«Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut surtout pas s’y prendre de manière violente…Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes», a écrit un jour le philosophe allemand Günther Anders.
Classée à la 120e place sur 142 pays par le «World Hppiness Report» qui vient de paraître, la Tunisie est loin d’être un endroit où il fait bon vivre. Son peuple n’est pas à l’abri des conséquences y afférentes.
Les psychiatres ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, faisant état d’une nette augmentation des cris de détresse psychique. Avec un taux d’inflation de près de 8%, un taux de pauvreté de près de 20%, un taux de chômage de 20% ou presque et une moyenne annuelle de près de 20 mille cas de divorce, le constat est on ne peut plus amer. Une chape de plomb fond sur la société. Pourtant, le spectacle, que continuent à nous livrer certains timoniers de la barque, ressemble à celui que livrent de petites bêtes qui se disputent sur une prune.
Un camaïeu de gris
Dans un pays pris à la gorge, on assiste encore à une politique-spectacle qui ressemble à un camaïeu de gris. On a affaire à une improvisation qui tue, à un capitalisme de plus en plus sauvage. Pis encore, ceux qui veulent tout traiter en cachette des citoyens veulent, qu’à partir de là, ces mêmes citoyens ne portent pas de jugements «faux» et n’interprètent pas de travers leur rendu clownesque.
Ce n’est là que le comble de la stupidité
Il est un fait : quand on aborde des thèmes aussi graves et complexes comme ceux de la santé, de l’économie et de l’éducation avec le mélo de la téléréalité et non avec la rigueur des économistes et la pertinence des sociologues, le résultat ne peut être qu’amplement décevant : la période de vaches maigres s’allonge et appauvrit les hommes sur tous les plans.
Aujourd’hui que tous les clignotants sont au rouge, aujourd’hui qu’il y a péril en la demeure dans l’acception la plus large du terme, il devient plus qu’impératif de comprendre de l’intérieur les ajustements en cours de la société tunisienne. «Qu’ils frisent le désespoir ou qu’ils s’ouvrent sur de réelles promesses», ces mêmes ajustements sont à déchiffrer avant qu’il ne soit tard.
D’ailleurs la hausse vertigineuse des crimes violents (à raison de 70%) et les chiffres précités, ce ne sont là que des indicateurs disant autant sur le chemin qu’a emprunté la Tunisie nouvelle.
Les dérives successives de Tunisiens désespérés, loin d’être des cas isolés comme le laissent entendre certains commentateurs, renseignent autant, non seulement sur la descente aux enfers d’une nation, mais aussi sur les banqueroutes multiformes affectant le pays et une grande partie de son peuple.
L’extrême pauvreté, l’appauvrissement des masses, le malheur ambiant, les cris de détresse, somme toute la déchéance sociale, seraient l’aboutissement logique de politiques à peu près identiques, pour plus d’une décade. Des politiques ressemblant à un camaïeu de gris. Une politique politicienne qui n’est que l’apanage de politicards qui s’égarent en cherchant des explications à des événements chaotiques, quand ils ne versent pas dans la paranoïa.
Chevauchée politique, cynisme aveugle…
L’ensauvagement des masses perçu dans les villes, les villages, les bourgades, les espaces publics et les vies fauchées à la fleur de l’âge sur les routes sont, à bien des égards, le couronnement d’élections régies par une synarchie financière et médiatique. C’est le résultat d’une pure chevauchée politique.
A l’origine du mal, on trouve également des médias qui matraquent en permanence des non-sujets, des journalistes corsetés dans un costume de craintes. Il y a aussi des Tunisiens faisant preuve d’un cynisme aveugle et irrationnel envers des sujets et des machines capables de modifier la conscience tout comme le font les drogues. Cela fait plus de dix ans que le théâtre d’ombres persiste. Cela fait des années que politique-spectacle et information-spectacle poursuivent leur absurde duo.
Certains analystes, économistes et journalistes ont souvent mis en garde contre une économie aux pulsions suicidaires. On a, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme quant au rassemblement des gens dans des bulles idéologiques. On a souvent répété, après Camus, que «toute vie dirigée vers l’argent est une mort». Pourtant, le spectacle continue du côté de médias qui ne font que matraquer en permanence des non-sujets. La Tunisie a, au demeurant, aujourd’hui et plus que jamais, besoin d’un vrai journalisme. Un journalisme qui a le devoir de dire la vérité aux Tunisiens, leurs vérités, s’il entend se situer à la hauteur des jugements de l’histoire.