L’amendement de l’article 411 du Code de commerce relatif au cadre réglementaire des chèques sans provision en Tunisie sera vraisemblablement soumis à l’approbation de la session générale du Conseil de l’Assemblée des représentants du peuple courant juin.
Le Président de la République, Kaïes Saïed, avait déjà donné son feu vert lors d’une séance de travail ministérielle, tenue le 17 mai 2024, en présence du Chef du gouvernement, afin que le projet de loi soit présenté au plus vite devant le Conseil des ministres avant de le soumettre à l’accord de l’ARP. «L’élaboration du projet de loi portant révision de l’article 411 du Code de commerce a pris suffisamment de temps», a souligné le Président de la République, incitant les deux pouvoirs exécutif et législatif à hâter le pas, avant les prochaines vacances parlementaires.
L’amnistie générale, oui, mais…
La commission de la législation générale au Parlement présidée par Yasser Grari, devrait donc s’atteler très prochainement à l’étude de ce projet de loi au grand bonheur des personnes qui croupissent derrière les barreaux et d’autres qui font l’objet d’avis de recherche à la suite de l’émission de chèques sans provision. L’amnistie générale tant attendue mettra, si elle est décrétée, du baume au cœur et remontera le moral de plusieurs chefs d’entreprise, hommes d’affaires et même présidents d’associations sportives. L’espoir est donc permis. Néanmoins, l’amendement de cette loi tiendra en compte et en premier lieu les droits des créanciers.
Il n’est pas question de favoriser les débiteurs et de piétiner les droits légitimes des créanciers. Selon l’Union tunisienne de l’Industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) qui avait en 2011 dénoncé la décision du gouvernement provisoire d’accorder une amnistie sur les chèques sans provision, considérant dans un communiqué que la dépénalisation «fait perdre au chèque sa valeur et son importance en tant que moyen de paiement». L’Utica avait considéré que l’Etat a le droit d’amnistier ses créanciers, mais ne devrait en aucun cas pardonner sur ce qui revient à autrui.
Il est bien utile de rappeler qu’un autre groupe parlementaire (la voix de la République) avait déjà déposé auprès de l’ARP une initiative législative relative à l’amnistie générale des personnes incarcérées ou qui font l’objet de poursuites en raison de l’émission de chèques sans provision. Dans une déclaration datant du mois de février dernier, le député Nizar Seddik, relevant de ce groupe, avait expliqué que ce problème impacte les moyennes et petites entreprises et grippe l’économie nationale.
Plusieurs séances ont été consacrées à la discussion de cette épineuse question pour accélérer l’adoption de ce projet de loi, d’autant que de nombreux chefs d’entreprise ont été contraints de mettre la clé sous la porte et font aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires, avait alerté le député en question qui n’a pas hésité à pointer une « lenteur » de la partie gouvernementale. Tout bien considéré, et au-delà des tiraillements entre quelques parties, les directives présidentielles relatives à l’adoption dans les plus brefs délais du projet d’amendement de l’article 411 du Code de Commerce a sonné la fin de la récréation pour tout le monde.
Signalons que le nombre de chèques rejetés en 2023 pour différents motifs (solde débiteur ou autres) dépasse les 417 mille, selon la Banque centrale de Tunisie. Les personnes incarcérées pour émission de chèques sans provision est de 427, selon la ministre de la Justice. Un chiffre dévoilé lors de la discussion du budget du ministère en novembre 2023. Un chiffre qui a toujours été contesté par certaines parties qui estiment que ce nombre est beaucoup plus élevé.
Les malheurs des victimes de la loi 411 font le bonheur des banques
Selon l’article 411 : «Est puni d’un emprisonnement d’une durée de cinq ans et d’une amende égale à 40% du montant du chèque ou du reliquat de la provision à condition qu’elle ne soit pas inférieure à 20% du montant du chèque ou du reliquat de la provision », mais ce sont les banques en grande partie qui tirent profit de cette loi, nous informe un haut cadre d’une banque privée. Les malheurs des victimes de la loi 411 font le bonheur des banques en quelque sorte, commente-t-il.
En effet, pour chaque chèque sans provision, elles doivent avertir le jour même l’émetteur de ce chèque par le biais d’un préavis de rejet. Ce qui lui laisse la possibilité de régulariser sa situation dans un délai de 3 jours. C’est le premier délai accordé à l’émetteur du chèque qui devra en cas d’alimentation de son compte s’acquitter de la somme de 90 dinars en guise de pénalité. Après expiration du délai de 3 jours (accordé au tireur pour provisionner son compte), un certificat de non-paiement (CNP) est adressé à la Banque centrale ainsi qu’au porteur.
Un huissier notaire est engagé après 4 jours pour notifier un avis de non-paiement sous peine de poursuites judiciaires. A défaut de régulation après trois mois, un dossier est envoyé au procureur de la République dans la mesure où il est toujours possible à l’émetteur de régulariser sa situation, ce qui fait augmenter le taux d’amende à verser pour l’Etat (20% du montant du chèque ou du reliquat de la provision). Même en cas de paiement, l’émetteur du chèque doit encore s’acquitter des frais de la banque fixés cette fois à 70 dinars. En tout, la banque reçoit la somme de 150 dinars et l’émetteur sera le plus souvent interdit de chéquier sur décision de la Banque centrale.
La privation de liberté n’a jamais aidé à rendre justice
En cas de poursuites judiciaires, généralement l’émetteur s’évapore dans la nature pour échapper à la prison.
L’article 411 nous renvoie ainsi à une justice répressive qui ne permet pas au créancier de recouvrer son droit et n’offre à la personne poursuivie en justice que la fuite comme unique et ultime porte de secours.
Il est grand temps pour que l’article en question et bien d’autres articles relevant du Code de commerce soient amendés, comme le préconisent la majorité des experts économiques. Les banques doivent également assumer un certain degré de responsabilité, en offrant plus d’options et d’autres mécanismes de paiement électronique et en sécurisant davantage les transactions bancaires par chèque.
Il va sans dire que notre système juridique accuse de nos jours beaucoup de retard au vu de l’évolution de la société tunisienne ces dernières décennies. Certains textes de loi n’aboutissent pas aux résultats escomptés et en premier lieu les lois privatives de liberté.
L’accélération de l’élaboration d’un nouveau projet de loi en vue d’amender un certain nombre de dispositions des articles 410 et 411 du Code de commerce s’inscrit dans un processus de développement et de croissance susceptible de libérer les hommes d’affaires, les investisseurs, les propriétaires de petites et moyennes entreprises qui n’ont pu redresser la barre depuis la pandémie de Covid-19. Pour certaines parties, il n’est plus question de se renvoyer la balle. Le message du locataire de Carthage a été bien clair à ce propos.