul (0-0), tous les acteurs ont excellé.
Quelle était votre idole ?
Mahmoud Kanoun, le gardien de l’Etoile.
Quels furent vos entraîneurs ?
Omar Ghadhoum chez les jeunes. Pazmandy, Ahmed Belfoul et Taoufik Ben Othmane chez les seniors.
Les techniciens que vous appréciez le plus?
Pazmandy, Rado et Fabio.
Les crampons rangés, vous avez commencé par entraîner les portiers de l’Avenir…
J’ai entraîné Sofiène Khabir, Tahar Ferjaoui arrivé de Siliana, Naceur Bedoui, Mohamed Mhadhebi. Après l’aventure saoudienne en tant qu’assistant d’Ali Selmi, j’ai intégré les jeunes catégories de l’Espérance de Tunis d’où je n’étais plus presque jamais parti. Les Rami Jeridi, Moez Ben Cherifia, Sami Helal, Bilel Souissi… ont été encadrés par mes soins de la catégorie minimes jusqu’à celle juniors. Hamdi Kasraoui était cadet quand il débarqua de Kairouan. La chose la plus difficile consiste à former des jeunes. Un gardien doit travailler la coordination, la vivacité, la souplesse et la technique du pied. Un gardien qui ne sait pas jouer du pied ne peut pas aller loin. Le numéro Un du monde à ce poste, l’Allemand Manuel Neuer, est au fond un excellent joueur du pied. En cela, il ressemble à un libero.
Quel est le meilleur gardien de l’histoire
de notre foot ?
Attouga, sans conteste. Sa classe et son intelligence l’ont imposé durablement, ce qui eut pour conséquence de sacrifier beaucoup d’excellents portiers. En arrivant en sélection, nous avons trouvé les Mahmoud Kanoun, Khaled Gharbi…Notre génération a été marquée entre les bois par le quatuor Attouga, Abdallah, Tabka et moi-même. Vous savez, nous avons battu la grande équipe du Club Africain des Attouga, Jalloul, Abderrahamane, Klibi, Hamza… lors de la finale de la coupe de Tunisie juniors en 1964. L’ASM se composait alors des Selmi, Mazghouni, Aniba, Derouiche…
Quelles sont les qualités d’un bon gardien?
Il doit être grand de taille, vigilant, fourbe et un tantinet fou.
Pourquoi notre football ne produit-il plus de grands keepers ?
Cela tient aux entraîneurs des gardiens dans les jeunes catégories. Par mesure d’économie, on engage des gens qui ne sont pas de véritables spécialistes. A l’arrivée, la formation est quelconque.
A votre avis, quel est le meilleur footballeur tunisien de tous les temps ?
Tahar Chaïbi, mais aussi Tahar Aniba. Dans une autre génération, il y eut les Tarek, Akid, Agrebi…
Que vous a donné le football ?
L’amour des gens. Autrement, de notre temps, on ne gagnait pas de primes consistantes. Par exemple, pour la victoire en finale de coupe de Tunisie 1977, chacun des joueurs a eu droit à 150 dinars. Une fois, avant un match à Sfax, notre dirigeant Moncef Douagi m’a montré un billet de dix dinars. Il l’a coupé en deux, et m’en a donné la moitié en me disant: «Tu prendras l’autre moitié si vous gagnez le match du CSS». (rires).
Que représente l’ASM pour vous ?
Mon père et ma mère. Si vous voulez, mon père Chedly que je n’ai pu connaître car il était parti alors que ma mère Chérifa était encore enceinte, soit quelques mois avant ma venue au monde. Alors que j’étais encore très jeune, le dirigeant «sang et or» Ahmed Nachi m’a proposé un jour de rejoindre l’EST. Je lui ai répondu que je préférais rester à l’ASM qui est plus proche de chez moi. C’est dire que mon club, je ne pourrais jamais le remplacer ou le «trahir».
Avez-vous reçu des offres de l’étranger ?
Non, en notre temps, cela n’était pas très courant. Pourtant, j’ai passé trois mois à m’entraîner avec le FC Cologne, en Allemagne sur conseil de Hamadi Chiheb qui y évoluait. J’ai trouvé un rythme infernal, un autre niveau. C’était trop dur pour moi.
Que représente la famille pour vous ?
Le centre de mon existence. J’ai épousé en 1972 Neila Mahdaoui qui exerçait à la Cnss. Nous avons trois enfants: Lamia, conseillère aux affaires sociales, Adel, banquier au Canada et Ahmed.