L’actuel gouvernement, victime d’une conjoncture difficile, peine à concilier les exigences de la situation économique et les conditions que pose le FMI, d’une part, et l’inflexible position de la centrale syndicale et la grogne sociale, d’autre part. Résultat, la relation entre l’organisation syndicale et La Kasbah se détériore jour après jour.
Dès sa formation, l’automne dernier, la tension était déjà palpable entre le gouvernement Bouden et la centrale syndicale. Au rythme des déclarations parfois incendiaires, les Tunisiens ont remarqué que le fossé entre les deux parties ne cesse de se creuser, dans une phase politique et économique le moins qu’on puisse dire délicate. En cause, une situation sociale étouffante et des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) qui ne plaisent, visiblement pas, à l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt).
A vrai dire, la situation socioéconomique est grave, certains sociologues mettent en garde contre une explosion sociale imminente. Les prochaines réformes nationales, impliquant certainement une meilleure, mais douloureuse, gestion de la masse salariale et de la situation des entreprises publiques et de la compensation, enfoncent le clou. Les Tunisiens, estime l’Ugtt, ne sont plus en mesure de payer le prix des mauvais choix politiques cumulés depuis la révolution de 2011 et ne sont plus à même de faire des sacrifices pour sauver la situation économique. De ce fait, l’actuel gouvernement, victime de cette conjoncture certes, peine à concilier entre les exigences de la situation économique et les conditions que pose le FMI, d’une part, et l’inflexible position de la centrale syndicale et la grogne sociale, d’autre part. Résultat, la relation entre cette organisation nationale et La Kasbah se détériore jour après jour et on se dirige vers la confrontation.
Derrière tout cela, une relation également tendue entre l’Ugtt et le Président de la République, Kaïs Saïed, qui se penche actuellement sur l’organisation d’un dialogue national controversé et sur les réformes politiques qu’il juge nécessaires. Une démarche à laquelle s’oppose l’Ugtt. Pour elle, la Tunisie a plutôt besoin de consensus et d’implication des différentes parties dans la résolution de la crise, sur la base du changement du 25 juillet.
Néanmoins, le gouvernement s’apprête à aller droit dans ses bottes, jusqu’au bout des réformes économiques et budgétaires quel que soit le coût social. Le premier chantier n’est autre que la maîtrise de la masse salariale, qui passe par un nouveau gel des recrutements dans la fonction publique à des exceptions près. Aussi, il est question de bien dispatcher l’effectif de la fonction publique et du secteur public afin de combler certains vides et d’améliorer la productivité.
Déjà, le gouvernement se penche sur la préparation du budget de l’Etat pour 2023. Dans une récente circulaire, la Cheffe du gouvernement, Najla Bouden, fait plusieurs recommandations aux diverses parties prenantes, à cet égard. Il est tout d’abord question de maîtriser les charges salariales pour qu’elles soient baissées à un niveau logique par rapport au PIB, étant donné le fait que les dépenses salariales vont atteindre, cette année, 21,57 milliards de dinars soit 56% des ressources de l’Etat.
Cette circulaire recommande une batterie de mesures pour maîtriser les dépenses courantes, relatives notamment au paiement des salaires, des primes et des charges des employés. Ces mesures toucheront en premier lieu la limitation des recrutements à ceux indispensables et de nécessité absolue, avec une diminution progressive du nombre de diplômés des écoles de formation relevant des ministères de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice, de même que l’obligation de maîtriser les augmentations salariales. Cette circulaire gouvernementale insiste par ailleurs sur la non-compensation des postes venant à être vacants tout en s’efforçant de couvrir les besoins indispensables par un réemploi adéquat des ressources humaines à la disposition.
L’Ugtt montre ses griffes ?
Si la tension était déjà palpable entre les deux parties, l’Ugtt qui s’est dite à maintes reprises ouverte aux réformes, s’oppose aux mesures douloureuses qui peuvent porter atteinte aux droits sociaux et économiques des Tunisiens. C’est dans ce contexte que le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail, Noureddine Taboubi, a appelé la présidence de la République et le gouvernement à exposer aux Tunisiens la réalité de la situation en Tunisie.
Il a, dans ce sens, condamné le mutisme du gouvernement quant à la réalité de la situation socioéconomique en Tunisie et l’a exhorté à trouver des solutions aux problèmes socioéconomiques sans sanctionner les Tunisiens et toucher à leur pouvoir d’achat. Ce n’est pas la première fois que Noureddine Taboubi appelle le Président de la République, Kaïs Saïed, et sa Cheffe de gouvernement, Najla Bouden, à trouver une solution urgente à la crise économique et sociale.
En mars dernier, il avait déjà renouvelé ses appels en direction du Chef de l’Etat, estimant que la Tunisie est au bord du précipice et que l’Ugtt ne compte pas se taire. «Le Chef de l’Etat doit présenter ses choix et dire où il compte mener la Tunisie», avait-il dit, insistant sur la nécessité d’informer les Tunisiens du contenu des réformes qui seront adoptées face à la crise.
S’exprimant dans des déclarations médiatiques, le deuxième responsable de la Centrale syndicale, Samir Cheffi, a, pour sa part, taclé les négociations entre la Tunisie et le FMI. Pour lui, l’Ugtt est inflexible à cet égard et n’acceptera aucun accord qui portera atteinte au pouvoir d’achat des Tunisiens. «L’Ugtt a toujours été claire à ce sujet, nous sommes conscients de la gravité de la situation économique, mais aucun accord avec le FMI qui porte atteinte aux droits des Tunisiens ne passera. Les Tunisiens ne peuvent plus supporter de telles circonstances», a-t-il averti.
Il a également appelé le gouvernement à appliquer les accords signés au préalable avec l’Ugtt relatifs notamment aux augmentations salariales et à un ensemble de droits pour les fonctionnaires.
Le 23 mai dernier, la Commission administrative de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a décidé de décréter une grève générale dans le secteur et la fonction publics. Les deux avis de grève ont été entérinés, reste à fixer les dates de ces grèves qui ne doivent pas dépasser le mois de juin.